Выбрать главу

– Tends ton tablier!

Catho releva les coins de son tablier. Le vieux Pardaillan dégrafa sa ceinture de cuir, et non sans un soupir d’adieu, en versa le contenu intégralement dans le tablier. Les yeux de Catho s’illuminèrent.

– Mais il y a là près de cinq cents écus! s’écria-t-elle.

– Plus de six cents, ma fille!

– C’est plus que ne valait le taudis!…

– Prends toujours. Tu reconstruiras une autre auberge, et tu nous aideras peut-être un jour à la brûler aussi. Seulement, ne l’appelle plus l’auberge du Marteau qui cogne!

– Et comment faudra-t-il l’appeler?

– Dame… on nous croit morts… Appelle-la l’Auberge des deux Morts qui parlent! Ce sera un peu long, mais poétique et sentimental. Adieu, Catho…

– Adieu, fit à son tour le chevalier, je regrette de ne rien pouvoir joindre aux écus de monsieur mon père…

– Si fait: vous pouvez y joindre votre offrande, monsieur le chevalier! s’écria vivement Catho.

– Comment cela? fit le chevalier étonné.

Catho tendit sa joue. Et cette ribaude rougit…

Le chevalier sourit et l’embrassa de tout son cœur sur les deux joues, ce qui était plus que Catho demandait.

Les deux hommes s’éloignèrent alors rapidement, franchirent la porte du jardin et se trouvèrent dans une ruelle qui aboutissait rue du Roi-de-Sicile.

Quant à Catho, elle s’enfonça aussitôt dans les voies sombres et étroites qui entouraient la Truanderie.

M. de Pardaillan père, suivit de son fils, se mit à longer vivement la ruelle et aboutit bientôt à la rue du Roi-de-Sicile; de là, tournant à droite, les deux hommes tombèrent dans la rue Saint-Antoine, grande artère de Paris d’alors.

– Ça! causons un peu de nos affaires, maintenant, dit le vieux routier. Elles me paraissent quelque peu embrouillées.

– Elles me semblent fort claires, à moi! dit le chevalier. Nous sommes tous deux en état de rébellion flagrante.

– Mais aussi, que diable allais-tu faire dans cet antre?

– Quel antre, monsieur? Le Marteau qui cogne!

– Non pas: le Louvre!… Mais ce qui est fait est fait, n’en parlons plus. J’aime cette grande clarté dont tu parles, c’est simple en effet, le gibet, le billot peut-être. Que faisons-nous?… Que dirais-tu d’une petite promenade hors Paris? Il y a longtemps, il me semble, que nous ne nous sommes promenés ensemble sur les routes du pays de France. Note, mon cher fils, que voici le printemps, et que les voyages sont en cette saison de vrais plaisirs. Je pense que tu es de mon avis sur ce point?

Ils allaient ainsi devisant paisiblement, et ne prenant pas la peine de se cacher.

D’ailleurs, la rue Saint-Antoine remplie de bourgeois, de passants, de marchands, les cachait: ils étaient perdus dans la foule assez nombreuse des piétons.

– Mon père, répondit Pardaillan, il m’est impossible de quitter Paris en ce moment.

Le vieux routier fronça les sourcils.

– Impossible! Or çà, tu veux, donc que nous soyons pendus? ou écartelés? ou roués vifs?…

– Non père, je vous supplie de partir… Quant à moi, il faut que je reste… Mais que se passe-t-il là? On entend les cris d’une femme… courons, monsieur, courons!…

En disant ces mots, le chevalier s’élança. Le vieux Pardaillan l’arrêta par le bras, et avec une sorte de chagrin sincère et de tendre sévérité, – en même temps, avec cet étonnement que lui inspiraient les façons de son fils:

– Où courez-vous encore? De quoi diable vous mêlez-vous? Ainsi, c’est donc bien vrai? Vous tenez ma vieille expérience pour nulle et non avenue? Ces bons conseils que je vous donnai, vous en faites fi? Vous ne voulez vous défier ni des nommes, ni des femmes, ni de votre cœur?

– Ah! monsieur, s’écria le chevalier, ce que j’ai vu des hommes m’oblige à les mépriser presque tous; je crains les femmes; et quant à mon cœur, je le maudis pour les mauvais tours qu’il me joue! Vous voyez donc bien que je suis vos avis, et d’ailleurs, le respect que je vous dois m’y oblige…

En parlant ainsi, le chevalier, d’une secousse, s’arracha à l’étreinte de son père et s’élança vers les cris qui devenaient plus perçants et plus effrayés. Le vieux routier demeura un instant stupéfait:

– Voilà ce qu’il appelle suivre mes avis! gronda-t-il. Je crois qu’il finira sur l’échafaud et il ne me restera que la ressource de l’y accompagner! Allons!…

Et il s’élança à son tour vers le gros rassemblement qui obstruait la rue Saint-Antoine et dans les remous duquel le chevalier venait de disparaître. Voici ce qui se passait:

À cet endroit de la rue, au-dessus de la boutique d’un marchand de simples et herbes desséchées dont l’enseigne était vouée «au grand Hippocratès», ledit marchand avait, depuis longtemps, fait creuser une niche. Dans cette niche, il avait placé une statuette en bois peint figurant un vénérable vieillard habillé à la grecque, possesseur d’une belle barbe, et qui n’était autre que le grand Hippocrate en personne. Or, peu à peu, ce personnage avait changé d’identité.

Dans l’esprit des commères du quartier, il avait cessé d’être le médecin grec pour devenir un saint. Son costume et sa barbe étaient bien pour quelque chose dans cette transformation, genre de métempsycose bizarre, mais peu surprenante. Le marchand de simples s’était d’autant plus gardé de détromper sa clientèle que sa boutique s’en trouvait mieux achalandée. Le grand Hippocrate était donc devenu peu à peu et tout doucement le grand saint Antoine.

La chose devint officielle et incontestable le jour où le droguiste, malin comme un apothicaire qu’il était, s’avisa de donner satisfaction à la croyance publique en faisant placer dans la main d’Hippocrate une ficelle, et au bout de cette ficelle un petit cochon toujours en bois sculpté: dès lors, il n’y avait plus de doute possible.

D’ailleurs, l’enseigne continua paisiblement de porter le nom d’Hippocrate.

Or, de même que sur une foule de points dans Paris, de zélés serviteurs de l’Église avaient installé au-dessous de la niche, devant la porte de la boutique, une table sur laquelle ils avaient placé une corbeille destinée à recevoir les dons des fidèles à saint Antoine. Ceux qui étaient riches mettaient un denier ou un sou; ceux qui étaient pauvres jetaient un liard; enfin, les moins fortunés mettaient dans la corbeille du pain, des légumes pour la soupe de saint Antoine, et ceux qui n’avaient rien du tout faisaient une croix et une prière. Ces derniers étaient assez mal vus des trois ou quatre zélés bandits qui, en permanence, surveillaient la corbeille: mais en somme, il n’y avait pas moyen de les accuser d’hérésie.

Il va sans dire que tous les soirs, les quêteurs des couvents venaient faire main-basse sur le contenu de la corbeille, ou du moins sur ce qui restait, car les zélés surveillants commençaient, naturellement, par prélever leur part.

Cela dit, on comprendra l’indignation publique et la sainte fureur qui anima les surveillants de la corbeille aux offrandes, lorsqu’un bourgeois étant venu à passer refusa formellement de déposer aucune aumône.