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Avidement, gloutonnement, la mère la saisit, l’examina, la palpa, la dévora du regard depuis les cheveux jusqu’aux ongles des pieds…

Alors, elle éclata en sanglots…

Alors, elle l’empoigna…

Alors, elle couvrit son corps de baisers furieux, les épaules, la bouche, les yeux, au hasard des lèvres, les fossettes des coudes, les mains, les pieds, tout, toute sa fille.

L’enfant pleurait, se débattait…

La mère sanglotante, ivre du délire de sa joie, murmurait passionnément:

– Pleure, crie, ah! crie, méchante! c’est ça! c’est bon, va! crie, adorée! C’est ici… c’est bien toi, dis! oui, c’est toi! C’est ma petite Loïse! Hou, la vilaine! est-il permis de pleurnicher ainsi! Tiens, encore ce baiser, ange de ta mère… et puis encore celui-ci!… Croyez-vous qu’elle en a une voix… Voyons, ce sont bien tes yeux, tes chers yeux de ciel, c’est bien ta bouche, dis, ce sont bien tes petits pieds… Allons, bon… tire-moi les cheveux, maintenant! A-t-on jamais vu une pareille méchante! Écoutez… regardez si on ne dirait pas un ange… C’est un ange, vous dis-je, Loïse… petite Loïse… c’est votre mère qui est là… Loïse… ma fille… Dire que c’est ma fille qui est là!

Pardaillan regardait cela.

Il en était comme hébété, voulant s’en aller, ne pouvant pas.

Brusquement, la mère, toujours à genoux, toujours sanglotante, se tourna vers lui, se traîna vers lui, sur ses genoux, saisit ses mains, les baisa…

– Madame! Madame!…

– Si! si! je veux embrasser vos mains! c’est vous qui me ramenez ma fille! Qui êtes-vous? Laissez! Je puis bien baiser vos mains qui ont porté ma fille! Votre nom? Votre nom! Que je le bénisse jusqu’à la fin de mes jours!…

Pardaillan fit un effort pour se dégager.

Elle se releva, courut à sa fille, la serra dans ses bras, toute nue, puis la tendit à Pardaillan, et plus calme:

– Allons, embrassez-la!…

Le vieux routier tressaillit, leva sa toque, et doucement, timidement, baisa l’enfant au front.

– Votre nom? répéta Jeanne.

– Un vieux soldat, madame… aujourd’hui ici… demain ailleurs… peu importe mon nom…

Et tandis qu’il parlait, le front de Jeanne se plissait… l’amertume de son désespoir lui revenait… avec un flot de haine pour le misérable qui s’était fait le complice d’Henri de Montmorency.

– Comment avez-vous ramené ma fille? fit-elle soudain.

– Mon Dieu, madame, c’est bien simple… une conversation surprise… j’ai vu un homme qui emportait une fille… je le connaissais… je l’ai interrogé… voilà tout!

Pardaillan rougissait, pâlissait, bredouillait.

– Alors, reprit-elle, vous ne voulez pas me dire votre nom, pour que je le bénisse?

– Pardonnez-moi, madame… à quoi bon?…

– Alors!… Dites-moi le nom de l’autre!…

Pardaillan sursauta.

– Le nom de celui qui a enlevé la petite?

– Oui! Vous le connaissez! Le nom du misérable qui a accepté de tuer ma fille?

– Vous voulez que je vous dise son nom… moi!…

– Oui! Son nom!… que je le maudisse à jamais!…

Pardaillan hésita une minute. Il cherchait un nom quelconque. Et subitement une pensée profonde descendit dans les obscurités de cette conscience, pensée de remords, et aussi pensée rédemptrice…

Un peu pâle, il murmura:

– Eh bien, tenez, madame, vous avez raison…

– Le nom de l’infâme!

– Il s’appelle le chevalier de Pardaillan!…

Le vieux reître jeta le nom d’une voix sourde, et s’enfuit, peut-être pour ne pas entendre la malédiction qui éclatait sur les lèvres de la mère…

VIII LA ROUTE DE PARIS

Dans la forêt de châtaigniers, sous la haute futaie, le soir qui descendait sur la vallée de Montmorency était déjà la nuit. Henri, en proférant l’épouvantable calomnie où il s’accusait lui-même pour mieux perdre Jeanne, Henri regarda avidement son frère. Il ne vit qu’une face blafarde d’où giclait le double éclair d’un regard insensé.

Henri s’attendait à des blasphèmes, à des imprécations.

Tout à coup, il ploya légèrement: la main de François venait de s’abattre sur son épaule. Et François disait:

– Tu vas mourir!

D’un prodigieux effort, Henri s’arracha à l’étreinte, et bondit en arrière.

Au même instant, il tira son épée et tomba en garde.

– Vous voulez dire, mon frère, que l’un de nous va mourir ici!

– Je dis que tu vas mourir! répéta François.

Et sa voix était si glaciale qu’on eût dit en effet le souffle de la mort et qu’Henri vacilla sur ses jambes.

François, d’un geste lent, sans hâte, dégaina…

L’instant d’après, les deux frères étaient en garde l’un devant l’autre, les épées croisées, les yeux dans les yeux. Et dans ce double regard phosphorescent comme certains regards de fauves, il y avait un choc furieux de haine et de désespoir.

La nuit était profonde.

Ils se voyaient à peine. Mais ils se devinaient. Et l’éclat de leurs yeux les guidait.

Chose étrange, et presque fantastique! Tandis qu’Henri, tout entier au duel, tâtait le fer, essayait des feintes et se fendait même à deux ou trois reprises, François paraissait absent du combat. Son bras et son œil, par longue habitude, guidaient son épée. Mais lui songeait, et sa songerie était vraiment affreuse:

«Ainsi, c’est mon frère! Je ne pensais pas que cela fît tant souffrir d’être trahi par un frère! J’imaginais que la trahison de cette femme avait porté mon désespoir à ses dernières limites!… Eh bien, non! Il me restait à apprendre cette monstruosité… le nom de l’amant! Pourquoi ne suis-je pas mort tout à l’heure? Pourquoi ne me suis-je pas arraché la langue plutôt que de demander ce nom?… Je vais le tuer… soit! mais moi, si je puis vivre, qui me guérira de l’abominable souffrance de savoir que celui qui me trahissait, c’était mon frère!»

Henri se fendit à fond, l’épée toucha François légèrement à la gorge, une goutte de sang parut…

Et lentement, un revirement se fit dans l’esprit de François.

Nous disons lentement, car dans cette minute-là, les secondes étaient comme des heures.

Il en vint à ne plus voir que les yeux d’Henri. Il oublia – peut-être s’y efforça-t-il – que c’était son frère. Il n’eut plus que la sensation d’être en présence de l’amant de Jeanne.

Cela devint très net et très fort.

Alors, une sorte de rugissement gronda dans sa poitrine. Il serra plus nerveusement la garde de son épée, et, en trois pas successifs, brefs et rapides, il marcha.

Les deux épées s’engagèrent à fond. Le corps à corps commença.

Pendant une seconde ou deux, il n’y eut plus que le cliquetis de l’acier, le souffle rauque des deux respirations, puis un bref juron d’Henri, puis encore un temps de silence… et puis, tout à coup, un soupir, un cri, le bruit sourd et lourd d’un corps qui tombe tout d’une masse…

L’épée de François venait de traverser le côté droit de la poitrine d’Henri, au-dessus de la troisième côte.