Выбрать главу

– Vous porterez donc mes propositions à Jeanne d’Albret. Je vous nomme mon ambassadeur secret pour cette circonstance, et voici la lettre qui en fait foi.

À ces mots, Catherine tendit au comte un parchemin tout ouvert et déjà recouvert du sceau royal. Il contenait ces lignes écrites de la main de Catherine:

«Madame et chère cousine,

Je prie Dieu que les présentes trouvent Votre Majesté en santé et prospérité ainsi que je le souhaite. Émue des longues discussions qui déchirent le royaume de mon fils, j’ai chargé monsieur le comte de Marillac de vous faire d’équitables propositions qui, je pense, vous agréeront. Il vous dira le fond de ma pensée. Je pense également que le choix d’un tel ambassadeur ne pourra que vous être agréable.

Sur ce, madame et chère cousine, je prie Dieu qu’il tienne Votre Majesté en sa sainte garde.

En foi de quoi j’ai signé de mon nom…»

Le comte de Marillac mit un genou à terre pour recevoir cette lettre qu’il lut, qu’il plia et qu’il plaça dans son pourpoint. Il se releva alors et attendit que Catherine lui adressa à nouveau la parole.

La reine réfléchissait. Elle tournait et retournait dans sa tête la pensée qu’elle voulait émettre et jetait à la dérobée de sombres regards sur ce jeune homme qui était son fils.

Était-elle donc émue? Le sentiment maternel venait-il donc de fleurir tout à coup dans ce cœur comme une fleur dans un désert aride? Non: Catherine cherchait à deviner si Marillac était sincère dans son affection pour Jeanne d’Albret. Elle discutait avec elle même pour savoir s’il fallait le tuer ou en faire un roi…

Enfin, elle commença d’une voix hésitante:

– Maintenant, comte, nous en avons fini avec les affaires de l’État et de l’Église. Il est temps que nous parlions de vous. Et tout d’abord, je veux vous poser une question bien franche à laquelle vous répondrez franchement, j’espère… Voici cette question: Jusqu’à quel point êtes-vous attaché à la reine de Navarre? Jusqu’où peut aller votre dévouement pour elle?

Marillac frissonna. La question était toute simple en apparence. Mais fut-ce l’accent de Catherine? fut-ce la disposition d’esprit où il se trouvait? Le comte crut y entrevoir une sourde menace contre Jeanne d’Albret.

Catherine se douta peut-être de l’effet qu’elle venait de produire, car elle reprit, sans attendre la réponse:

– Comprenez-moi bien, comte. La reine de Navarre, si elle accepte, comme je n’en doute pas, les propositions que je lui soumets, viendra à Paris pour les fêtes de la grande réconciliation. Je veux, en effet, que le mariage de ma fille avec le jeune Henri soit l’occasion d’une joie populaire dont on gardera le souvenir pendant des siècles. Je veux que la liqueur rouge coule à flots dans les rues de Paris et que la flamme des feux soit telle qu’elle éclaire la ville pendant des nuits entières. Vous me comprenez, n’est-ce pas, comte? Jeanne d’Albret sera de la fête et aussi Henri de Béarn, et aussi Coligny, et vous-même, et tous ceux de la religion. Je veux qu’on voie enfin de quoi je suis capable quand je me mets en tête de pacifier le royaume… Mais ce n’est pas tout, comte! Je veux vous parler à cœur ouvert. Sachez donc que je rêve pour Henri de Béarn une destinée glorieuse. Puisqu’il va être de la famille, je lui veux un royaume véritable et digne de lui. Qu’est-ce que la Navarre? Un joli coin de terre sous le ciel, certes, et qui serait encore un royaume acceptable pour un gentilhomme dépourvu de tout au monde. Mais pour Henri de Béarn, je veux quelque chose comme une autre France… la Pologne, par exemple!

– La Pologne! s’écria le comte étonné.

– Oui, mon cher comte. J’ai des nouvelles sérieuses de ce grand État. Avant peu, sans doute, je pourrai disposer de ce beau trône… Je le réserve à un de mes fils. Et Henri de Béarn ne sera-t-il pas aussi mon fils, du jour où il aura épousé Marguerite de France? Dès lors, la Navarre n’a plus de roi.

– Majesté, dit fermement Marillac, je ne crois pas que Jeanne d’Albret abandonne jamais la Navarre…

– Tout est possible, comte, même que Jeanne d’Albret et son fils refusent la gloire que je rêve pour eux dans mon ardent désir d’effacer un triste passé. Mais enfin, si vous vous trompiez… si, pour une raison ou une autre, la Navarre se trouvait libre… eh bien, que dites-vous, monsieur?

– Je ne dis rien, madame… J’attends que Votre Majesté m’expose sa pensée…

– Eh bien, c’est tout simple: il faudrait trouver un roi pour la Navarre. Car ce beau pays ne pourrait rester décapité. Ce roi, je l’ai trouvé…

Marillac, étonné que la reine entrât dans de pareilles considérations devant lui, gentilhomme obscur, se demandait où elle voulait en venir. Il n’attachait d’ailleurs qu’une médiocre importance à cette partie de l’entretien. Ce qu’il voulait, ce qu’il cherchait, c’était un mot d’émotion réelle qui lui permît de pardonner à sa mère.

Dans ce cœur généreux, toute l’amertume accumulée pendant des années avait disparu.

Il subissait avec une passivité morbide et douloureuse la situation anormale où il se trouvait, la nécessité de se trouver pour la première fois de sa vie en présence de sa mère et de parler à cette mère comme s’il eût été étranger.

Dans tout cet entretien, il n’avait eu qu’une joie, mais profonde et sincère: la proposition de paix et de mariage.

Le reste disparaissait.

Et tandis que Catherine, avec des lenteurs calculées, des hésitations savantes, développait sa politique, son fils ne cherchait qu’à surprendre en elle un geste, une attitude, une lueur d’âme, un n’importe quoi qui la lui montrât digne de son affection sécrète, lointaine et discrète… et il rêvait que dans la foule des hommes qui maudissaient Catherine, il s’en trouvât un qui la bénît et l’aimât, et que ce fût lui!

Et Catherine de Médicis venait de lui dire sans qu’il y aperçût le moindre intérêt:

– Ce roi, je l’ai trouvé…

Presque aussitôt, la physionomie de la reine mère se durcit, se pétrifia; elle se raidit; elle se ramassa comme pour frapper un coup définitif, et d’un accent d’autorité irrésistible elle prononça:

– Ce roi, c’est vous!…

Ce mot produisit sur Marillac l’effet d’un coup de foudre. Il eut la sensation violente, instantanée, que Catherine savait qu’il était son fils. Un tremblement convulsif l’agita.

Et cette sensation, il voulut la transformer en certitude.

Oh! savoir coûte que coûte, savoir la vraie pensée de cette reine qui était sa mère.

– Moi! balbutia-t-il, moi! roi de Navarre!

– Vous, comte, dit tranquillement Catherine qui attribuait à la surprise d’une telle fortune la visible émotion du comte.

– Moi! reprit Marillac. Mais, madame, oubliez-vous que je ne suis rien!

– C’est une raison pour que de vous je veuille faire un tout.

– Madame! madame! s’écria le comte hors de lui, pour que d’un rien on fasse un tout, pour qu’un pauvre être sans nom devienne un roi, il faut de puissants motifs.

– Je les trouverai. Ne vous en inquiétez pas, comte!