– Le signal! gronda-t-elle.
À ce moment, Marillac apparaissait sur le pont. Catherine entrevit sa haute et ferme silhouette élégante.
– Grâce, Catherine! bégaya le père épouvanté. Grâce pour l’enfant de notre amour! ajouta-t-il, espérant gagner quelques secondes précieuses en un pareil moment.
Catherine, sans rien dire, lui arracha un sifflet qu’il portait suspendu à une chaînette d’or, et elle l’approcha de ses lèvres. Elle allait siffler, jeter le signal dont elle parlait…
Ruggieri, vivement, lui saisit le bras.
– Voyez! prononça-t-il à voix basse.
À ce moment, sur les décombres, en face de la fenêtre, une ombre venait de se dresser. L’homme ainsi entrevu par Catherine et Ruggieri, rejoignit rapidement le comte, le prit par le bras, et tous deux s’éloignèrent.
Cet homme, c’était le chevalier de Pardaillan.
– Il s’était fait accompagner! murmura Catherine avec un accent de rage qui épouvanta Ruggieri.
– Oui! répondit celui-ci. Et sans doute d’autres hommes sont postés dans le voisinage. Nos quatre spadassins n’en viendraient pas à bout… D’ailleurs… voyez, il est trop tard maintenant!
L’astrologue poussa un soupir de soulagement.
Catherine jeta violemment le sifflet contre le mur et grinça:
– Il m’échappe, pour ce soir… mais ce n’est que partie remise. Je sais maintenant où le trouver… Il sait tout, René! Comment? Par qui? Ah! sans aucun doute, par l’infernale Jeanne d’Albret! C’est elle qui lui a dit la vérité…Mais comment a-t-elle su, elle-même?… Oh! il faut que cet homme meure avant peu… il faut que Jeanne disparaisse…
Elle s’apaisa tout à coup et tomba dans une méditation profonde.
Peu à peu son visage s’éclaira de ce sourire terrible que l’astrologue connaissait bien…
– Madame, demanda-t-il en essayant une diversion, ces arrestations préparées…
– Non, non! fit-elle vivement. Qu’on laisse tranquilles Coligny et le roi de Navarre… Ne vois-tu pas, René, que l’homme qui sort d’ici va leur dire que je sais leur présence à Paris? Et qu’ils vont admirer ma générosité?… Allons, allons, je crois que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Dans un mois, tout ce qu’il y a de huguenots en France sera à Paris en pleine sécurité… et alors…
Le bras de Catherine se tendit vers la fenêtre. Ses lèvres, qui s’agitèrent, semblèrent jeter sur la ville endormie quelque redoutable et silencieux anathème… Ruggieri frissonna.
XLIII À QUOI S’AMUSAIT LE PETIT JACQUES CLÉMENT
Le chevalier de Pardaillan accompagna Marillac jusqu’à la porte de l’hôtel Coligny. Il était à ce moment environ minuit. Pendant le trajet, Marillac, violemment ému de la scène que nous venons de raconter, ne dit que peu de mots. Mais il pria son ami d’entrer avec lui dans l’hôtel, ce à quoi Pardaillan consentit.
Le comte fit réveiller aussitôt le roi de Navarre, Coligny et leurs compagnons.
Le futur Henri IV dormait de tout son cœur lorsqu’on vint le secouer.
Il sauta de son lit et saisit son épée en s’écriant d’une voix altérée:
– Est-ce qu’on se bat?
– Non, sire. C’est M. le comte de Marillac qui désire vous faire une communication d’une extrême importance.
Le jeune roi de Navarre laissa retomber son épée en poussant un soupir de satisfaction. Il était devenu fort pâle à la pensée que si on le réveillait ainsi, ce ne pouvait être que pour en découdre. Et tout en se faisant habiller, il tremblait légèrement. Il se mit à rire et grommela:
– Ah çà! qu’as-tu à trembler ainsi?… Tremble, carcasse, tu en verras bien d’autres!…
Henri de Béarn qui avait un grand courage moral, n’était pas, en effet, à l’abri de cette infirmité physique que connaissent presque toutes les natures nerveuses: la peur de la blessure, l’horreur du sang. Cela ne l’empêchait pas de se bien battre.
