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Il n’avait pas tort. En effet, la foule criait Noël uniquement parce qu’on venait de mettre le feu aux fascines, et sa joie venait de ce que deux hommes qu’elle ne connaissait nullement allaient être brûlés vifs. Au surplus, c’est toujours, paraît-il, un spectacle réjouissant que de voir supplicier des êtres faits à notre image (témoin les foules qui, de nos jours encore, se délectent à voir guillotiner). Il faut que les maîtres des hommes comptent sur cette joie de la foule. Sans quoi, depuis longtemps, il n’y aurait plus de supplices. Bref, la foule criait «Noël» de tout son cœur.

Quelques instants plus tard, la joie devint du délire: en effet, un épais tourbillon de fumée monta au ciel et, bientôt, la flamme s’élança en langues écarlates et commença à lécher les murs de la maison.

Que devenaient les assiégés?

Maurevert jetait de sombres regards de satisfaction sur l’incendie et, répétant le geste esquissé au Louvre par le chevalier, se caressait la joue – la joue qu’avait cinglée l’épée de Pardaillan.

La maison brûla. Justice sommaire, qui avait parfaitement cours à une époque où l’idée de justice vagissait à peine. Aujourd’hui, il y a progrès; elle en est déjà aux premiers bégaiements enfantins; espérons que dans quelques milliers d’années, elle saura parler.

Bref, la maison brûla. On eut toutes les peines à éteindre ensuite l’incendie qui avait gagné les maisons voisines et menaçait toute la rue. Quelques voisins subirent des pertes graves; mais cela comptait pour peu de choses; l’essentiel était que Maurevert, Quélus et Maugiron purent se rendre au Louvre bras dessus bras dessous. C’était même la première fois que les deux mignons fraternisaient ainsi avec le spadassin.

Maurevert fut reçu par la reine Catherine de Médicis.

Les deux mignons le furent par le duc d’Anjou.

– Madame, dit le premier à la reine mère devant Nancey qui faillit en avoir la jaunisse de jalousie, madame, Votre Majesté est vengée: nous avons pris le jeune truand comme un renard au terrier, et nous l’y avons enfumé, c’est-à-dire bel et bien grillé, moyennant un jeu de joie dont nous avons fait flamber sa maison. Sans Quélus et Maugiron qui m’ont retardé par leur mollesse, il y a déjà deux heures que ce serait fini.

– Maurevert, dit Catherine, je parlerai de vous au roi.

– Votre Majesté me comble. Mais le plus beau de l’affaire, après tout, n’est pas la grillade de cet insolent que j’eusse aussi bien proprement tué à la première occasion. Ce qu’il y a eu de magnifique, c’est la grande joie du populaire quand j’eus dit que c’étaient des huguenots qui grillaient…

– Chut! fit la reine avec un sourire aigu; ne savez-vous pas que nous faisons la paix pour de bon?

– Eh! madame, cela n’empêche pas la paix… au contraire! répondit Maurevert qui, se sachant indispensable, prenait quelquefois avec la souveraine de ces airs d’indépendance bourrue qui sont la suprême habileté des domestiques supérieurs.

Quant à Quélus et Maugiron, ils dirent au duc d’Anjou.

– Monseigneur, vous êtes vengé… Sans Maurevert, qui a eu des hésitations inexplicables, nous aurions déjà pu vous annoncer la chose depuis une heure. Enfin, c’est fait. L’insolent ne vous regardera plus en face. Il est mort, brûlé vif, avec quelques autres truands de son espèce qui le voulaient défendre.

– Vous êtes vraiment de bons amis, dit le duc d’Anjou en se passant du cosmétique sur les sourcils. Je voudrais être le roi, rien que pour pouvoir vous récompenser selon vos mérites.

XL COMMENT M. DE PARDAILLAN FILS DÉSOBÉIT UNE FOIS ENCORE À M. DE PARDAILLAN PÈRE

Or, pendant que les mignons d’une part, Maurevert, de l’autre, célébraient ainsi la mort de leur ennemi, une aventure survenait aux deux Pardaillan, – aventure qui doit prendre ici sa place.

