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Il jeta autour de lui des regards sanglants. Celui qui lui eût cherché querelle à ce moment eût été un homme mort.

«Il n’y a rien, se répéta-t-il. Il ne peut rien y avoir.»

En même temps, la conviction s’enracinait en lui, qu’il y avait «quelque chose». Et ce fut la crainte d’apprendre ce quelque chose plus encore que celle de déplaire à la reine, qui le décida à s’éloigner.

«Ce qui est étrange, continua-t-il à songer en marchant, c’est que les deux seuls amis à qui j’aie parlé d’elle, ont eu des réserves mystérieuses. Voici Pardaillan, par exemple. Il ne la connaissait pas. Je le conduis chez elle. Je lui demande ce qu’il en pense. Et il me paraît tout embarrassé… Pourquoi?… Il m’a dit exactement: «Qui sait si elle ne connaît pas des choses que vous ignorez?» Quelles choses? Alice aurait donc des secrets pour moi? Quels secrets?… Voici ensuite la reine. Là, le doute s’amplifie. La reine dit qu’elle ne connaît pas assez ma fiancée. C’est peut-être une manière de me dire qu’elle la connaît trop… Pardaillan et la reine savent, ou du moins devinent ce que je ne sais pas, ce que je ne devine pas… Mais quoi? Qu’est-ce? Que peut-on lui reprocher?…»

Ainsi, ce malheureux se tourmentait et se débattait en vain contre le doute. Il se mit à hurler en lui-même:

«Je ne veux pas la soupçonner! Je tuerai la reine, si la reine l’accuse! Je tuerai Pardaillan, si Pardaillan l’accuse! Elle est pure! Elle m’aime! Et je l’aime! Je veux l’aimer!…»

Dans les âmes généreuses, la révolte contre le doute prend de ces formes violentes et vaines. Dans l’esprit de Marillac, l’attitude de Pardaillan et de la reine devenaient de ces preuves qui ne savent pas ce qu’elles doivent prouver, mais qui sont des preuves d’autant plus terribles.

Il rentra, brisé par la fatigue morale plus encore que par la fatigue physique, dans l’hôtellerie où il était descendu, et dormit quelques heures d’un sommeil de plomb.

Lorsqu’il se présenta à la reine de Navarre, celle-ci put juger des ravages qui s’étaient faits dans l’esprit de Marillac. Ses traits s’étaient durcis. Sa parole était devenue brève et rauque.

«Que va-t-il devenir lorsqu’il saura! songea la reine. Et faut-il qu’il sache?…»

Elle évita soigneusement de parler d’Alice et donna au comte ses instructions pour que l’on pût partir dans la journée même.

– Nous allons à Blois, dit-elle en terminant. Puisque Charles me donne rendez-vous dans cette ville, je ne veux pas fuir la conférence qu’il m’offre. Je me dois à moi-même et à tous les nôtres d’épuiser les moyens pacifiques avant de recourir à une dernière guerre qui, cette fois, serait sans miséricorde… De Blois, continua-t-elle plus lentement, de Blois, nous irons à Paris, quel que soit le résultat de la conférence. Nous irons officiellement si la paix se fait, nous irons secrètement dans le cas contraire…

Le comte s’inclina sans répondre et sortit pour s’occuper, avec une activité fébrile, des préparatifs du départ.

Trois heures plus tard, Jeanne d’Albret se mettait en route pour Blois, avec une escorte de cent huguenots que commandait le comte de Marillac.

À peu près à la même époque, le roi Charles IX et Catherine de Médicis quittaient Paris pour se rendre aussi à Blois où Henri de Béarn, Coligny, Condé et d’Andelot, prévenus par un cavalier, se dirigèrent de leur côté.

XLVI ÉTONNEMENT DE GILLES ET GILLOT

Lorsque Charles IX sortit de Paris pour se rendre à Blois, il remarqua, non sans mécontentement, que son escorte comprenait les seigneurs catholiques les plus enragés contre les huguenots. Il en fit l’observation à la reine-mère qui, de son air le plus naturel, répondit qu’on donnait ainsi une preuve de bonne volonté à Jeanne d’Albret, puisque les conférences pour la paix auraient pour témoins ceux-là même qui paraissaient le plus tenir à la guerre.

De ce nombre, était le duc de Guise, plus brillant, plus souriant que jamais. Le maréchal de Damville faisait aussi partie de l’escorte royale. La veille du départ, Henri avait fait venir son intendant – son âme damnée – le sieur Gilles et avait eu avec lui un long entretien relatif aux prisonnières de la rue de la Hache.

– Tu m’en réponds sur ta tête, avait conclu le maréchal. Dans peu de temps, bien des choses seront arrangées. Et alors le roi fera un peu ce que je voudrai. Mon matamore de frère ira pourrir dans quelque Bastille. D’ici là, prudence, et veille nuit et jour.

Gilles jura que le maréchal trouverait à son retour les prisonnières où il les avait laissées.

– À propos, ajouta négligemment Damville, il y a dans les caves de mon hôtel, un cadavre dont il sera bon de se débarrasser.

– Le cadavre de l’enragé spadassin, fit Gilles. C’est bien simple, monseigneur. Nous le sortirons de là par une nuit obscure et nous irons le confier à la Seine.

Le maréchal approuva d’un signe.

Il en résulta que quelques jours après le départ de la cour pour les conférences de Blois, maître Gilles appela son neveu Gillot qui, depuis la mort du terrible Pardaillan, avait retiré le bonnet de coton dont il avait l’habitude de couvrir ses oreilles, et qui était redevenu joyeux et facétieux.

– Gillot, dit gravement l’intendant, nous allons ce soir nous livrer à une importante besogne… Travail déplaisant, certes, et auquel je ne songe pas sans quelque émoi. Mais enfin, il le faut! Il s’agit de nous transformer en fossoyeurs.

Gillot fit la grimace.

– Tu comprends, mon ami, nous allons débarrasser les caves de l’hôtel de Mesmes du cadavre qui achève d’y pourrir.

La physionomie de Gillot s’éclaircit à l’instant même.

– Pardieu! dit-il, s’il ne s’agit que d’enterrer le damné Pardaillan, je suis votre homme, et je ferai le fossoyeur avec joie!

– Allons-y donc au plus tôt. Nous prendrons l’homme; nous le mettrons sur quelque charrette; et nous le porterons vers le port Saint-Paul où nous le laisserons tomber à l’eau, plutôt que de nous donner le mal de creuser un trou.

Gillot applaudit à ce projet, et son oncle le vit avec surprise aiguiser un couteau.

– Pourquoi ce couteau? demanda l’intendant de Damville.

Gillot se redressa et prit un air extrêmement féroce.

– C’est, dit-il, pour lui couper les oreilles.

– À qui?

– Au Pardaillan, donc!

– Tu veux couper les oreilles à ce cadavre? fit l’oncle stupéfait.

– Oui-da? Par ainsi, le sacripant sera puni de la peur qu’il m’a faite en me jurant qu’il me les couperait, à moi.

Le vieux Gilles éclata de rire. Ce bonhomme riait quelquefois. Mais pour exciter son hilarité, il lui fallait une de ces bonnes farces extraordinaires comme celle que préparait son digne neveu.

– Je ne vois pas ce qui peut vous faire rire dans la peur que j’ai eue, dit Gillot vexé.

– Imbécile, je ris de la tête qu’aura le damné Pardaillan sans oreilles!