Dès que le roi, Coligny, Condé et d’Andelot furent réunis, Marillac leur dit que Catherine de Médicis connaissait leur retraite.
– Il faut fuir, dit Coligny simplement.
Il faut rester, répondit le roi de Navarre avec fermeté, mais sans pouvoir réprimer un frisson. Si Catherine n’a pas encore fait cerner cette maison, c’est qu’elle a des intentions qu’il faut connaître à tout prix.
– Votre Majesté est dans le vrai, dit Marillac.
Il raconta alors de point en point son entrevue avec la reine. Une longue discussion s’ensuivit, et il fut convenu que la reine Jeanne, véritable chef des huguenots, devait être mise au courant. Les propositions de Catherine furent d’ailleurs bien accueillies par Coligny, qui rêvait sincèrement la paix et que l’idée d’aller porter secours aux protestants des Pays-Bas enthousiasma.
On décida que Marillac partirait aussitôt que possible, c’est-à-dire dès l’ouverture des portes.
Il alla retrouver Pardaillan qui s’était à moitié endormi sur un fauteuil et lui expliqua ce qui se passait.
– Voici, ajouta-t-il en terminant, ce que j’attends de vous, mon ami. Mon absence peut durer un mois. En cette affaire, c’est un bonheur que j’aie songé à vous présenter à Alice. Vous irez la voir; vous lui direz que je vais retrouver la reine de Navarre, et pour que la séparation lui soit adoucie, dites-lui que je compte profiter de ce voyage pour raconter notre amour à la reine. Il est vraisemblable que Jeanne d’Albret va venir à Paris; à ce moment-là, j’espère, rien ne s’opposera à ce qu’Alice devienne ma femme. Voilà, mon cher ami, les bonnes nouvelles que je vous prie de porter à celle que j’aime. Dites par vous, elles n’en auront que plus de prix.
Les deux amis passèrent une heure encore à deviser de ce qui les intéressait le plus au monde, Pardaillan de Loïse, et Marillac d’Alice de Lux. Puis ils s’embrassèrent, et le chevalier regagna l’hôtel de Montmorency pour y prendre un peu de repos.
Quant à Marillac, il partit au point du jour comme c’était convenu.
Quelques jours plus tard, le bruit commença à se répandre dans Paris que la paix de Saint-Germain, de boiteuse et mal assise qu’elle était, allait devenir parfaitement solide sur ses pieds et tout à fait inamovible. La reine donnait l’exemple et disait tout haut à la cour que c’était un crime de répandre le sang au nom de la religion. Le roi chassait le sanglier, heureux d’en avoir fini avec les tracas de la guerre. Dans les églises, les prédicateurs ne fulminaient plus; et les plus enragés catholiques gardaient le silence, comme s’ils eussent obéi à un mot d’ordre.
Bientôt, ce fut bien mieux: on apprit que le roi Henri de Béarn devait épouser Marguerite de France et que des fêtes magnifiques devaient avoir lieu à ce propos, et que Jeanne d’Albret allait faire son entrée dans Paris, escortée de tout ce que le royaume comptait de huguenots illustres.
Le peuple, le bon peuple s’étonna qu’après avoir tant et si bien voulu exterminer les huguenots, la cour les eût pris tout à coup en si vive affection. Et comme sa passion religieuse avait été exaspérée, le peuple trouva quelque déception dans le nouvel état de choses.
Quoi qu’il en soit, vers la fin de juin, nombre de huguenots notoires se promenaient ouvertement dans Paris, et bientôt on sut que monsieur l’amiral était arrivé, et chose fantastique, que monsieur de Guise l’avait embrassé!