Et ce qu’il entendit lui causa une joie telle qu’il eut de la peine à retenir un cri. Ce qu’il entendait, c’était la conversation de Gilles et de Gillot qui se communiquaient leurs impressions.
Pardaillan tira sa dague et se plaça au bas des barricades qu’il avait échafaudées. La démolition dura assez longtemps, comme on l’a vu et à force d’écouter les deux démolisseurs, le vieux routier changea d’idée. Il se dissimula dans un coin au pied de l’escalier, Gilles et Gillot passèrent à deux pas de lui.
Il attendit qu’ils se fussent enfoncés dans le lointain de la cave. Alors il n’eut qu’à remonter et tranquillement, il ferma la porte. Son premier mouvement fut alors de détaler et de mettre la plus grande distance possible entre lui et cette cave qui avait failli devenir son tombeau. Mais bientôt s’étant convaincu que l’hôtel était parfaitement désert, la curiosité le prit de savoir ce que diraient les deux fossoyeurs improvisés qui, en somme, avaient tout ce qu’il faut pour enterrer proprement un mort ou le jeter à l’eau – tout, excepté le cadavre.
Il entendit enfin l’oncle et le neveu s’approcher de la porte, une fois leur perquisition terminée. Et, satisfait de l’adieu qu’il leur jeta sous forme d’un éclat de rire et d’une menace, il s’éloigna.
– C’est égal, dit-il, voilà deux imbéciles qui doivent être bien étonnés!…
XLVII ÉTONNEMENT DE PARDAILLAN ET DE PARDAILLAN FILS
Le vieux routier, bien qu’il eût habité peu de temps l’hôtel, le connaissait pourtant de fond en comble. C’était chez lui une habitude invétérée que d’étudier soigneusement les localités où il devait séjourner. Rendu à la liberté par le tour de passe-passe auquel nous venons d’assister, il se rendit directement à l’office et alluma un flambeau. Puis il visita les armoires et commença par se réconforter de quelques victuailles oubliées. Alors il chercha les clefs des divers appartements et les ayant trouvées, son trousseau d’une main, le flambeau de l’autre, il se mit à visiter l’hôtel.
Dans quel but? Que cherchait-il?
Pardaillan, à tort ou à raison, s’imaginait avoir droit à quelques dédommagements et c’est ainsi que, guilleret, sifflotant un air de chasse, il parvint dans une grande salle où, entre autres ornements raffinés, se trouvait un grand miroir. Il en profita pour s’inspecter de la tête aux pieds et constata qu’il était à faire peur. Il n’avait plus de chapeau, ses vêtements étaient en lambeaux, tachés de boue, de sang et de vin. Il n’avait plus d’épée. D’ailleurs, ses blessures étaient toutes fermées, et sauf une cicatrice rougeâtre au nez, son visage était à peu près intact – un peu pâle, par exemple.
– Procédons avec ordre et méthode, dit Pardaillan.
Aussitôt, il pénétra dans la chambre à coucher du maréchal, il avisa une haute et noble armoire ventrue à laquelle il essaya vainement toutes ses clefs. À force de s’amuser à fouiller la serrure avec la pointe de sa dague, il finit par la faire sauter.
– Tiens! fit-il, voilà l’armoire qui s’ouvre! Elle était remplie de linge et de vêtements. Le vieux routier eut un sifflement d’admiration. Il procéda alors à une toilette complète dont il avait le plus grand besoin.
Dans une chambre de l’un des officiers du maréchal, il trouva une cuirasse en cuir jaune dont il se revêtit aussitôt. Dans une autre, il trouva une paire de hautes bottes toutes neuves et il se trouva qu’elles lui allaient parfaitement. Ailleurs, il s’empara d’une toque à plume noire, du plus bel effet. Enfin, à une panoplie de la grande salle, il décrocha la plus belle et la plus solide rapière qu’il pût trouver.
