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– Ah! madame, s’écria amèrement l’astrologue, pourquoi ne pas me dire que vous avez résolu sa mort et que rien ne peut le sauver, puisque son père est impuissant et que sa mère le condamne!

– Je te répète qu’il n’est pas condamné!… pas encore!… Au contraire, s’il veut, bien des choses peuvent s’arranger. Écoute-moi, j’ai longuement et lentement étudié cette situation. Je crois vraiment que les choses pourraient s’arranger selon mes vœux…

Catherine garda un moment le silence comme si elle eût hésité à développer toute sa pensée. Mais elle était habituée à parler devant l’astrologue comme elle eût pensé tout haut. Ruggieri n’était pour elle qu’un écho fidèle, esclave de ses désirs, rompu à une longue obéissance absolue. Elle reprit:

– Qu’est-ce que je veux, au bout du compte? Je veux que mon fils, mon vrai fils selon mon cœur, mon Henri, soit roi sans conteste. Que Dieu appelle à lui ce malheureux Charles, et voilà Henri sur le trône. Cela se fera très simplement. Oui, mais devant nous se dresse un ennemi terrible. Entre cet ennemi et notre maison, pas de quartier possible. Il faudra que nous succombions ou qu’ils soient exterminés. Les Bourbons, René, voilà notre ennemi! Jeanne d’Albret, astucieuse, ambitieuse, convoite la couronne de France pour son fils Henri de Béarn. Et le trône de Navarre n’est pour elle qu’un marchepied pour atteindre plus haut. Si je ne suis pas devenue folle, je dois penser que la meilleure méthode pour me défendre, c’est de supprimer le marchepied. Que Jeanne d’Albret meure… que son fils se trouve sans royaume, et voilà les Bourbons écrasés à jamais!… Or, qui mettre sur le trône de Navarre?… Qui! sinon quelqu’un qui serait à moi, qui serait de ma race, et qui pourtant ne pourrait porter ombrage ni à l’Espagne, ni à la papauté: comprends-tu cela, René? Mon fils Henri, roi de France… et lui… ce fils inavouable, roi de Navarre?

Peut-être Catherine était-elle sincère. Peut-être rêvait-elle vraiment de donner au comte de Marillac la royauté de Navarre. Mais peut-être aussi, Ruggieri qui était habitué à poursuivre dans ses méandres cette pensée tortueuse devinait-il que Catherine voulait simplement se donner à elle-même le prétexte de demeurer implacable.

Il secoua tristement la tête, et lorsqu’il entendit frapper, lorsqu’il eut introduit Maurevert suivi de Marillac, il ne put s’empêcher de frémir en jetant à son fils un regard à la dérobée.

Maurevert, d’ailleurs, ne demeura pas dans la maison.

Sans doute, il avait reçu précédemment des instructions, car à peine eut-il mis le comte en présence de l’astrologue qu’il se retira aussitôt. Dans la salle du rez-de-chaussée, Ruggieri et Marillac demeurèrent un instant seuls, silencieux. L’astrologue tenait un flambeau qui tremblait dans sa main.

– Soyez le bienvenu dans cette maison, monsieur le comte! finit-il par dire d’une voix altérée.

Marillac, bouleversé lui-même par une indicible émotion, ne remarqua pas le trouble qui agitait l’astrologue. Il se contenta de s’incliner, et comme Ruggieri lui faisait un signe, il le suivit d’un pas ferme.

Arrivé au premier étage, Ruggieri poussa une porte et s’effaça pour laisser passer le comte le premier.

Marillac eut un rapide regard autour de lui; ce regard se reporta sur les mains de Ruggieri.

– Ne craignez rien, monsieur, dit l’astrologue en pâlissant du soupçon qu’il devinait chez son fils.

Celui-ci eut un haussement d’épaules désespéré; il passa, et aussitôt il se vit en présence de la reine Catherine qu’il vit assise dans son fauteuil.

– Ma mère! songea le jeune homme qui dévora la reine d’un ardent regard.

