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– Non, chevalier! Le maréchal ne les a pas reprises! C’est moi, c’est moi, insensée, moi dont les rares bonnes pensées tournent à mal, c’est moi qui leur ai rendu la liberté…

Le jeune homme sentit son cœur se dilater, un cri de joie expira sur ses lèvres.

– Libres! Elles sont libres!…

– Lorsque je me suis vue condamnée, lorsque j’ai compris que mon noble fiancé allait me maudire… ah! chevalier, quel horrible enchevêtrement de malheur dans ma vie!… D’abord voyez: Damville persécute deux infortunées dignes d’amour et de pitié… il faut que ce soit à moi qu’il s’adresse pour les garder!… Et je suis forcée d’obéir! Je suis forcée de me constituer la geôlière de deux femmes devant lesquelles je me sentais si misérable qu’à peine osais-je paraître en leur présence! Pourquoi j’ai été forcée d’obéir? Là est ce mystère que votre générosité n’a pas voulu connaître! Mais continuons: du jour où j’ai pensé que Marillac se séparait de moi à tout jamais, je n’avais plus à redouter les révélations dont Damville me menaçait, puisque ces révélations, la reine de Navarre les faisait elle-même!… Je monte chez les prisonnières… Je leur dis: «Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait… allez… vous êtes libres!…» Et voici que si ce funeste accès de générosité ne m’était pas venu, Loïse sortirait maintenant d’ici, emmenée par vous qui l’aimez! Ah! oui, je suis maudite! puisque le bien même que je veux faire se change en calamité!

– Vous exagérez le malheur, madame, dit doucement le chevalier. C’est déjà une joie immense pour moi de savoir que Loïse n’est plus au pouvoir du damné maréchal… Mais ne vous ont-elles pas dit où elles comptaient se retirer?

– Hélas! j’étais si bouleversée que je n’ai même pas songé à le leur demander… Et puis… l’aurais-je demandé qu’elles ne m’eussent pas répondu… Qu’étais-je à leurs yeux, sinon une misérable geôlière!

– Ainsi, pas un mot qui puisse laisser deviner…

– Rien. Pas un mot.

Il y eut un moment de silence.

– Monsieur, dit-elle timidement, je devine les questions que sans doute vous vous posez et que vous êtes assez noble pour ne pas formuler de crainte de m’accabler. Je vous jure que pendant leur séjour dans cette maison, Jeanne de Piennes et sa fille n’ont pas souffert – si ce n’est de leur claustration. Je me suis efforcée d’être pour elles plutôt une servante que… ce que j’étais… Je vous jure en outre que le maréchal n’est pas venu ici.

– Je voudrais, dit Pardaillan, vous poser une question… Rassurez-vous, madame, elle m’est toute personnelle… Vous avez dû parfois vous entretenir avec elles?…

– Deux ou trois fois seulement.

– Eh bien, reprit le chevalier, dans ces circonstances… ou d’autres… enfin, tenez, madame, je veux savoir si jamais mon nom a été prononcé par Loïse…

– Jamais! dit Alice.

Un nuage passa sur le front du jeune homme. Ses yeux se troublèrent. Un profond soupir gonfla sa poitrine.

– Pourquoi aurait-elle parlé de moi? songea-t-il. Elle m’a oublié depuis longtemps… Et pourtant… c’est bien moi qu’elle appela à son secours le matin où je fus arrêté.

Pardaillan n’avait plus rien à faire chez Alice de Lux. Il prit donc congé. Mais la jeune femme le supplia de la revenir voir. Il promit. Cette infortunée lui inspirait un profond intérêt. Elle lui apparaissait comme un sphinx dont il eût été l’Œdipe.

En quittant la maison de la rue de la Hache, Pardaillan se rendit rue Tiquetonne, au cabaret des Deux morts qui parlent. C’est là, on ne l’a pas oublié, que l’attendait le vieux Pardaillan. À tout, prendre, la visite qu’il venait de faire lui laissait une bonne impression: Loïse n’était plus au pouvoir de Damville, et c’était un point essentiel.