En continuant ses recherches, il arriva dans un cabinet écarté, où il tomba en arrêt devant un coffre armé de trois serrures. Au bout d’une heure de travail, les trois serrures avaient sauté. Pardaillan ouvrait le coffre et demeura ébloui: il était plein d’or et d’argent; il y avait là tout un trésor. Le vieux routier se gratta le nez, embarrassé, inquiet, se tâtant.
– Voyons, dit-il, je ne suis pas un truand. Je n’emporterai donc pas cet or qui est à M. de Damville. Très bien. Mais M. de Damville me doit une indemnité de guerre. Il s’agit d’estimer cette indemnité sans léser aucun intérêt, ni le mien, ni le sien. Mes habits ont été lacérés; il est vrai que je viens de les remplacer, mais je tenais aux miens, moi! Ceux-ci me gênent… Soyons bon prince, et ne comptons que cent livres pour la gêne. Mettons chacune de mes blessures à dix livres pièce. Hein? Trop cher? Non, ma foi. J’ai bien reçu dix blessures, ce qui fait un total de cent livres, avec les cent précédentes, nous avons deux cents… Hum! c’est bien tout?… Et l’émotion que j’ai éprouvée! Mettons l’émotion à dix-huit cents livres et n’en parlons plus; ajoutons toutefois mille livres pour m’avoir exclusivement nourri de jambon, ce qui m’obligera à payer un médecin pour la cure de mon estomac. Totaclass="underline" trois mille livres, si je sais compter.
À mesure qu’il parlait ainsi, le vieux Pardaillan puisait dans le coffre. Lorsqu’il eut garni sa ceinture de cuir des trois mille livres qu’il avait comptées en pièces d’or pour être moins chargé, il referma soigneusement le coffre, puis le cabinet, puis toutes les chambres qu’il avait ouvertes. Et ainsi, habillé de neuf des pieds à la tête, une bonne épée au côté, la ceinture garnie, il se dirigea d’un pas léger vers la grande porte de l’hôtel qu’il franchit au moment où le soleil se levait.
– C’est amusant d’y voir clair, réfléchit-il. Mort-Dieu! Il me semble que j’ai encore mes quarante ans!
Il est de fait qu’à le voir marcher, la toque sur l’oreille, la main à la garde de l’épée, on lui eût donné vingt ans.
– Or, ça, continua-t-il, que s’est-il passé depuis que j’ai été précipité dans cette cave? Pourquoi l’hôtel de Mesmes est-il entièrement désert? Où est le maréchal? Qu’est devenu mon fils?
Il se rendit à l’auberge de la Devinière, où il interrogea maître Landry qui lui apprit que la cour était à Blois et qu’il était question d’une grande réconciliation entre catholiques et huguenots.
– Mais, ajouta le digne aubergiste, permettez-moi, monsieur, de vous féliciter du bien qui vous arrive; je vois, au superbe costume que vous portez, que vos affaires sont en bon train.
– En effet, maître Landry; je viens de faire un petit voyage… au fait, combien a-t-il duré mon voyage?…
– Dame, monsieur, il y a à peu près deux mois, ou peu s’en faut, que vous êtes venu ici, le jour où vous m’avez fait l’honneur de dîner et ensuite de mettre à mal ce monsieur d’Aspremont…
– Deux mois! comme le temps passe! (Ça valait au moins mille livres de plus, songea le vieux routier.) Eh bien! mon cher hôte, comme je vous le disais, ce petit voyage m’a enrichi, ce qui va me permettre de régler ce vieux compte que nous avons ensemble.
– Ah! monsieur, s’écria Landry dans le ravissement de son âme, j’ai toujours dit que vous étiez un parfait galant homme.
– Alors, voyons, je vous dois combien, fit Pardaillan qui, machinalement, regardait dans la rue.
– Vous me devez, commença Landry, vous me devez…
– Ah! misérable! s’écria soudain le vieux routier. Tu vas payer cher ta trahison!
Landry demeura ébahi, la bouche ouverte, les yeux ronds de surprise, tandis que Pardaillan repoussant la table à laquelle il était assis, s’élança au dehors comme un forcené. En quelques instants, il eut disparu au tournant de la première rue.