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– Allons! pensa l’aubergiste mélancolique, ce n’est pas encore pour cette fois!

Qu’était-il donc arrivé à Pardaillan? Il avait vu passer, devant la Devinière, Orthès d’Aspremont à qui, non sans raison, il attribuait sa dispute avec le maréchal. Et il s’était élancé, résolu à le tuer.

C’était bien d’Aspremont qui passait, en effet, sa blessure ne lui ayant pas permis de suivre Damville. Malheureusement, il paraît que d’Aspremont était pressé; car il marchait d’un bon pas, et lorsque Pardaillan arriva au coin de rue où il l’avait vu tourner, son adversaire avait disparu. Le vieux routier visita en vain tous les environs. Lorsqu’il se fut bien convaincu que d’Aspremont lui échappait pour cette fois, il avait complètement oublié maître Grégoire et sa créance. Tout maugréant, il prit donc le chemin de l’hôtel de Montmorency.

– Pourvu qu’il ne soit rien arrivé au chevalier! songeait-il. Ces Montmorency sont une mauvaise race. Je viens d’en avoir une nouvelle preuve avec Henri. François est-il meilleur?… J’en doute.

Contre son attente, le vieux Pardaillan trouva à l’hôtel Montmorency son fils qui le serra dans ses bras avec émotion.

– Que vous est-il arrivé, mon père? demanda le chevalier après les premières effusions.

– Je te raconterai cela. Je reviens de très loin. Mais toi-même, mon cher chevalier, que t’est-il donc arrivé?

– À moi, monsieur?… mais rien que je sache.

– Cependant, tu as la mine d’un moine qui, par hasard, aurait réellement fait carême. Tu es pâle, tu es triste…

– Dites-moi votre histoire, mon père, fit le chevalier, je vous dirai la mienne après.

Le vieux routier ne se fit pas prier et raconta son aventure point par point.

– En sorte, fit le chevalier en riant, que Gilles et Gillot sont maintenant à votre place?

– Avec cette différence que si je me suis nourri des jambons que tu m’avais signalés, ils en seront réduits à se nourrir des os que je leur ai laissés.

– Mais il faut délivrer ces pauvres diables, mon père.

– Or ça, tu es fou? Délivrer Gilles! Pour qu’il aille tout courant raconter la chose à Damville. Tu veux donc que je sois perdu? Damville me croit mort. Je tiens à ce qu’il garde cette croyance le plus longtemps possible. Car c’est du moment où il me saura vivant que je risquerai le plus de trépasser à bref délai. Ce Gilles est un misérable, et son neveu est un coquin qui voulait me couper les oreilles; mais c’est moi qui aurai les siennes!

Le chevalier ne put s’empêcher de rire.

– Et maintenant, reprit son père, à ton tour, chevalier. Vide ton sac…

– Mon père, vous savez bien ce qui m’attriste.

– Ah! oui… les deux donzelles en question. Elles ne sont donc pas retrouvées?

– Hélas! Le maréchal de Montmorency et moi, nous avons en vain fouillé tout Paris… J’ai voulu alors quitter le maréchal, et ne vous voyant plus, m’en aller de Paris à l’aventure. Mais il a paru si chagrin de ma résolution que je suis demeuré pour quelques jours encore… Nous n’avons plus d’espoir ni l’un ni l’autre…

– Par la mort-Dieu! Par Pilate! Par Barabbas! Par les cornes du diable!

Ces exclamations violentes échappèrent coup sur coup au vieux routier qui les hurla en les ponctuant de coups de poing sur la table.

– Que vous arrive-t-il, mon père?… s’écria le chevalier abasourdi.

– J’ai trouvé! rugit le vieux Pardaillan.

– Quoi! Qu’avez-vous trouvé!…

– Où elles sont! ou plutôt le moyen de le savoir, ce qui revient au même!

Le chevalier devint très pâle.

– Mon père, dit-il, prenez garde de me donner une fausse joie qui me tuerait!

– Je te dis que j’ai trouvé, corbacque! Ah ça, qu’as-tu à trembler ainsi? Ah! oui, tu aimes la petite Loïse, je l’oublie toujours, tellement la chose me paraît extravagante qu’un honnête homme comme toi se puisse empêtrer de pareils sentiments… Eh! morbleu, épouse-la, à la fin! Tu veux mon consentement, eh bien, tu l’as!…

– Vous vous moquez, mon père.

– Moi! Je veux que le diable m’arrache la langue si jamais cette langue se gausse de toi! Je te parle sérieusement, chevalier. Oui, je comprends ta surprise. Je sais bien que je t’ai toujours prêché de te méfier des femmes… Mais que veux-tu! Puisqu’il n’y a pas moyen de te faire revenir à des pensées plus raisonnables, il faut bien que je me plie à ta folie… Tu épouseras donc Loïse, Loïson, Loïsette…

– Mon père, fit le chevalier d’une voix tremblante, il ne peut être question de cela… Oubliez-vous que Loïse est la fille de François de Montmorency!

– Eh bien! s’écria le vieux routier stupéfait.

– Comment pouvez-vous concevoir que la fille du plus illustre seigneur de France puisse épouser un gueux comme moi!

– Ah! Ah! Voilà donc ce qui, au fond, te met la cervelle à l’envers!

– Eh! bien, oui, mon père… et vous avez bien raison; c’est une folie pour moi que d’aimer Loïse de Montmorency.

Le vieux Pardaillan saisit la main de son fils et gravement lui dit:

– Et moi, je te dis que tu l’épouseras. Ce n’est pas tout, chevalier: si l’une des deux parties, en présence doit être honorée, c’est la famille Montmorency. Un homme comme toi vaut un roi, j’entends un vrai roi du temps où les rois pouvaient donner au monde des leçons de bravoure et de générosité. Ne crois pas que ma paternelle affection m’aveugle. Je sais ce que tu vaux. Je suis sûr que le maréchal le sait aussi. Et la petite Loïson doit le savoir. Et si elle ne le sait pas, elle le saura. Tu l’épouseras, te dis-je.

Le chevalier secoua la tête. Il voyait les choses plus clairement que son père, et se rendait compte exactement de la distance qui pouvait séparer un Pardaillan d’un Montmorency. Mais comme il avait décidé une fois pour toutes d’aimer sans intérêt et de se dévouer sans espoir de récompense, il reprit:

– Quoi qu’il en soit, monsieur, il s’agit tout d’abord de retrouver la dame de Piennes et sa fille.

– Tu as pardieu raison.

– Et vous dites que vous savez où elles se trouvent?

– Non, mais j’ai le moyen de le savoir! Je ne sais comment je n’y ai pas pensé plus tôt. Va prévenir M. le maréchal de Montmorency… ou plutôt, non… partons. Et ce sera beau que ce soit justement moi qui lui ramène la petite Loïsette.

– Partons, mon père! fit le chevalier avec une hâte fébrile.

En effet, le vieux Pardaillan se montrait si sûr de son fait que le chevalier ne doutait nullement de le voir ramener Jeanne de Piennes et Loïse à l’hôtel Montmorency. Et alors, qu’arriverait-il?… En route, le vieux Pardaillan s’expliqua.

– Il y a un homme qui sait assurément où se trouvent tes deux princesses au bois dormant. Et cet homme, c’est le damné intendant de Damville, celui qui sait tous les secrets du maître.

– Gilles!… Ah! vous avez raison… courons, mon père!

– Nous le tenons, n’aie pas peur!

– Qui sait s’il n’a pas trouvé le moyen de sortir de la cave, lui qui doit bien connaître l’hôtel jusque dans ses dessous!