En songeant à ces choses, le chevalier s’avançait rapidement vers la rue Tiquetonne; et il arriva ainsi dans la rue de Beauvais, qui était l’une des artères du vieux Paris aboutissant à ce cœur de pierre qu’était le Louvre. Là, il trouva un tel encombrement de populaire qu’il dut s’arrêter.

Il regarda vers le Louvre, et vit qu’on avait baissé le pont-levis de la porte qui regardait la rue de Beauvais. Or, en l’absence du roi, toutes les portes du Louvre levaient leurs ponts-levis. Non seulement le pont était baissé, mais une compagnie d’arquebusiers prenait position dans la rue, en grande tenue de parade, pourpoint aux armes de France, casques à plumets ondoyants.

Vers sa gauche, dans Paris, le chevalier entendait une grande rumeur, ce bruit de houle qui est le bruit de la foule. Autour de lui, le peuple était endimanché; des femmes accouraient pour tâcher de prendre une place le long de la rue où des hommes du guet, à coups de hallebarde, s’efforçaient de maintenir un passage libre.

– Qu’y a-t-il? demanda Pardaillan à une jolie fille qui s’accrochait à son bras pour ne pas être bousculée.

– Eh! ne le savez-vous pas, dit la fille. C’est notre sire le roi qui rentre en son Louvre!…

Mais à ce moment une débandade se produisit dans la foule: le bruit venait de se répandre que le roi et son escorte ne passeraient pas par la rue de Beauvais, mais feraient un détour par la rue Montmartre. En un clin d’œil, la rue se vida comme un fleuve un instant trop gonflé qui se déverse par mille ruisseaux, et le peuple se mit à courir vers la rue Montmartre. Le chevalier reprit son chemin vers la rue Tiquetonne.

XLVIII UN ÉPISODE HOMÉRIQUE

Le vieux Pardaillan, comme on l’a vu, était arrivé à l’Auberge des deux morts qui parlent. Il y avait été accueilli à bras ouverts par la digne hôtesse, dame Catho. Le routier, d’un coup d’œil, inspecta le cabaret, avec ses pots d’étain et ses plats de cuivre accrochés un peu partout selon la place, aux murs ou aux solives du plafond bas, ses tables luisantes à pieds massifs, ses escabeaux à dossiers sculptés, ses cruches de grès et ses gobelets. Par une porte ouverte, on voyait rutiler les cuivreries d’une cuisine et flamboyer son âtre à grands chenets tordus et à crémaillère noircie. Bref, l’auberge avait une mine de prospérité qui fendit la bouche de Pardaillan dans un large sourire de satisfaction.

– Catho, dit Pardaillan une fois son inspection terminée, tu mérites d’être félicitée. Ton auberge est admirable; plût à Bacchus que j’en eusse toujours rencontré de pareilles!

– Grâce à vous, monsieur, fit Catho. Grâce à vos beaux écus. Mais je pense que celle-ci ne brûlera pas comme l’autre?

– Regretterais-tu ton héroïque dévouement?

– Nenni, monsieur. Lors même que je me fusse retrouvée après l’incendie sans un sou dans mon tablier, j’eusse été encore contente de vous avoir aidé à battre les philistins,… vous… et monsieur votre fils… On ne le verra pas, monsieur votre fils?

– Si fait, ma bonne Catho. Seulement, je te préviens que tu te mettras inutilement en frais. Ce gaillard-là a fait la sottise de donner son cœur. Ainsi…

– Oh! monsieur, croyez-vous donc qu’une pauvre fille comme moi… et puis, c’eût été bon dans le temps que j’étais belle… maintenant, hélas!…

Et la pauvre Catho, tirant un petit miroir de sa poche, examina avec un soupir de détresse son visage affreusement couturé par la petite vérole.