Il regarda autour de lui, essayant de percer les ténèbres de la cave.
– Ah çà! grommela-t-il, est-ce bien la peine de se préoccuper de mes blessures et de mes quinze jours de repos? Si je ne me trompe, dans quatre ou cinq jours au plus tard, la mort viendra me guérir des unes et m’offrir l’autre pour jamais! En effet, je vais mourir de faim… C’était vraiment la peine de m’être tiré sain et sauf de plus de vingt embuscades, de plus de trente combats et batailles, de plus de cent duels, pour venir mourir de faim dans ce trou! Il fait noir, il fait froid, je suis faible… allons, toute résistance est inutile!
En parlant ainsi, Pardaillan se leva, retrouva l’escalier qui montait à la porte et essaya de voir si, par quelque manière, il en viendrait à bout… mais il se rendit compte facilement qu’autant eût valu essayer de percer les épaisses murailles qui servaient de fondements à l’hôtel.
Alors seulement la pensée lui vint que s’il ne pouvait pas ouvrir, il n’en était pas de même de ceux qui étaient au dehors, et qu’on pouvait venir l’égorger pendant son sommeil.
Par une bizarre contradiction, ou par un dernier espoir, Pardaillan, qui consentait à mourir de faim, se refusa énergiquement à mourir égorgé. Après tout, on peut avoir des préférences.
– Quoi qu’il en soit, il résolut de barricader la porte et d’empêcher qu’on pût entrer dans la cave, puisqu’il ne pouvait en sortir.
Il redescendit donc l’escalier pour se mettre en quête des matériaux nécessaires, et pour se donner du cœur à l’ouvrage, commença par se diriger vers le coin aux bouteilles, en saisit une qu’il décapita et la porta à ses lèvres.
Mais il s’arrêta court dans ce mouvement et poussa un juron.
Il palpitait d’une émotion plus violente qu’au moment où il s’était vu assaillir par la bande forcenée du maréchal de Damville.
En effet, il venait soudain de se rappeler le récit détaillé que le chevalier lui avait fait de son séjour dans les caves de l’hôtel.
Or, dans ce récit avaient figuré en bonne place certains jambons que le chevalier avait simplement traités de succulents.
On comprend dès lors l’émotion du vieux Pardaillan.
– Mais si je suis dans la même cave que mon fils!… Si les jambons sont encore à leur place!… et pourquoi n’y seraient-ils pas?… je serais donc sauvé!… Tout au moins sauvé de la mort par la famine, ce qui, tout de même serait une bien vilaine mort!…
Pardaillan vida sa bouteille et se mit à la recherche de la mine aux jambons avec d’autant plus de zèle que, malgré la fièvre, la faim commençait à lui tirailler l’estomac.
Nous ne rendrons pas compte de cette recherche, et des alternatives d’espoir et de découragement par lesquelles passa le vieux routier, tel un naufragé qui interroge avidement l’horizon.
Disons seulement qu’il trouva les jambons!
Ils étaient proprement arrangés sur de la paille, en sorte que Pardaillan, en attaquant le premier, se dit avec satisfaction:
– Voici le lit, voici les boissons rafraîchissantes, et voici la nourriture aussi agréable que substantielle. Voilà donc mes quinze jours de repos assurés.
Ajoutons qu’il parvint à barricader la porte au moyen de madriers.
Il était sûr, désormais, qu’on ne pourrait plus arriver à lui pendant son sommeil, sans le réveiller.
Et comme, s’il avait perdu sa rapière dans le combat, il avait au moins conservé sa dague, il avait de quoi se défendre.
Peu à peu, il s’habitua à l’obscurité; le mince filet de lumière qui tombait d’un soupirail finit par lui paraître un véritable rayon de jour.
Il put ainsi se rendre compte des jours et des nuits.
Le temps s’écoulait cependant. Grâce à une constitution de fer, Pardaillan triompha rapidement de la fièvre.
Les blessures se cicatrisèrent.
Malheureusement, la mine aux jambons s’épuisa avec non moins de rapidité.
Et pourtant, avec son habitude des sièges, le vieux renard avait tout de suite pensé à se rationner, il l’avait fait scrupuleusement le premier moment.
Malgré l’économie qui devint vite de la parcimonie, pour se tourner enfin en ladrerie, Pardaillan s’aperçut un jour qu’il ne lui restait plus qu’un jambon.
À ce moment, il y avait peut-être un mois, ou peut-être plus encore qu’il était dans cette cave.
Les blessures étaient guéries.
Le vieux routier se sentait plus vigoureux que jamais.
Somme toute, jusque-là, il n’avait souffert ni de la faim ni de la soif. Mais maintenant le problème allait se poser à nouveau; et cette fois, il était inéluctable.
En effet, pendant ce long séjour, Pardaillan avait employé son temps et toutes les ressources de son imagination à trouver un moyen d’évasion.
Les projets se succédèrent dans son esprit, mais à la pratique, il dut en reconnaître l’inanité et les abandonner l’un après l’autre.
La vérité lui apparut effroyable:
Il n’y avait aucun moyen de sortir de là!
Dans deux jours, trois jours au plus, il allait se trouver sans vivres!
Et alors commencerait une longue et terrible agonie pour aboutir à la mort la plus douloureuse!
XLV JEANNE D’ALBRET
Au moment où le comte de Marillac se mit en route pour accomplir la mission de confiance que lui avait donnée Catherine, la reine de Navarre se trouvait à La Rochelle, place forte qui, sans être encore cette sorte de capitale protestante qu’elle allait devenir après la Saint-Barthélemy, n’en était pas moins considérée par les réformés comme le meilleur de leurs refuges.
Jeanne d’Albret avait concentré là les forces dont elle disposait.
Elle avait imaginé un plan aussi simple que hardi, et qui comportait deux actions simultanées.
Il consistait à réunir sous les murs de La Rochelle tout ce qu’il y avait de protestants en France décidés à risquer un grand coup pour conquérir la liberté de conscience, c’est-à-dire non seulement le droit de penser autrement que les catholiques, mais l’existence civile dans un pays où ils étaient exclus de toutes les charges et de tous les emplois.
En un mot, elle jugeait que l’heure était venue de vaincre ou de mourir.
Une fois cette armée réunie et organisée, elle en prendrait le commandement elle-même et marcherait droit sur Paris.
Telle était la première action du plan.
La deuxième consistait à tenter dans l’intérieur même de Paris un coup de main qui devait coïncider avec l’apparition de Jeanne d’Albret sur les hauteurs de Montmartre par où elle comptait attaquer.
Ce coup de main, c’était l’enlèvement du roi Charles IX que l’on eût transporté au camp des réformés.
Coligny, Condé, Henri de Béarn devaient prendre les devants, s’installer dans Paris et y préparer l’enlèvement.
Trois ou quatre cents protestants devaient, par petites troupes ou même isolément, entrer dans la capitale de Charles IX et occuper peu à peu tout le côté de la ville situé entre le Louvre et les fossés Montmartre.