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François regarda le héraut, qui répondit:

– Nous refusons l’hospitalité offerte.

L’officier, alors se couvrit, rentra dans l’hôtel et referma la porte. Alors le héraut sonna du cor, et par trois fois appela à haute voix Henri de Montmorency, seigneur de Damville.

Puis il mit pied à terre, s’approcha de la grande porte et dit:

– Henri de Montmorency, nous sommes venus te demander raison d’une injure grave. Nous t’avons prévenu que nous serions à ta porte ce soir. Nous déclarons que tu as fui lâchement, nous te déclarons félon, et nous te laissons notre gant en signe de défi, tant est juste notre cause!

À ces mots, François déganta sa main droite.

Le héraut prit le gant; dans la sacoche de son cheval, il prit un marteau et un clou; et s’approchant alors de la grande porte de l’hôtel, il y cloua le gant.

Puis il remonta à cheval.

Quelques minutes encore, François de Montmorency attendit pour voir si ce suprême outrage serait relevé par son frère, car il ne doutait pas qu’il ne fût en réalité dans l’hôtel.

Puis, voyant que la porte demeurait fermée, et n’entendant aucun bruit, il se retira.

À ce moment, deux hommes se montrèrent au coin même de cette ruelle où le chevalier de Pardaillan avait tenté son attaque contre le maréchal de Damville: c’était le chevalier lui-même et le comte de Marillac.

En effet, dès que François de Montmorency eut quitté son hôtel, le chevalier en était sorti presque aussitôt, et avait couru rue de Béthisy, où il avait trouvé le comte. En deux mots, il lui avait raconté la tentative qu’allait faire le maréchal. Marillac n’avait en somme, que peu d’intérêt à aider Montmorency, malgré la sympathie qu’il éprouvait pour lui. Mais en revanche, il s’était mis une fois pour toutes à la disposition du chevalier, pour lequel son amitié et son admiration allaient grandissant. Aussi n’hésita-t-il pas à suivre son ami qui l’entraîna à l’hôtel de Mesmes.

– Si le maréchal entre dans l’hôtel, expliqua Pardaillan, et que nous ne le voyions pas en sortir, nous y entrerons à notre tour, et il faudra bien qu’on nous dise ce qu’il est devenu.

– Je ne crois pas qu’il entre, fit le comte. Je connais assez Damville pour supposer qu’il voudra éviter une entrevue de ce genre.

Les deux jeunes gens, cachés dans une encoignure, assistèrent donc à la scène que nous venons de retracer.

– Vous voyez que j’avais deviné juste, dit le comte de Marillac lorsque le maréchal fut parti.

Ils revinrent alors vers l’hôtel Coligny, le comte pensif, le chevalier inquiet de cette profonde inquiétude qui serre la gorge, et qu’il cachait sous ce masque de froideur et ces saillies qui lui étaient habituelles. En arrivant devant l’hôtel Coligny, Pardaillan tendit sa main et annonça qu’il retournait près du maréchal. Mais le comte le retint.

– Voulez-vous, dit-il, me faire un grand plaisir?

– Je le veux de tout cœur, si la chose est possible; et même si elle était impossible, je crois que je voudrais tout de même.

– La chose rentre dans l’ordre des possibilités courantes, cher ami; il s’agit simplement de dîner avec moi ce soir. Il est environ huit heures; nous irons dans une guinguette que je connais et où vous ne risquerez pas d’être vu; puis, vers neuf heures, je vous emmènerai quelque part où je meurs d’envie de vous présenter à une personne…

– À qui donc? fit le chevalier en souriant. L’autre soir, vous m’avez présenté à un roi, à un prince et à un amiral. Je vous préviens que je ne veux pas déchoir et qu’il me faut un personnage d’importance…

– Jugez-en, dit gravement le comte: c’est ma fiancée.

– Une reine, alors, dit le chevalier avec non moins de gravité. Ah! mon cher, votre présentation de ce soir vaut à elle seule les trois de l’autre jour.

– Ainsi, vous acceptez? Vous êtes libre ce soir?…

– Je suis libre, mon ami; mais fussé-je enfermé à la Bastille, que pour avoir l’honneur d’être présenté à celle que vous appelez votre fiancée, je démolirais au besoin la Bastille!

– Et je vous y aiderais, mon ami.

Devisant ainsi, et se disant le plus simplement du monde de ces choses énormes, les deux amis, bras dessus bras dessous, se dirigèrent vers la guinguette signalée par le comte et où ils dînèrent d’aussi bon appétit que s’ils n’eussent pas eu l’un et l’autre des motifs de préoccupation assez terribles pour enlever l’appétit au plus robuste mangeur.

Vers neuf heures, le comte de Marillac, suivi du chevalier, prit le chemin de la rue de la Hache.

Alice de Lux l’attendait ce soir-là avec une anxiété, nous dirons aussi avec une terreur extraordinaire dont nous allons savoir les motifs. Mais il est nécessaire de faire ici observer un détail qui peut-être n’aura pas échappé au lecteur.

Il avait été maintes fois question entre Pardaillan et Marillac de la scène du Pont de Bois; mais jamais Pardaillan n’avait songé à dire que ce jour-là, la reine de Navarre était accompagnée d’une jeune fille qui paraissait être sa confidente. De son côté, Alice de Lux, qui était la prudence incarnée, n’avait jamais dit à son fiancé qu’elle se trouvait dans cette circonstance auprès de Jeanne d’Albret; en effet, il eût fallu expliquer comment la reine avait été attaquée, et comme elle avait collaboré activement à cette attaque, elle craignait naturellement, par un mot imprudent, de révéler son attitude…

Il en résultait, d’une part: Marillac ignorait que Pardaillan eût sauvé sa fiancée; de l’autre, Pardaillan ignorait que la compagne de la reine de Navarre fût précisément cette jeune fille dont son ami l’avait entretenu avant tant de passion.

Cela dit, revenons à Alice de Lux.

Nous avons dit que ce soir-là, il y avait en elle de l’anxiété et de la terreur. L’anxiété venait de la présence chez elle de Jeanne de Piennes et de Loïse. Elle avait, il est vrai, pris toutes ses précautions. Jeanne et sa fille étaient logées au premier, dans deux chambres qui donnaient sur le derrière de la maison. Elles y étaient enfermées à clef. Mais enfin, un hasard pouvait révéler leur présence à Marillac.

Et alors, comment expliquerait-elle cette présence? Et si la dame de Piennes parlait? Si elle en appelait à l’aide du comte? Si de questions en questions, Déodat finissait par comprendre qu’Alice de Lux jouait ici le rôle infâme de geôlière!… Si toute sa vie d’espionne, d’intrigante, de ribaude à la solde de Catherine allait se révéler!…

Mais ce n’était pas tout!

Quand elle y songeait, Alice de Lux se sentait assez experte en mensonge, assez fertile en inventions, assez sûre de la confiance du comte pour, à l’extrême rigueur, franchir ce pas dangereux…

Ce qui était effroyable dans son esprit, ce qui provoquait cette terreur que nous avons signalée, c’était un laconique billet qu’elle venait de recevoir.

On n’a pas oublié que ses conventions avec la reine Catherine l’obligeaient à déposer tous les soirs dans la plus basse fenêtre de la cour construite pour l’astrologue Ruggieri, une sorte de rapport de police. Généralement, elle se contentait de quelques mots vagues tracés d’une écriture contrefaite: