Il était effrayant, tout pâle, les poils de sa rude moustache hérissés, les yeux étincelants, immobiles.
– C’est toi qui vas mourir! rugit Henri. À moi! À moi!…
– Bataille, donc! fit Pardaillan qui, d’un geste large, tira sa rapière.
À ce moment, tout ce qui restait de monde dans l’hôtel se ruait dans la pièce aux cris du maître. Pardaillan vit qu’il avait devant lui six hommes armés, sans compter le maréchal.
– Sus! Sus! hurla Henri, pas de quartier!
– À mort! À mort! répétèrent les cinq soldats et l’officier qui les conduisait.
Pardaillan, traçant un vaste demi-cercle avec sa rapière, bondit vers la gauche de la pièce.
– Ici, la meute! cria-t-il.
Les assaillants se ruèrent de ce côté, dégageant ainsi la porte. C’est ce que voulait Pardaillan. En un clin d’œil, il plaça sa rapière entre ses dents solides comme des dents de loup, empoigna un énorme fauteuil et le lança à toute volée sur les assaillants qui refluèrent vers le fond.
Au même instant, il remit l’épée à la main et se jeta vers la porte qu il franchit en poussant un éclat de rire.
En quelques bonds, Pardaillan, poursuivi par la meute enragée, atteignit le bas de l’escalier. Là il y avait une porte qui ouvrait cette cour. Il fondit sur elle pour l’ouvrir.
– Malédiction! gronda-t-il.
La porte était fermée!
– Sus! Sus! Nous le tenons! vociféra l’officier.
– Tue! Tue! hurlait Henri de Dam ville.
Au bas de l’escalier, vers la gauche, commençait le couloir qui aboutissait aux offices et aux derrières de la maison; de là, Pardaillan pouvait sauter dans le jardin, et là, il eût été sauvé… mais du premier coup d’œil, il vit que la porte qui ouvrait sur le vestibule de l’office était fermée.
Il était pris dans ce boyau, avec, devant lui, sept furieux solidement armés, derrière lui une porte infranchissable.
Alors il calcula ses chances. Les assaillants ne pouvaient plus l’envelopper; ils ne pouvaient marcher que trois de front, et encore, en se gênant.
– À la rigueur, dit-il entre ses dents, je puis arriver à les tuer l’un après l’autre.
C’est ce qu’il résolut, n’ayant plus que cette alternative, ou de faire ce grand carnage, ou de mourir.
Les coups, cependant, pleuvaient sur lui. Il les parait, ripostait à chaque seconde, sa longue rapière s’enfonçait dans le tas; un homme était blessé; les autres poussaient d’effroyables hurlements, car on ignorait encore l’art plus élégant de se battre en silence.
Pardaillan ne reculait que d’un pas que lorsqu’il y était absolument forcé.
Il se rendait bien compte, en effet, que s’il se laissait acculer à la porte du fond du couloir, il serait tué là sans rémission, sans défense possible. Tant qu’il avait du champ, il pouvait au contraire se défendre, préparer ses coups, parer ceux qu’on lui portait.
Une épée l’atteignit à son épaule et déchira son pourpoint.
La blessure saigna légèrement.
Pardaillan grogna un juron.
Il avait déjà reculé de cinq pas; il n’y avait encore que trois de ses assaillants blessés, l’un d’eux, il est vrai, hors de combat, étendu à terre, tout râlant.
À ce moment, il sentit une étrange pesanteur à sa main droite: c’était la blessure que lui avait faite d’Aspremont qui se rouvrait.
Il saisit son épée de la main gauche en se disant:
– Je crois que je suis hallali.
Mais en même temps, il continuait à hurler, selon la méthode d’alors, qui était aussi jadis celle des héros d’Homère:
– Misérables roquets! Pauvres capons de truanderie! Bonnes femmes! Votre maître ne vous a donc pas appris à tenir une épée! Arrière, valets! Tenez, voici comme on pointe!…
Un homme tomba.
