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Enfin, il put penser. Et sa première pensée fut:

«Tiens! je ne suis pas mort?»

La deuxième pensée qui put se formuler au bout de quelques minutes dans son cerveau affaibli, fut celle-ci:

«À moins, toutefois, que je ne sois enterré.»

L’horreur de cette supposition le galvanisa.

– Par tous les diables! gronda-t-il. Enterré ou non, il me semble pourtant que je suis vivant!…

Il parvint à se traîner pendant une dizaine de pas, et constata ainsi avec une indicible satisfaction qu’il ne se trouvait nullement dans un tombeau.

– Mais alors, bégaya-t-il, où diable suis-je en ce moment? Pourquoi y suis-je? Que fais-je là?… Mort-Dieu! que j’ai donc soif! Jamais soif aussi assoiffée ne dessécha un gosier chrétien!… À boire, par l’enfer! à boire, par l’enfer, à boire, ou j’enrage!…

En grommelant ainsi des paroles où il avait un peu de délire, le blessé continuait à ramper sur le sol humide, «à quatre pattes». Soudain, l’une de ses mains se posa sur quelque chose de frais, de poussiéreux, de rond, ou plutôt de cylindrique.

– Qu’est-cela? grogna-t-il.

Il voulait saisir la chose, et aussitôt, il y eut comme un écroulement; il sembla à Pardaillan que du verre se cassait, et l’instant d’après, il s’aperçut qu’un liquide quelconque mouillait ses jambes. Le bruit, l’émotion que ce bruit répercuta dans son esprit vacillant, et surtout la fraîcheur du liquide qui baignait ses jambes achevait de lui rendre sa raison, et avec sa raison, la faculté de concevoir et d’imaginer ce que pouvait être la chose selon les apparences.

– Une bouteille! s’exclama-t-il. Est-ce possible?… Oui-dà! C’est une bouteille! Que dis-je!… C’est tout un lot de bouteilles! Pleines!… Oui! pleines!… Or çà! pleines de quoi?… Voyons!

D’un coup sec appliqué au hasard sur le sol, le goulot de la bouteille sauta.

Pardaillan se mit à boire avec délice: ce qu’il buvait, c’était un vin frais, généreux, capiteux, doux au palais, chaud au cœur.

– Voilà qui réveillerait un mort! dit-il après avoir vidé d’un trait la moitié de la bouteille.

Et pour achever de se réveiller tout à fait, lui qui n’était qu’à moitié mort, il vida le flacon jusqu’à la dernière goutte.

– Ouf! prononça-t-il alors, il me semble, sauf erreur, que je dois être dans une cave. Voyons, que m’est-il arrivé?

Déjà l’effet du vin généreux se faisait sentir. Pardaillan comprenait que ses forces lui revenaient, avec les forces, la mémoire.

Dès lors, la scène de la querelle chez Damville, la fureur du maréchal, l’irruption des forcenés, la dégringolade dans l’escalier, la bataille effroyable dans le boyau du couloir, et enfin la chute au fond de la cave, tout cela se représenta nettement à son esprit.

– C’est bon! fit-il en hochant la tête. Puisque je n’ai pas été tué, puisqu’ils ne sont pas descendus m’achever ici, voyons à prendre des forces. Et d’abord, où en suis-je? Je ne crois pas dépasser les bornes de la vérité en m’affirmant que je n’ai rien de cassé. Mais n’ai-je rien de perforé?… Voyons un peu…

Là-dessus Pardaillan, qui s’y connaissait certes mieux qu’un chirurgien, se mit à se palper, à se visiter longuement.

Le résultat de cet auto-examen fut celui-ci:

Premièrement, il avait une plaie contuse en arrière de la tête; ladite plaie provenant sans doute de la chute au long de l’escalier de la cave; item, pour les mêmes causes, une dent brisée et le nez écorché; item, pour les mêmes motifs, une douleur lancinante au coude du bras droit.

Deuxièmement, il avait une blessure à la main droite provenant de son duel avec d’Aspremont, ladite blessure s’étant rouverte pendant la mêlée dans le couloir.

Troisièmement, une estafilade au poignet gauche.

Quatrièmement, une plaie profonde un peu au-dessus du genou droit.

Cinquièmement, l’épaule droite déchirée.

Sixièmement, une blessure pénétrante au sein droit.

Tout compte fait, et l’examen le plus sévère ayant été établi, Pardaillan ne se trouva pas autre plaie ou blessure, et estima qu’en somme, il n’y avait pas dans tout cela de quoi mourir au fond d’une cave.

– Éclopé, dit-il, blessé du haut en bas, couturé, tailladé, en pièces et morceaux, je n’en demeure pas moins Pardaillan tout entier. Tâchons simplement de nous raccommoder de notre mieux.

Il faut croire pourtant que tout cela présentait un ensemble respectable; car soit par les efforts qu’il venait de faire, soit par le sang qu’il avait perdu, le vieux routier s’évanouit une deuxième fois.

Mais ce second évanouissement fut beaucoup plus court que le premier et lorsqu’il revint à lui, la soif n’ayant pas diminué, au contraire, il se trouva tout porté sur le tas de bouteilles. Le remède lui ayant déjà réussi, il se hâta d’en décapiter une qu’il vida en toute conscience, comme un malade qui tient à suivre jusqu’au bout l’ordonnance du médecin.

Alors, il entreprit de bander ses blessures.

Tant bien que mal, il put se défaire en partie de ses vêtements.

Et comme il portait chemise sous, le pourpoint, il s’écria:

– Voilà, pardieu, de quoi panser et bander vingt blessures!

Il retira aussitôt sa chemise, détail que nous n’oserions pas donner si nous écrivions pour des Anglaises; avec cette habileté et cette adresse que donne seule une longue habitude, il se mit à lacérer la pauvre chemise, qui en peu de minutes, fournit un lot de bandages excellents.

N’ayant pas d’eau pour laver ses blessures, ce fut avec du vin que Pardaillan les lava. C’est également de ce bon vieux vin généreux qu’il mouilla les tampons de linge qu’il appliqua sur lesdites blessures et plaies.

Nous ignorons si notre héros recevra l’approbation des chirurgiens pour cette méthode de pansement interne et externe dont Bacchus faisait à lui seul les frais. Ce qui est certain, c’est que ces diverses opérations une fois terminées, le vieux routier ressentit un réel bien-être.

Il put se mettre debout et à tâtons s’exerça à faire quelques pas. Il eut un grognement de satisfaction: en somme, la vieille machine tenait bon, et Pardaillan calcula que moyennant une quinzaine de jours de repos, il serait à peu près guéri.

Sur ce, il chercha un coin pas trop humide, pas trop dur et s’y endormit profondément.

Quand il se réveilla, ses idées s’étaient comme éclaircies.

«Raisonnons, maintenant, se dit-il en se mettant sur son séant, au moment où le sommeil m’a pris, sommeil réparateur, médecin magique, grand guérisseur s’il en fut, à ce moment-là, dis-je, je m’affirmais à moi-même que quinze jours de repos suffiraient pour cicatriser tous ces coups d’épingle. Fort bien. Quinze jours de repos, cela implique: 1° un bon lit; 2° des boissons rafraîchissantes; 3° une nourriture agréable et substantielle… Hum! Diable! où vais-je trouver tout cela?»