– Voilà donc mon fils! pensa la reine qui immobilisa son visage et prit une physionomie glacée.

Le comte palpitait.

Il attendait on ne sait quoi, peut-être un mot, un tressaillement, pour laisser éclater les sentiments qui gonflaient son cœur.

Un geste, peut-être, eût suffi pour qu’il tombât aux genoux de la reine et saisît sa main pour la baiser.

– Monsieur, dit froidement Catherine, je ne sais si vous me reconnaissez…

– Vous êtes… dit Marillac emporté par l’irrésistible besoin de passion filiale qui germait en lui.

Il allait crier:

– Vous êtes ma mère…

– Eh bien? interrogea Catherine dont le cœur à cet instant battit sourdement.

– Je reconnais Votre Majesté, reprit le comte, vous êtes la mère… du roi Charles IX de France…

– Vous m’avez donc déjà vue?

– Oui, madame. J’ai eu l’honneur d’apercevoir Votre Majesté à Blois.

– Bien, monsieur. Je vais vous parler en toute franchise. J’ai su que vous étiez à Paris; ce que vous y êtes venu faire, quelles personnes vous y avez accompagnées, je ne veux pas le savoir… Je sais seulement que le comte de Marillac est un ami fidèle de notre cousine d’Albret; je sais que la reine Jeanne a en vous une confiance sans borne; et comme je veux parler à cette grande reine à cœur ouvert, j’ai pensé que vous lui seriez un messager agréable…

Pendant que la reine parlait, Marillac la contemplait avec une ardente curiosité. L’indescriptible, la complexe émotion qu’il éprouvait, faite de mille émotions, le triple sentiment aigu que cette femme était sa mère, que cette mère était la reine la plus puissante du monde chrétien, que cette reine le ferait assassiner si elle soupçonnait qu’il se savait son fils, oui, cet état d’âme exceptionnel par ses causes et sa violence, dégagea de lui une électricité véritable, un fluide émotif qui se communiqua a Catherine.

Étonnée de ce regard qui pesait sur elle, de cette étrange pâleur qui s’étendait sur le visage du comte, elle s’arrêta frémissante, et il y eut quelques instants de silence, pendant lesquels Catherine, convulsée de haine et d’effroi, eut la sensation très nette que cet homme allait lui dire:

– Madame ma mère, dites-moi pourquoi vous m’avez abandonné!…

Tout ce choc de doutes, de soupçons, de désespoir, s’opéra dans le monde invisible des pensées.

Et l’orage qui se formait s’évanouit, se dissipa, lorsque le comte, faisant un effort sur lui-même, prit une attitude de respectueuse attente et répondit d’une voix très calme aux paroles que venait de prononcer la reine:

– J’attends les communications dont Votre Majesté veut bien me charger, et j’ose vous assurer, madame, qu’elles seront fidèlement transmises à ma reine…

– Il ne sait rien! pensa Catherine, qui eut un soupir de soulagement. Et comment saurait-il, d’ailleurs… Suis-je folle d’avoir de pareilles imaginations…

La certitude de la sécurité absolue rasséréna son visage. Selon son attitude favorite, elle s’accouda au bras du fauteuil, le menton dans sa main, et son regard, qui ne quitta pas une seconde le comte, parut se perdre dans le vague.

– Ce que j’ai à vous dire, reprit-elle de cette voix chantante où elle savait, quand il le fallait, mettre toute la musique des inflexions italiennes, est d’une extrême gravité. Cela demande quelques préliminaires. D’abord, comte, ne vous étonnez pas que je vous reçoive ici, la nuit, en présence d’un seul ami fidèle, au lieu de vous recevoir au Louvre, en plein jour, en présence de la cour. Il y a à cela deux motifs, le premier, le plus essentiel, c’est que tout le monde, excepté moi, ignore votre présence à Paris et celle de certains personnages. Je ne veux pas les livrer, je ne veux pas vous livrer à d’aveugles haines de parti… Le deuxième, c’est que toute la négociation dont je vous charge doit demeurer secrète…