Mais, cette fois, le pourpoint de Pardaillan fut fendu au sein et il sentit une tiédeur de sang couler le long de sa poitrine.
– Sus! Sus! vociférait Henri. Il est aux abois.
– À nous la bête! hurlaient les autres.
Et cela faisait, dans ce boyau obscur, avec les froissements de l’acier, les coups secs des battements, les râles, les jurons énormes, un vacarme indescriptible.
Un coup de pointe blessa le routier au poignet gauche au moment où après s’être fendu à fond sur l’officier, il faisait une retraite du corps. L’officier roula sur le sol qu’il talonna un instant: il était mort! D’épouvantables rugissements retentirent.
Pardaillan n’avait plus que quatre hommes devant lui.
Mais il était exténué; sa main gauche le faisait horriblement souffrir; il dut reprendre l’épée de la droite; et haletant, il s’appuya de la gauche au mur. Un nuage passait devant ses yeux. Il allait tomber… Il recula encore assez vivement de deux pas pour éviter un coup furieux que lui portait Damville. Mais il fut atteint au genou au même instant par un soldat.
– C’est fini, murmura-t-il en jetant devant lui un regard sanglant. Son épée lui tomba de la main.
Cet instant était celui où il reculait en se soutenant toujours de la main au mur.
Tout à coup, il eut la sensation que ce mur s’entrouvrait, il vit un trou noir béer près de lui, et à bout de forces, presque évanoui, il s’y laissa tomber!…
– Fermez la porte! vociféra Henri, et laissez-le crever dans cette cave!…
Les soldats obéirent; la porte fut solidement fermée et verrouillée; un grand silence se fit alors dans l’hôtel de Mesmes.
C’est en effet dans la cave que le vieux Pardaillan avait roulé – dans cette même cave où son fils s’était trouvé enfermé. En s’appuyant de la main à la porte qui était simplement poussée, il avait ouvert cette porte et s’était laissé tomber, dans un dernier effort de l’instinct vital.
Pardaillan avait roulé le long des marches et était demeuré étendu sans vie sur le sol de la cave. Si le maréchal l’y avait suivi, il n’eût eu qu’à l’achever d’un coup de poignard. Mais Damville ne croyait pas l’enragé aussi atteint qu’il ne l’était. Il redouta les suites de ce combat dans l’obscurité, alors que sa troupe était déjà si réduite, et il s’applaudit de la bonne inspiration qu’il avait eue en faisant enfermer Pardaillan dans cette cave transformée en tombeau.
«Dans quelques jours, pensa-t-il, il n’y aura plus là qu’un cadavre que j’enverrai jeter à la Seine, et tout sera dit!»
Le vieux Pardaillan, cependant, ne bougeait plus. Il perdait beaucoup de sang par ses blessures, et en somme, il risquait de mourir là d’épuisement. Mais ces vieux reîtres avaient l’âme chevillée au corps. Au bout d’une heure d’évanouissement, le corps étendu au bas de l’escalier commença à remuer les bras, puis les jambes; puis la tête se redressa; puis, enfin, ranimé par la fraîcheur de la cave, le routier se souleva, s’assit, passa ses mains sur son front et demeura longtemps dans cette position, sans pouvoir rassembler ses idées, avec le seul étonnement de se retrouver dans ce trou noir…
Enfin, il put penser. Et sa première pensée fut:
«Tiens! je ne suis pas mort?»
La deuxième pensée qui put se formuler au bout de quelques minutes dans son cerveau affaibli, fut celle-ci:
«À moins, toutefois, que je ne sois enterré.»
L’horreur de cette supposition le galvanisa.
– Par tous les diables! gronda-t-il. Enterré ou non, il me semble pourtant que je suis vivant!…
Il parvint à se traîner pendant une dizaine de pas, et constata ainsi avec une indicible satisfaction qu’il ne se trouvait nullement dans un tombeau.