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Mais tout ceci viendra en temps et lieu: n’anticipons pas, comme on disait dans les vieux romans!

Le chevalier de Pardaillan, pendant toute cette période, erra à travers Paris comme une âme en peine.

Ses recherches pour retrouver Loïse n’aboutissaient à aucun résultat…

Le maréchal de Montmorency, de plus en plus sombre, commençait à perdre tout espoir. Et le pauvre chevalier en arrivait à se dire que, sans aucun doute, Loïse et sa mère avaient été entraînées au fond de quelque province.

Quant à son père, non seulement il ne lui apportait pas les nouvelles promises, mais il avait complètement disparu.

Plusieurs fois le chevalier avait essayé de pénétrer à l’hôtel de Mesmes par le moyen qui lui avait réussi une fois. Mais il eut beau faire le tour de l’hôtel, sauter par-dessus le mur du jardin, jamais il n’entrevit le minois de Jeannette, ni le profil grotesque de Gillot, ni la face de carême de l’intendant; porte et fenêtres demeuraient obstinément closes.

Quant à Marillac, il était au loin, accomplissant sa mission auprès de Jeanne d’Albret.

Le chevalier avait, le jour même du départ de son ami, tenu sa promesse en allant voir Alice de Lux. Celle-ci l’accueillit avec une sorte de joie fiévreuse, qui était bien rare chez cette fille, habituée à la plus extrême prudence. Son premier mot fut pour demander si son fiancé n’avait pas été assailli en sortant de chez elle.

– Rassurez-vous, madame, répondit Pardaillan; tout s’est passé le mieux du monde. Et M. le comte n’a pas eu à dégainer, personne n’ayant songé à nous attaquer.

– Cependant, monsieur, vous venez seul… dit Alice.

Pardaillan raconta alors comment un gentilhomme inconnu les avait accostés, comment ce gentilhomme avait invité le comte à le suivre jusque chez la reine…

– Chez la reine! s’écria Alice frémissante. Au Louvre?… Ah! il n’en sortira pas!…

– Non, pas au Louvre, madame! mais en certaine maison du Pont de Bois. Et il en est sorti parfaitement sain et sauf, à telles enseignes que moi qui l’attendais à la porte l’ai accompagné jusqu’à l’hôtel de la rue Béthisy.

– Et, reprit Alice pensive, hésitante et troublée, il ne vous a rien dit de cette étrange entrevue?

– Si fait. M. le comte est chargé d’une ambassade secrète auprès de la reine de Navarre, il a dû quitter Paris ce matin et m’a chargé de vous venir rassurer.

Alice avait pâli. Elle se mordait les lèvres. Mille questions qu’elle n’osait formuler se pressaient dans son esprit. Le chevalier suivait attentivement ces indices d’émotion. Les vagues soupçons qu’il avait conçus contre Alice prenaient de plus en plus de consistance. Et il prit dès lors la résolution de surveiller cette femme, de savoir au juste qui elle était.

Une seule chose le rassurait: de toute évidence, elle aimait sincèrement Marillac.

Mais alors, que signifiait ce trouble?

Le plus naturellement du monde, il acheva sa mission en disant à Alice:

– Mais ce n’est pas tout, madame. Mon ami m’a chargé de vous dire qu’il veut profiter de son voyage auprès de la reine de Navarre pour l’informer de son amour pour vous…

Pardaillan avait à peine achevé ces mots qu’Alice se mit à trembler convulsivement. Une pâleur mortelle s’étendit sur son visage et, d’une voix morne, elle murmura:

– Je suis perdue!

– Vous m’avez sans doute mal compris, madame! s’écria Pardaillan. Monsieur le comte est résolu à demander à la reine l’autorisation de vous épouser dès son retour à Paris… Je pensais vous apporter une grande joie…

– Oui… en effet… balbutia Alice… c’est une bien grande joie… ah? je me meurs…

– Par Pilate! elle perd connaissance! Holà! du secours! cria Pardaillan.

Alice de Lux, en effet, était tombée à la renverse, évanouie. Elle demeurait immobile, comme morte. Et le chevalier, avec un indicible mélange de pitié et de doute, vit que, dans l’évanouissement, deux larmes qui roulaient sur les joues décolorées de la malheureuse indiquaient seules qu’elle vivait encore.

À ses cris, la vieille Laura arriva tout effarée; elle avait d’ailleurs tout écouté à travers la porte.

– Ne vous inquiétez pas, dit-elle avec un sourire qui parut bizarre à Pardaillan, ma nièce est sujette à ces vertiges; la moindre émotion de crainte… ou de joie la met dans cet état; mais ce ne sera rien.

En parlant ainsi, la vieille bassinait les tempes d’Alice avec du vinaigre et s’efforçait de lui faire avaler quelques gouttes d’un élixir contenu dans un petit flacon.

– Ah! fit machinalement le chevalier, madame est votre nièce?

– Oui, monsieur… la seule parente qui me reste… Ah! la voici qui revient à elle… Allons, mon enfant, pourquoi vous agiter ainsi… vous avez donc éprouvé quelque secousse?… une douleur, peut-être?

Alice qui rouvrait les yeux aperçut le chevalier.

– Non, répondit-elle en faisant un effort presque sublime.

– Une joie, alors? insista l’atroce vieille.

– Oui!… fit Alice d’une voix infiniment triste.

L’instant d’après, elle paraissait remise. Elle avait, d’ailleurs, repris son sang-froid et reconquis cette force d’âme qui faisait d’elle une femme réellement extraordinaire. Le chevalier, par discrétion, voulut se retirer. Mais elle le retint et voulut savoir par le détail tout ce que Pardaillan savait; elle se fit répéter à plusieurs reprises les paroles du comte, et Pardaillan dut recommencer le récit de la nuit et des incidents auxquels il avait assisté. Alice écouta tout cela avec une attention soutenue qui, après son évanouissement, parut très remarquable au chevalier.

Enfin, il se retira plus intrigué que jamais, se promettant bien de déchiffrer le mystère qu’il devinait là. Mais lorsque, quelques jours plus tard, il voulut faire une visite à Alice, il trouva la maison fermée comme l’hôtel de Mesmes. Il interrogea des voisins; mais nul ne put lui donner le moindre renseignement.

Ce fut ainsi que Pardaillan se trouva dès lors complètement isolé dans Paris. Seul, le maréchal de Montmorency lui restait. Ils passaient ensemble de longues heures à combiner des plans de recherche dont aucun n’aboutissait.

Le chevalier, désœuvré, mortellement ennuyé, employait donc le plus clair de son temps à se promener dans Paris, ruminant des projets, l’œil et l’oreille au guet, mais ne voyant et n’entendant jamais rien qui pût le mettre sur une piste.

Par bonheur, il ne fut jamais aperçu d’aucun de ceux qui eussent eu intérêt à le voir… et qui le croyaient mort.

Il ne rencontra ni Maurevert, ni aucun des mignons.

Un jour qu’il avait franchi les ponts et qu’il errait dans l’Université, le hasard le conduisit sur la montagne Sainte-Geneviève, dans une ruelle solitaire qui longeait le couvent des Carmes sur son flanc gauche.

Diverses maisons s’adossaient aux murailles du couvent des Barrés.

Et même, plusieurs de ces maisons, par une porte de derrière, communiquaient avec le couvent. C’étaient en général des boutiques que les moines subventionnaient en secret et où on vendait des objets de piété, tels que chapelets, médailles, selon un usage qui s’est perpétué jusqu’à nos jours autour des grandes basiliques.