– Et toi qui voulais lui donner la clef des champs!… Mais quant à sortir de la cave, rassure-toi. J’ai eu le temps de l’étudier, et je t’assure que s’il y avait eu une issue, je l’aurais trouvée.
Cependant, ce que venait de dire le chevalier ne laissa pas d’inquiéter le vieux Pardaillan. Il y avait peut-être un secret. Le père et le fils se mirent à courir et, arrivés à l’hôtel de Mesmes, ils y entrèrent par le jardin. Quelques instants plus tard, ils étaient devant la porte de la cave. Homme de sang-froid s’il en fut, le vieux routier retint son fils qui voulait ouvrir aussitôt et se mit à écouter. Sans doute, de l’intérieur, Gilles et Gillot avaient entendu les pas, car à peine Pardaillan et son fils se furent-ils arrêtés devant la porte qu’une voix lamentable leur parvint:
– Ouvrez, au nom du ciel! Ouvrez, qui que vous soyez!…
– Qui êtes-vous? demanda le vieux routier en déguisant sa voix.
– Je suis maître Gilles, l’intendant de monseigneur de Damville. Nous avons été enfermés dans cette cave par un misérable, un homme de sac et de corde, un truand…
– Assez! Assez, maître Gilles! s’écria Pardaillan qui éclata de rire.
– Le damné Pardaillan! se lamenta Gilles en reconnaissant la voix de celui qu’il avait voulu enterrer.
– Lui-même, mon digne intendant! Et votre neveu, comment se porte-t-il? Je viens pour lui couper les oreilles.
On entendit au loin un gémissement, puis un bruit de futailles qu’on remue… c’était Gillot qui cherchait une profonde cachette pour sauver ses oreilles.
– Et quant à vous, maître Gilles, reprit Pardaillan, écoutez-moi bien.
– Je vous écoute, monsieur! haleta l’intendant.
– J’ai eu pitié de vous… et c’est pour cela que je reviens.
– Ah! soyez béni, monsieur!
– Oui, je me suis dit qu’il serait indigne d’un chrétien de vous laisser ici mourir lentement de faim…
– Tout à fait indigne, monsieur! fit la voix éplorée.
– Et que ce serait un supplice abominable…
– Hélas! on ne peut plus abominable!
– J’en sais quelque chose, maître Gilles! C’est le supplice que vous avez voulu m’infliger. Mais enfin, j’ai bonne âme au fond, et je ne veux pas vous faire souffrir. Alors, écoutez-moi. Avez-vous remarqué à la quatrième poutre en partant du soupirail un clou énorme, bien solide, et bien enfoncé? Non? Vous n’avez pas remarqué? Je le connais ce clou, moi, vu que j’ai eu la pensée de m’y pendre. Sachez donc que j’ai apporté une bonne corde neuve et propre comme il convient. Cette corde, je l’attacherai par un bout au clou de la poutre et par l’autre bout à votre col…
– Miséricorde! Vous me voulez pendre!
– Pour vous empêcher de mourir de faim, ingrat!… Quant à votre neveu, je ne lui ferai d’autre mal que de lui couper les deux oreilles.
On entendit un gémissement et un sanglot. Pardaillan ouvrit la porte. Et dans l’obscurité, il aperçut Gilles, à genoux sur l’une des marches de l’escalier; il était livide, hideux.
– Chevalier, dit le vieux routier, demeurez à cette porte; armez vos pistolets; et si l’un de ces deux misérables fait mine de vouloir sortir, tuez-le sans pitié.
– Grâce, monseigneur, gémit l’intendant.
– Or ça, tu as donc bien peur de mourir?
– Oui… hoqueta le vieillard; j’ai peur… bien peur… ne me tuez pas.
Ses dents claquaient. Son visage se décomposait. Il était évidemment au paroxysme de l’épouvante.
– Tu as peur, continua Pardaillan. Et si je t’offrais un moyen de sauver ta vie?
– Oh! bégaya le vieillard en tendant ses bras avec désespoir: tout ce que vous voudrez, tout! Demandez-moi ce que j’ai pu entasser d’or et d’argent depuis que je vis. Je suis riche, très riche. (Pardaillan songeait à ce coffre qu’il avait pris pour le coffre de Damville.) Je vous donne tout!…
– Je ne veux pas de ton argent, dit le vieux routier.
– Quoi alors? Dites! Parlez! J’accorde, je donne tout ce que vous voudrez! Oh! j’ai peur… peur!… grâce! pitié!…
La terreur de Gilles était en effet parvenue à un tel degré que Pardaillan jugea dangereux de le soumettre à une plus longue épreuve.
– Voyons, dit-il, rassure-toi. Je ne te tuerai pas. Tu ne seras pas pendu. Et même, tu pourras t’en aller d’ici, à une seule condition…
– Laquelle! cria le vieillard dans un véritable râle de joie effrénée.
– Tu me diras où ton maître le maréchal a conduit la dame de Piennes et sa fille…
Gilles leva des yeux hagards vers Pardaillan.
– Vous me demandez cela? dit-il. C’est cela que vous voulez savoir pour me donner vie sauve?
– Oui. Tu vois que tu en es quitte à bon compte.
Gilles, qui était à genoux, se releva. Gilles qui grelottait et claquait des dents, se raidit et n’eut plus un frémissement.
D’une voix ferme, il dit:
– Tuez-moi donc: cela, vous ne le saurez pas!
Pardaillan bondit. Le chevalier, qui se connaissait en courage, ne put s’empêcher de s’incliner devant le hideux vieillard, à face de gargouille, que transfigurait à ce moment une indomptable volonté.
– La corde! gronda le vieux routier.
Il n’en avait pas apporté. Mais il saisit Gilles par le bras et le conduisit au-dessous du clou qu’il avait signalé.
– Veux-tu parler? dit-il d’une voix froide. Tu as une minute pour te décider.
Gilles répondit:
– Je vois que vous n’avez pas de corde. Il y a dans la cour de l’hôtel une charrette. C’est dans cette charrette que je devais vous porter à la Seine. J ’y avais placé une bonne corde pour vous la mettre au cou avec une pierre. Envoyez chercher la corde et pendez-moi: vous ne saurez rien.
– Par tous les diables d’enfer! grommela Pardaillan. Ce vieux-là est superbe!… Dommage que je sois forcé de le tuer!
Il tira sa dague, et de sa même voix glaciale, il dit:
– Pour ta bravoure, tu ne seras pas pendu. Mais je vais te tuer d’un seul coup, au cœur, si tu ne parles…
– Voici mon cœur, dit le vieux Gilles en déchirant son pourpoint d’un coup violent. Seulement, si le désir d’un mourant vous est sacré, je vous supplie de dire à Mgr de Damville que je suis mort fidèle, mort pour lui…
Les deux Pardaillan demeurèrent saisis d’un étonnement admiratif. L’attitude de ce vieillard qui avait une peur affreuse de mourir et qui cependant offrait sa poitrine au coup mortel, pour demeurer fidèle à son maître, leur parut un phénomène inexplicable.
– Monsieur de Pardaillan, fit tout à coup une voix qui grelottait.
Le routier se retourna et aperçut Gillot qui sortait de derrière une futaille.
– N’aie pas peur, dit-iclass="underline" ton tour va venir; ton digne oncle d’abord, toi ensuite. Seulement tu ne mourras pas: tu auras simplement les oreilles coupées.
– Je le sais, fit Gillot qui, tout blême, frissonna de la tête aux pieds. Je le sais, et pour sauver mes oreilles, je veux vous proposer un marché.
– Voyons le marché…