Le maréchal avait écouté ces paroles avec une indicible satisfaction.
– Mais, demanda-t-il, pourquoi le jeune homme est-il contre moi?
– Il n’est pas contre vous, il est avec Montmorency, voilà tout. Il vous en veut si peu, monseigneur, et il a si peu envie de chercher à vous nuire, qu’il va quitter Paris dès ce soir…
– Et pourquoi diable quitte-t-il Paris?… Pardaillan, franchise pour franchise. Il est très vrai que j’ai eu un instant l’idée de le rendre à Guitalens, dont il a surpris la conversation avec moi, je veux que le diable m’écorche vif, si je sais comment! (Le vieux routier sourit en lui-même et prit un air des plus étonnés.) Mais tel que je le vois, tel que je l’ai vu, le chevalier est incapable de trahir un secret… Son audace à pénétrer ici même, l’attitude qu’il a eue chez le roi, la façon dont il est sorti du Louvre et qu’il a dû vous raconter (Pardaillan fit un signe affirmatif), tout enfin, sans compter qu’il m’a sauvé, sans compter ce que vous venez de me dire, tout fait que je désire ardemment l’avoir parmi nous… Pardaillan, votre fils a le génie de la bravoure; mais il est pauvre, seul, sans appui. Amenez-le moi: je l’enrichis, je le marie, j’en fais un personnage dans la prochaine cour de France…
– Vous oubliez, monseigneur, qu’en raison même de cette attitude qu’il a eue au Louvre, il est poursuivi, traqué, et qu’il lui faut quitter Paris sous peine d’être pendu.
Damville sourit:
– Dans mon hôtel, dit-il, le chevalier sera plus en sûreté que dans le château où sans aucun doute mon frère l’envoie. Dites-le lui, Pardaillan, il faut qu’il reste.
– Mais, si je ne me trompe, il doit déjà être parti. La chose pressait, monseigneur. En effet, voici ce qui nous est arrivé.
Ici, Pardaillan raconta le siège du Marteau qui cogne, récit que le maréchal écouta avec une admiration stupéfiée.
– Vous voyez, acheva le vieux routier, qu’il était temps que le chevalier quittât Paris.
– Mais alors, vous êtes tout aussi compromis que lui! Pourquoi êtes-vous resté?
– Parce que je vous avais promis de vous aider, monseigneur, dit simplement Pardaillan.
Le maréchal tendit sa main au vieux routier qui s’inclina, plutôt pour cacher son sourire que par respect.
Ce fut ainsi que Pardaillan père fit sa rentrée à l’hôtel de Mesmes, et grâce à sa sincérité rusée, il se trouva plus en faveur que jamais. Ce fut ainsi que les deux Pardaillan, après avoir failli se trouver sans gîte, eurent définitivement chacun un véritable palais pour demeure.
XLII LA REINE MÈRE
Trois jours après la scène du Louvre, ainsi qu’il l’avait annoncé à son frère, François de Montmorency se rendit à l’hôtel de Mesmes, résolu à terminer d’un coup de foudre, cette haine de dix-sept ans. Il y alla seul, simplement précédé d’une sorte de héraut d’armes.
Le chevalier de Pardaillan avait insisté vainement pour l’accompagner.
Le maréchal traversa donc Paris dans le plus simple appareil, il avait revêtu sa cuirasse de peau de daim non tannée, et ceint une épée de combat. Ce fut dans ce costume demi-guerrier qu’il alla à la recherche de son frère. Il montait un cheval tout noir, de même que son écuyer.
On a pu remarquer déjà que dans les actes extérieurs de François, il y avait toujours une sorte d’apparat, un côté de mise en scène. Et ceci demande une explication.
François ne songeait guère à étonner les passants ou à frapper l’esprit des gens par une pompe théâtrale. Simplement, il suivait les traditions. Il représentait l’antique maison féodale des Bouchard qui avait fait trembler la royauté. Il était l’héritier direct de ce connétable qui avait porté la gloire des Montmorency à son apogée. Il se conformait de son mieux aux usages que lui avait légués le connétable.
Nous l’avons vu aller au Louvre, dans la pompe d’une véritable mise en scène comme ces époques si noires et si tristes par la pensée, mais si brillantes par les costumes et les coutumes, savaient en organiser.
Nous le voyons maintenant marcher à un combat singulier; et il y va dans l’appareil convenable.
Il était environ sept heures du soir lorsque le maréchal arriva devant l’hôtel de Mesmes.
À sept heures, c’était à peu près le moment où le soleil se couchait en cette saison; or, le maréchal avait donné trois jours de réflexion à son frère et il ne voulait pas s’exposer à s’entendre dire:
– Les trois jours ne sont pas écoulés; il s’en faut de quelques minutes encore.
François attendit donc un quart d’heure pour être tout à fait sûr qu’il était dans son droit jusqu’au bout. Et les passants virent – sans étonnement, d’ailleurs – cette double statue équestre qui semblait garder la porte de l’hôtel. Mais ceux qui reconnurent le maréchal et qui connaissaient la haine qui divisait la famille sans en soupçonner le motif, demeuré à jamais secret, ceux là se hâtèrent de passer, car il n’était pas bon de voir ce qu’il ne fallait pas voir, et les luttes de deux illustres seigneurs comme Damville et Montmorency étaient du nombre de ces choses qu’un homme avisé doit ignorer.
Lorsque François ayant regardé au loin les tours du Temple, vit que le soleil ne les dorait plus de ses derniers rayons, il fit un signe à son écuyer qui, en cette circonstance, remplissait les fonctions de héraut d’armes.
Sans descendre de cheval, l’écuyer sonna du cor.
La grande porte de l’hôtel demeura fermée. Toutes les fenêtres étaient closes. La sombre demeure paraissait abandonnée.
Il y eut un nouvel appel de cor, puis un troisième.
Le silence demeura profond.
Aux environs, quelques têtes se montrèrent un instant à des fenêtres, puis disparurent aussitôt.
Alors, sur un nouveau signe du maréchal, le héraut d’armes mit pied à terre et heurta rudement le marteau de la porte.
Un judas glissa dans sa rainure.
– Qui demandez-vous? fit une voix.
– Nous demandons, dit le héraut, Henri de Montmorency qu’on appelle duc de Damville.
– Que lui voulez-vous? reprit la même voix.
– Nous venons lui demander justice pour une injure dont il nous frappa. Que s’il refuse, nous en appellerons au jugement de Dieu.
La porte s’entrebâilla. Un officier aux armes de Damville sortit, se découvrit, s’inclina devant François et dit:
– Monseigneur, je suis fâché d’avoir à vous apprendre une mauvaise nouvelle: l’hôtel est vide depuis hier. Mon maître, Mgr de Damville, sur ordre exprès de Sa Majesté le roi, a dû subitement quitter Paris.
François pâlit et jeta un sombre regard sur l’hôtel.
– Monseigneur, reprit l’officier, que s’il vous plaît vous reposer en cette demeure, je m’empresserai, autant que la circonstance et l’absence de tous serviteurs le permettent, d’y exercer vis-à-vis de vous les lois de l’hospitalité.