Il marcha, sans un mot, sans un gémissement, sans un sanglot, tandis que, sur son visage immobile, d’une pâleur de cire, les larmes tombaient une à une, lentes, régulières.
Quand il fut près d’elle, il se mit à genoux, son front se courba jusqu’aux pieds de la statue du Deuil, et alors les sanglots firent explosion dans sa gorge et sur ses lèvres, les gémissements emplirent la salle de leur musique effroyable et divine, et un mot, un seul, un mot qui tremblait, qui criait, qui se lamentait, et qui prenait toutes les formes de l’effroi, de la pitié, éclatait parmi ces gémissements surhumains:
– Pardon… pardon… pardon!…
Combien de temps François demeura-t-il ainsi prosterné?
Combien de temps l’effroyable parole qui se tordait sur ses lèvres roula-t-elle parmi les cris étouffés, les sanglots et les gémissements?
Peu à peu, François se redressait…
Ses mains saisissaient les mains glacées de Jeanne…
Puis, de ce même mouvement insensible, comme s’il se fût haussé vers le ciel, il se mettait debout, l’enlaçait de ses bras, son visage était près du visage de Jeanne…
Maintenant, il voulait parler, tout ce qu’il avait dans le cœur voulait s’échapper, il essayait d’agencer ses pensées, de combiner les mots pour dire ce qu’il avait souffert et combien il s’était maudit de son crime, c’est-à-dire de son injuste soupçon…
Et comme il allait parler, Jeanne, d’un mouvement très doux, mit ses deux bras autour de son cou et avec un sourire de pure extase, laissa tomber sa tête sur l’épaule de François…
Ah! pourquoi François, à cet instant, fut-il saisi d’une terreur étrange?
Ce mouvement des bras de Jeanne, il le reconnaissait! Cet enlacement de son cou, il le reconnaissait! Ce sourire, cette attitude de la tête chérie qui se penche sur son épaule, il les reconnaissait!…
C’était comme à Margency, là-bas, près de la maison de la nourrice, dans la terrible nuit du mariage et du départ!… Même mouvement, même geste, même attitude, même sourire!…
– Jeanne! Jeanne! bégaya François dans un délire d’angoisse.
Et ses cheveux se hérissèrent, l’angoisse devint de l’horreur, lorsqu’il reconnut la voix, l’accent, l’intonation que Jeanne avait eue dans la nuit de Margency… cette voix troublée, oppressée, hésitante, expression souveraine d’une joie infinie et d’une crainte timide.
Et Jeanne murmurait.
– Ô mon bien-aimé, tu vas le savoir enfin, le cher secret que je n’ose t’avouer depuis trois mois… Il faut que tu le saches enfin… et puis nous irons ensemble le dire à mon père…
– Jeanne! Jeanne! cria le maréchal pantelant.
– Écoute, mon François… écoute-moi bien… cette minute est solennelle… Mon bien-aimé, je suis ta femme, et notre union est bénie…
– Jeanne, Jeanne! hurla le maréchal.
– Écoute… voici le cher secret, si doux et si redoutable… François, tu vas être père…
Et elle leva vers lui ses yeux purs, ses yeux candides de jeune fille, ses yeux où toutes les pensées humaines s’étaient évanouies, et où ne resplendissait qu’un seul sentiment, pareil à une étoile d’or qui brille au zénith, dans la nuit de tout… le sentiment qu’elle traduisit dans un adorable sourire par ce mot:
– François, je vais être mère…
Une clameur de désespoir, une imprécation terrible, un mot s’exhalèrent ensemble des lèvres du maréchaclass="underline"
– Folle!… Elle est folle!
Et il tomba à la renverse, foudroyé, sans connaissance.
Le maréchal de Montmorency venait de retrouver celle qu’il avait tant aimée.
Qu’allait-il advenir de la réunion de ces deux êtres qui se chérissaient, du jeune amour du chevalier de Pardaillan, des grands intérêts et de la lutte engagée entre huguenots et catholiques.
Ce que nos lecteurs connaîtront prochainement.