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– Moi!…

Alice s’était relevée d’un bond, stupéfaite, épouvantée de cette apparition inattendue. À l’instant même, elle reconnut le marquis de Pani-Garola, son premier amant. Sa première pensée – pensée qui traversa son esprit comme un éclair – fut que le moine avait réfléchi depuis la scène de la confession, qu’il s’était repenti, qu’il avait eu pitié d’elle, peut-être!… qu’il avait arraché à Catherine de Médicis la terrible lettre accusatrice!… qu’il lui rapportait cette lettre!… Et ce mot, ce seul mot de réponse qu’il venait de jeter n’était-il pas la confirmation de cette pensée!…

Elle dompta son émotion, força sa physionomie à s’éclairer d’un sourire et, très doucement, elle dit:

– Vous, Clément… Vous ici… Vous avez entendu ce que je disais, n’est-ce pas?… Vous avez compris le désespoir qui me torture… Cette sévérité que vous aviez là-bas, dans l’église… s’est changée en pitié, n’est-ce pas? Ce que vous venez de dire me le prouve. Ah! Clément, s’il est un homme au monde qui puisse me sauver de moi-même et des autres, n’est-ce pas vous, en effet!…

Pendant qu’elle parlait ainsi avec une douceur humiliée, Panigarola était entré, refermant derrière lui la porte, et il écoutait, immobile, glacé en apparence, dévoré en réalité par tous les feux de sa passion.

Panigarola demanda:

– Quel est cet homme qui sort d’ici?

Un imperceptible sourire de triomphe passa dans les yeux d’Alice; le moine était jaloux! donc le moine l’aimait encore! donc il était à sa merci!

Elle se rapprocha vivement de lui:

– Cet homme, dit-elle, m’a infligé une des plus affreuses humiliations que j’aie subies. Et vous savez pourtant si j’ai été assez humiliée.

– Son nom?

– Le maréchal de Damville! répondit sans hésitation Alice.

– Un de vos amants? fit-il avec une sourde rage.

Elle eut un soupir, et joignit les mains.

– Clément, dit-elle soyez généreux… ou sans cela, je ne comprendrais pas votre présence sous mon toit…

Il eut un geste violent, et sentit que la jalousie allait le dominer encore comme elle l’avait dominé dans le confessionnal. D’un effort, il s’arracha à l’importune question de savoir ce que Damville était venu faire dans cette maison, s’il était encore l’amant d’Alice.

Il la contemplait, ravi, désespéré… elle lui paraissait plus belle que jamais.

– Clément, reprit-elle en s’enhardissant jusqu’à lui prendre sa main – et il frémit à ce contact, Clément, vous êtes donc revenu vers moi… Vous avez voulu vous pencher sur ma détresse… elle est atroce… Tenez, un dernier exemple… voulez-vous savoir ce que le maréchal de Damville est venu me demander?…

Les yeux du moine devenaient hagards.

Au contact de la main tiède et satinée, sa passion s’exaspérait.

Comme s’il n’eût pas entendu ce qu’Alice venait de dire, il bégaya:

– Je suis venu vous proposer un marché.

– Un marché? fit-elle d’une voix soudain glacée, attentive maintenant, et prise de peur en présence de la vérité qu’elle devinait…

Le moine réfléchissait.

Il avait ces paroles à dire:

– Soyez à moi une fois encore et je vous rends la lettre!…

Ces paroles bourdonnaient dans sa tête, et il ne se décidait pas à les prononcer. Était-ce la honte qui l’arrêtait? Comprenait-il ce qu’il y avait d’odieux dans une telle proposition?

Sans doute!… et si on s’est intéressé à la physionomie de cet homme, on a compris que ce n’était pas une âme vile.

Mais une raison plus puissante l’arrêtait aussi.

Panigarola comprenait qu’il appartenait à Alice, et que sa fuite au cloître était une vaine tentative! Ce qu’il voulait, ce n’était pas une nuit d’amour…

C’était l’amour tout entier d’Alice!

– Un marché! reprit l’espionne. Quel marché?… Parlez!…

– Ai-je dit un marché? balbutia le moine. Pardonnez-moi, je suis fort troublé… J’ai des choses dans la tête que je voudrais vous dire… je suis bien malheureux, Alice.

Une idée soudaine illumina la nuit de son amour et devint pour lui comme une étoile sur laquelle on se guide. Ses traits s’apaisèrent. Cette expression d’égarement qu’il avait, disparut.

Et ce fut avec la sérénité que lui donnait un nouvel espoir qu’il reprit:

– Alice, j’ai vu notre enfant… je l’ai vu aujourd’hui même.

La jeune femme tressaillit, pâlie, tout à coup bouleversée.

– Mon enfant! murmura-t-elle sourdement. Où est-il?… Oh! dites-le moi… et puisque vous paraissez moins impitoyable, laissez-moi au moins cette consolation d’embrasser le petit être que j’ai cru mort…

– Je vous l’ai dit: il est élevé dans un couvent…

– Les couvents de Paris sont innombrables et fermés comme des citadelles, reprit-elle amèrement. Si vous vous contentez de cette indication, autant me dire que vous êtes venu me tourmenter… Vous m’annoncez tout à coup que mon fils est vivant, et puis vous me dites: Je l’ai vu! – Où? – Dans un couvent! – Cherche, bonne mère! Si cette fibre si profonde de la maternité s’est mise à vibrer en toi, si cette douleur nouvelle est venue se joindre à tant d’autres, de savoir que ton fils vit et que tu ne le verras jamais; eh bien cherche! Va de couvent en couvent, frappe à ces portes où quelque hideuse figure de moine te répondra qu’on ne sait de quoi il s’agit! Et quand tu auras été renvoyée de cloître en cloître, de tombe en tombe, lorsque tu auras parcouru Paris comme on parcourt un cimetière, lorsque tu auras senti ta maternité éveillée t’infliger un supplice que tu ne connaissais pas encore, le père, le digne, l’honnête père viendra te bafouer encore et te dira sans doute que tu as mal cherché! Ah! monsieur, l’autre soir vous n’avez frappé que l’amante et vous ne fûtes que cruel; ce soir vous frappez la mère et vous êtes odieux!…

– Est-ce que vraiment elle aimerait son enfant! songea le moine qui tressaillit d’une joie profonde.

Lentement, il reprit:

– Je l’ai vu aujourd’hui, Alice. Et savez-vous ce qu’il me disait? Il me demandait pourquoi tous les enfants ont un père et pourquoi il n’en a pas, lui…

Alice bondit.

Elle cria avec une sorte de fureur mêlée de jalousie:

– Et vous avez pu supporter une question pareille sans que votre cœur éclatât! Et vous avez pu entendre votre enfant vous parler ainsi sans le saisir dans vos bras et lui crier: «Oh mon fils, ton père, c’est moi!» Ô moine! moine que vous êtes! Ah! marquis de Panigarola, j’avais pu croire que du moine vous aviez pris l’habit seulement: je vois que vous en avez l’âme.

– Il ne m’a pas demandé cela seulement, reprit le moine d’une voix terrible d’indifférence apparente; il m’a demandé aussi pourquoi il n’avait pas de mère!… Et je vous jure que la voix de cet enfant était effrayante lorsqu’il me disait: «je suis seul, tout seul; moi, je n’ai pas de mère…» Sa plainte était navrante…

Alice se tordait les mains. Elle comprenait maintenant ou croyait comprendre!

Ce fils, c’était la vengeance que son premier amant tenait en réserve!