Ni Pardaillan père, ni Pardaillan fils n’étaient morts. Ils s’étaient bel et bien tirés de la fournaise, voici comment:

Au moment où le feu fut mis aux fascines et où les flammes s’élancèrent, une fumée blanche et odorante, de ces fumées qui montent du bois bien sec, envahit la chambre où étaient réfugiés les assiégés. Mais si odorante que fut cette fumée, elle ne les en menaçait pas moins d’une prochaine asphyxie.

Le chevalier qui piochait depuis cinq minutes s’arrêta un instant, tout en sueur. Le vieux Pardaillan s’empara alors de la pioche et continua la besogne au jugé; car on ne voyait plus rien.

Quelques minutes angoissantes s’écoulèrent ainsi. La respiration des trois malheureux devenait haletante, et déjà ils entrevoyaient la mort terrible qui les attendait là, lorsque la pioche, dans un dernier coup plus violent et comme désespéré, passa de l’autre côté du mur; un trou assez large béa…

Alors les deux hommes et Catho, qui pour la force musculaire valait deux femmes, se mirent fébrilement à arracher briques et moellons; en deux minutes, il y eut un trou suffisant pour donner passage.

Ils passèrent, un peu écorchés il est vrai, mais ils passèrent!

Il était temps: l’incendie ronflait maintenant, et les poutres, les solives crépitaient.

Les trois assiégés se trouvèrent dans une sorte de grenier où le voisin serrait ses sacs de grains pour les volailles qu’il nourrissait. Ce grenier était fermé d’une vieille porte dont on fit sauter la serrure d’un coup de pioche. Alors, ils se précipitèrent dans un escalier qui aboutissait à la cuisine du marchand de volailles.

Cette cuisine ouvrait, d’une part, sur la boutique, mais par là, on aboutissait à la rue, c’est-à-dire en plein traquenard. D’autre part, elle donnait sur une cour assez vaste, dont les quatre côtés étaient occupés par des poulaillers.

– Fuyons! dit Catho.

– Un instant, répondit le vieux Pardaillan.

– Oui, respirons! ajouta le chevalier; nous avons failli en perdre l’habitude.

– C’est-à-dire que je me souviens à peine comment on respire, reprit le routier.

Ces plaisanteries ne les empêchaient pas d’étudier activement le terrain sur lequel ils se trouvaient. La cour était clôturée de murs assez élevés. Mais il était facile de les franchir en montant sur le toit d’un poulailler.

Le chevalier, le premier, se hissa à la force du poignet, sur le poulailler du fond. Il tendit la main à Catho, qui en un instant le rejoignit; puis ce fut le tour du vieux Pardaillan. De là à la crête du mur, cela devenait un jeu. Et une fois sur le mur, ils n’eurent plus qu’à se laisser tomber sur le sol.

Ils se trouvaient alors dans un jardin de maraîcher assez vaste.

Par le fait, ils étaient sauvés.

– Que vas-tu faire? demanda le routier à l’hôtesse de l’ex-auberge, maintenant ruine fumante.

Catho eut un soupir.

– Je suis ruinée, dit-elle. Que vais-je devenir?

– Tu ne peux nous suivre: il faut nous séparer.

Le chevalier, trouvant que son père en usait peut-être avec quelque ingratitude, voulut intervenir.

– Si elle nous suit, dit le routier, nous sommes pris, et elle aussi: une bonne corde pour tous les trois! La Truanderie est à deux pas; que Catho s’y réfugie. Une fois là, elle est imprenable. Quant à nous, nous verrons. Allons, Catho ma fille, est-ce que cela ne te paraît pas juste?

– Très juste! dit-elle. Et s’il ne s’agissait que de me sauver, ce serait tôt fait. Mais que vais-je devenir sans un sou!