– En route! fit l’oncle lorsque le couteau parut suffisamment affilé.
– En route! répéta le neveu en brandissant son arme. Qu’il y vienne, maintenant!
Alors Gilles ceignit une lourde épée qu’il avait décrochée d’une panoplie de son maître. Il passa deux pistolets à sa ceinture et remplaça son bonnet par un casque.
Puis ils sortirent. Dans la remise de la maison, il y avait une petite charrette. Gillot attela un âne à la charrette: c’était pour transporter le cadavre à la Seine.
– Prends aussi une corde, ordonna l’oncle. Nous la lui attacherons au cou avec une bonne pierre…
Ces préparatifs achevés, ils se mirent en route, l’oncle marchant en avant, l’épée d’une main, la lanterne de l’autre, le neveu venait derrière, traînant l’âne par la bride. Ils arrivèrent sans encombre à l’hôtel de Mesmes, firent entrer l’âne et la charrette dans la cour, barricadèrent la porte et se rendirent tout droit à l’office, où, d’un grand coup de vin, ils se remirent de leurs émotions.
L’heure était venue d’exécuter la deuxième partie de l’expédition. Minuit sonna au Temple tout proche. Gillot se signa, et Gilles saisit les clefs de la cave. Devant la porte de la cave, ils s’arrêtèrent un moment. Puis l’intendant poussa les verrous extérieurs, donna deux tours de clef, et la porte s’entrebâilla. Gilles recula en se bouchant le nez.
– Comme il sent! dit-il.
– Dame! fit Gillot, depuis le temps… C’est tout de même vrai qu’il sent fort!
Et le neveu, à son tour, se boucha le nez. L’intendant, d’un coup de pied, poussa la porte. Mais elle résista.
– Qu’est-ce que cela veut dire? murmura Gillot qui recula de trois pas.
– Imbécile! dit Gilles, cela veut dire qu’il s’est barricadé lorsqu’on l’a poursuivi et traqué. Allons, il s’agit de démolir tout cela!
L’œuvre de démolition commença aussitôt. En passant son bras dans l’entrebâillement de la porte, Gilles parvint non sans effort à faire tomber un ou deux madriers; le reste s’effondra plus facilement, et, au bout d’une heure de travail, le passage se trouva libre, la porte s’ouvrit toute grande, ils descendirent l’escalier. Gilles toujours en avant, sa lanterne à la main. Il était d’ailleurs si rassuré maintenant qu’il n’avait plus affaire qu’à un cadavre, qu’il avait dédaigné de descendre avec l’épée. Gillot le suivait pas à pas, son couteau à la main.
– Sacripant! dit-il; c’est à cette heure que tu vas avoir les oreilles coupées… Mais où peut-il être?
– Nous le trouverons, dit Gilles. L’odeur nous guide assez!
– C’est vrai! fit Gillot qui, de nouveau, crut devoir se boucher le nez.
La cave était vaste et se composait de plusieurs compartiments; il y avait des coins et des recoins, des trous sombres derrière des futailles; l’exploration commença…
– Le voilà! s’écriait Gillot de minute en minute.
Mais ce n’était jamais Pardaillan – mort ou vif. Dans un coin du troisième compartiment, Gilles se baissa tout à coup avec un cri étouffé:
– Des ossements! s’écria-t-il.
– Les rats l’ont rongé! fit amèrement Gillot en comprenant que sa vengeance lui échappait.
– Mais ce ne sont pas les ossements d’un homme, imbécile!…
Les ossements étudiés, les deux nocturnes visiteurs se regardèrent avec stupéfaction.
– Des os de jambons, fit l’oncle.
– Des bouteilles vides! ajouta le neveu en montrant non loin de là une montagne de flacons décapités.
– Le misérable, avant de mourir, a bien mangé et bien bu!…
– Vengeance! conclut Gillot qui brandit son couteau.
La recherche recommença plus acharnée. Au bout de deux heures, la cave avait été explorée jusque dans ses recoins les plus cachés: il fut évident que le cadavre de Pardaillan n’y était plus.
– Voilà qui est étrange, murmura Gilles.
– J’en reviens à mon dire, fit Gillot: les rats l’ont mangé seulement, ils n’ont même pas laissé les os.
– Imbécile! dit l’oncle.
C’était son mot favori quand il parlait à son neveu. Cependant, force lui fut de se rendre à l’explication de Gillot. En effet, une nouvelle perquisition demeura sans résultat, et, d’autre part, il était certain que Pardaillan n’avait pu s’évader; la porte barricadée à l’intérieur, l’unique soupirail demeuré intact étaient la preuve absolue que le sacripant n’avait pu sortir.
– Après tout, dit-il, cela nous évitera la peine d’aller jusqu’à la Seine.
– N’empêche, dit Gillot, que je n’ai pu lui couper les oreilles; c’est un dernier tour de sa façon qu’il me joue.
N’ayant plus rien à faire dans la cave, l’oncle et le neveu reprirent le chemin de l’escalier. En mettant le pied sur la première marche, Gilles qui marchait toujours en tête leva machinalement les yeux vers la porte qu’il avait baissée grande ouverte, et il poussa un cri terrible: cette porte était fermée.
En quelques bonds, il l’atteignit, poussé par l’espoir que peut-être il l’avait lui-même poussée par mégarde. Et là, il constata que non seulement elle était poussée, mais encore qu’elle était fermée à double tour!… Quelqu’un, du dehors, avait tourné la clef tandis qu’ils étaient occupés à rechercher le corps… Mais qui!…
– Que se passe-t-il, demanda Gillot qui montait à son tour.
– Ce qui se passe! hurla Gilles. Nous sommes enfermés!… Un voleur, un truand, un démon s’est introduit dans l’hôtel et nous a murés ici!… Nous allons y mourir comme l’autre!…
Gillot demeura hébété, secoué d’un tremblement convulsif… À ce moment, un strident éclat de rire retentit derrière la porte fermée.
– Gillot! cria une voix railleuse, je les aurai, tes deux oreilles!
Et les cheveux de Gillot se hérissèrent sur sa tête! Car cette voix, il la reconnaissait! Cette voix, c’était la voix du mort! C’était la voix de Pardaillan!…
L’oncle et le neveu roulèrent jusqu’au bas de l’escalier, en proie à une terreur insensée, et tombèrent l’un sur l’autre, évanouis…
C’était bien le vieux Pardaillan qui venait de pousser cet éclat de rire et de jeter à l’infortuné Gillot cette menace. Nous l’avons laissé au moment où n’ayant plus qu’un jambon pour toute provision, il entrevoyait avec horreur le supplice de la famine comme le terme fatal de sa carrière d’aventures. Lorsque ce dernier jambon fut épuisé, lorsqu’après avoir une centième fois fouillé la cave dans tous les sens, Pardaillan se fut bien convaincu qu’il ne lui restait plus qu’à mourir, il prit une résolution:
«Il se soutiendrait avec du vin tant qu’il pourrait. Et au moment où les souffrances de la faim deviendraient pressantes, où ce vague espoir d’être sauvé qui était enraciné dans son esprit s’évanouirait, eh bien! il échapperait à la torture par le suicide: d’un coup de sa bonne épée, il en finirait.»
Pardaillan attendit donc avec cette sérénité que donnent les résolutions définitives. Couché près de son tas de bouteilles, il y avait sans doute plusieurs heures qu’il n’avait mangé et se demandait s’il ne valait pas mieux se tuer tout de suite. Tout à coup, il lui sembla entendre un bruit derrière la porte. Il se releva d’un bond, se rapprocha, haletant, de l’escalier, et écouta…