– Vous ne me comprenez pas, madame! Ce n’est pas le motif de ma royauté que je cherche! C’est le motif qui vous pousse, vous, à vouloir faire de moi un roi! C’est la pensée qui vous guide! Ah! madame, c’est cela seulement que je veux savoir, le reste n’est rien! Et pour savoir cette pensée, Majesté, je mourrais volontiers bénissant cette minute!…
L’exaltation du comte surprit Catherine; mais encore une fois, elle l’attribua à l’étonnement.
– Qu’importe, comte! dit-elle. Ne vous ai-je pas dit que j’avais des vues sur vous? Saisissez la fortune qui passe à portée de votre main sans vous inquiéter du caprice qui l’a poussée de votre côté. Oui, je comprends la secousse qui doit ébranler vos esprits en ce moment. Mais sachez simplement ceci: je vous parle de bonne foi. Si étonnante que soit la fortune que je vous propose, elle vous est assurée… Toute la question maintenant est, pour moi, de savoir le degré d’affection qui vous rattache à Jeanne d’Albret… Cela, il faut que je le sache… Car c’est sur vous que je compte pour faire aboutir une entreprise que je mûris… qui doit rendre libre le trône de Navarre…
Et comme le comte faisait un mouvement:
– C’est-à-dire, ajouta-t-elle avec un sourire livide, l’entreprise qui doit assurer à Henri de Béarn un autre royaume…
Marillac baissa la tête. Son imagination se perdait à vouloir suivre de près les tortueuses explications de Catherine.
– Madame, dit-il d’une voix qui, triste et sourde au début, finit par devenir éclatante, madame, je ne sonderai donc pas les intentions de Votre Majesté, et me bornerai à répondre aux questions qu’elle me pose. Vous me demandez, madame, si j’aime la reine de Navarre, si je lui suis attaché, jusqu’où va mon dévouement pour elle… C’est bien cela que Votre Majesté désire savoir?
– En effet, monsieur… tout est là, pour le présent.
– Eh bien, voici, madame; vous avez prononcé tout à l’heure un mot qui m’a profondément ému. Vous avez dit: Moi aussi, je suis mère!… Je vous rappelle ce mot parce qu’étant mère, je suppose que vous portez en vous les affections sacrées d’une mère, et que vous mourriez plutôt que de faire souffrir volontairement un de vos enfants. Vous devez comprendre aussi, du moins je le suppose toujours, quelle peut être l’affection d’un fils pour sa mère…
Une sorte de pâleur livide s’était étendue sur le visage de Catherine.
– Monsieur, dit-elle sourdement, vous avez d’étranges façons de vous exprimer… vous supposez que j’ai des sentiments maternels, vous supposez que je dois comprendre l’affection filiale… En douteriez-vous par hasard?…
– Pardonnez-moi, madame, dit Marillac avec une froideur terrible; il m’est permis de tout supposer, de douter de tout, depuis que j’ai été abandonné par ma mère.
– Monsieur!… Un gentilhomme peut douter de tout au monde, excepté de la parole d’une reine!
– Ah! madame, vous m’avez demandé quelle est mon affection pour ma reine. C’est celle d’un fils! Je ne suis pas un gentilhomme, moi! J’ignore qui fut mon père. Je ne sais pas, au bout du compte, si je suis né de quelque roturier, de quelque laquais que la honteuse passion d’une grande dame n’a pu anoblir…
– Prenez garde, jeune homme, murmura sourdement Ruggieri, prenez garde!…
Mais Déodat n’entendait plus rien. Il s’était rapproché de Catherine, et la parole rauque, le regard flamboyant, il laissait s’exhaler sa colère filiale:
– Vous voyez bien, madame, que je ne saurais avoir les sentiments que vous prêtez aux gentilshommes, et qu’il m’est permis de douter de tout, même d’une reine! Et qui me prouve, après tout, que ma mère n’est pas une reine! Le champ des suppositions m’est ouvert et je m’y enfonce comme dans une obscure forêt avec la certitude de ne jamais apercevoir la lumière sauveuse qui va guider mes pas furtifs, mes recherches désespérées! Oui, madame! qui pourra jamais me prouver que ma mère, la femme lâche et vile qui me donna la marche d’une église pour berceau, qui me condamna à mourir à peine né, qui me prouvera que cette femme n’était pas, en effet, quelque grande reine qui aura voulu ensevelir dans ma tombe le secret de sa faute! Car qui suis-je, moi? Moi que vous voulez faire monter sur un trône! Un enfant trouvé, madame! Un malheureux que son père et sa mère ont renié à sa naissance, un être douteux à qui les plus méchants refusent la main, à qui les plus généreux accordent un peu d’estime comme une aumône… car nul ne sait de quel criminel accouplement je suis issu! Une femme, une seule, a eu pitié de moi. Cette femme m’a ramassé, m’a pris dans ses bras, m’a emporté, m’a élevé à l’égal de son fils; elle a eu pour moi les sourires et les caresses que ma mère eût dû avoir; enfant, elle m’a charmé de sa bonté inépuisable; jeune homme, lorsque j’ai connu le malheur de ma naissance, elle m’a prodigué les consolations… cette femme, c’est une véritable mère… c’est ma reine… c’est la grande et noble Jeanne d’Albret… Et vous me demandez si je l’aime, madame! Je l’aime comme on peut aimer sa mère; mon dévouement pour elle va jusqu’à lui consacrer tout ce que je possède au monde, c’est-à-dire simplement ma vie! Je mourrai heureux le jour où ma reine me dira que ma mort lui est utile. Jusque-là, madame, je vivrai dans l’ombre tutélaire qu’elle a répandue sur moi et dont elle me couvre; je vivrai près d’elle, décidé à surveiller quiconque l’approchera, et à frapper de ma main qui ne tremblera pas, je vous jure, quiconque m’inspirerait un soupçon… Un dernier mot, madame et reine… quant à ma véritable mère, quant à celle qui m’a abandonné, tout ce que je puis souhaiter pour elle, c’est de ne jamais la connaître!…
Le comte de Marillac, en disant ces mots, se recula, croisa les bras sur sa poitrine et attendit. Peut-être espérait-il encore quelque cri de Catherine… Mais il connaissait mal la reine.
Sans émotion apparente, sans qu’un pli de son visage eût tressailli, elle se contenta de hocher la tête.
– Je comprends, monsieur, dit-elle, je comprends tout ce que vous avez dû souffrir, et je comprends aussi votre affection pour ma cousine d’Albret. Je vois qu’on ne m’avait pas trompée. Vous êtes bien l’homme au noble cœur qu’on m’avait dépeint. Je puis donc compter sur vous pour tout ce qui concerne le bonheur de la reine de Navarre. C’est tout ce qu’il me fallait. Allez, comte: nous reprendrons bientôt les grand projets dont je vous ai entretenu. Plus que jamais, je vous trouve digne d’occuper le trône de Navarre si Henri de Béarn accepte un autre royaume. Pour le moment, il suffit que vous fassiez tenir à la reine, ma cousine, les propositions que j’ai formulées…
Selon l’usage, Catherine, en donnant ainsi congé au comte, lui tendit sa main à baiser. Mais sans doute le jeune homme ne vit pas ce mouvement. Car il se contenta de s’incliner profondément. La main de la reine retomba lentement sur le bras du fauteuil.
Marillac se retira. Ruggieri fit un mouvement comme pour l’accompagner. Mais Catherine le retint d’un regard impérieux. Dès qu’elle eut compris que Marillac avait atteint la salle du rez-de-chaussée, elle saisit la main de l’astrologue.
– Il sait! dit-elle.
– Je ne crois pas! balbutia Ruggieri.
– Et moi, je te dis qu’il sait!… Allons, vite, le signal!…
– Madame! madame! c’est notre enfant!…
Violemment, elle l’entraîna à la fenêtre qu’elle ouvrit elle-même.