– Le misérable, avant de mourir, a bien mangé et bien bu!…
– Vengeance! conclut Gillot qui brandit son couteau.
La recherche recommença plus acharnée. Au bout de deux heures, la cave avait été explorée jusque dans ses recoins les plus cachés: il fut évident que le cadavre de Pardaillan n’y était plus.
– Voilà qui est étrange, murmura Gilles.
– J’en reviens à mon dire, fit Gillot: les rats l’ont mangé seulement, ils n’ont même pas laissé les os.
– Imbécile! dit l’oncle.
C’était son mot favori quand il parlait à son neveu. Cependant, force lui fut de se rendre à l’explication de Gillot. En effet, une nouvelle perquisition demeura sans résultat, et, d’autre part, il était certain que Pardaillan n’avait pu s’évader; la porte barricadée à l’intérieur, l’unique soupirail demeuré intact étaient la preuve absolue que le sacripant n’avait pu sortir.
– Après tout, dit-il, cela nous évitera la peine d’aller jusqu’à la Seine.
– N’empêche, dit Gillot, que je n’ai pu lui couper les oreilles; c’est un dernier tour de sa façon qu’il me joue.
N’ayant plus rien à faire dans la cave, l’oncle et le neveu reprirent le chemin de l’escalier. En mettant le pied sur la première marche, Gilles qui marchait toujours en tête leva machinalement les yeux vers la porte qu’il avait baissée grande ouverte, et il poussa un cri terrible: cette porte était fermée.
En quelques bonds, il l’atteignit, poussé par l’espoir que peut-être il l’avait lui-même poussée par mégarde. Et là, il constata que non seulement elle était poussée, mais encore qu’elle était fermée à double tour!… Quelqu’un, du dehors, avait tourné la clef tandis qu’ils étaient occupés à rechercher le corps… Mais qui!…
– Que se passe-t-il, demanda Gillot qui montait à son tour.
– Ce qui se passe! hurla Gilles. Nous sommes enfermés!… Un voleur, un truand, un démon s’est introduit dans l’hôtel et nous a murés ici!… Nous allons y mourir comme l’autre!…
Gillot demeura hébété, secoué d’un tremblement convulsif… À ce moment, un strident éclat de rire retentit derrière la porte fermée.
– Gillot! cria une voix railleuse, je les aurai, tes deux oreilles!
Et les cheveux de Gillot se hérissèrent sur sa tête! Car cette voix, il la reconnaissait! Cette voix, c’était la voix du mort! C’était la voix de Pardaillan!…
L’oncle et le neveu roulèrent jusqu’au bas de l’escalier, en proie à une terreur insensée, et tombèrent l’un sur l’autre, évanouis…
C’était bien le vieux Pardaillan qui venait de pousser cet éclat de rire et de jeter à l’infortuné Gillot cette menace. Nous l’avons laissé au moment où n’ayant plus qu’un jambon pour toute provision, il entrevoyait avec horreur le supplice de la famine comme le terme fatal de sa carrière d’aventures. Lorsque ce dernier jambon fut épuisé, lorsqu’après avoir une centième fois fouillé la cave dans tous les sens, Pardaillan se fut bien convaincu qu’il ne lui restait plus qu’à mourir, il prit une résolution:
«Il se soutiendrait avec du vin tant qu’il pourrait. Et au moment où les souffrances de la faim deviendraient pressantes, où ce vague espoir d’être sauvé qui était enraciné dans son esprit s’évanouirait, eh bien! il échapperait à la torture par le suicide: d’un coup de sa bonne épée, il en finirait.»
Pardaillan attendit donc avec cette sérénité que donnent les résolutions définitives. Couché près de son tas de bouteilles, il y avait sans doute plusieurs heures qu’il n’avait mangé et se demandait s’il ne valait pas mieux se tuer tout de suite. Tout à coup, il lui sembla entendre un bruit derrière la porte. Il se releva d’un bond, se rapprocha, haletant, de l’escalier, et écouta…
Et ce qu’il entendit lui causa une joie telle qu’il eut de la peine à retenir un cri. Ce qu’il entendait, c’était la conversation de Gilles et de Gillot qui se communiquaient leurs impressions.
Pardaillan tira sa dague et se plaça au bas des barricades qu’il avait échafaudées. La démolition dura assez longtemps, comme on l’a vu et à force d’écouter les deux démolisseurs, le vieux routier changea d’idée. Il se dissimula dans un coin au pied de l’escalier, Gilles et Gillot passèrent à deux pas de lui.
Il attendit qu’ils se fussent enfoncés dans le lointain de la cave. Alors il n’eut qu’à remonter et tranquillement, il ferma la porte. Son premier mouvement fut alors de détaler et de mettre la plus grande distance possible entre lui et cette cave qui avait failli devenir son tombeau. Mais bientôt s’étant convaincu que l’hôtel était parfaitement désert, la curiosité le prit de savoir ce que diraient les deux fossoyeurs improvisés qui, en somme, avaient tout ce qu’il faut pour enterrer proprement un mort ou le jeter à l’eau – tout, excepté le cadavre.
Il entendit enfin l’oncle et le neveu s’approcher de la porte, une fois leur perquisition terminée. Et, satisfait de l’adieu qu’il leur jeta sous forme d’un éclat de rire et d’une menace, il s’éloigna.
– C’est égal, dit-il, voilà deux imbéciles qui doivent être bien étonnés!…
XLVII ÉTONNEMENT DE PARDAILLAN ET DE PARDAILLAN FILS
Le vieux routier, bien qu’il eût habité peu de temps l’hôtel, le connaissait pourtant de fond en comble. C’était chez lui une habitude invétérée que d’étudier soigneusement les localités où il devait séjourner. Rendu à la liberté par le tour de passe-passe auquel nous venons d’assister, il se rendit directement à l’office et alluma un flambeau. Puis il visita les armoires et commença par se réconforter de quelques victuailles oubliées. Alors il chercha les clefs des divers appartements et les ayant trouvées, son trousseau d’une main, le flambeau de l’autre, il se mit à visiter l’hôtel.
Dans quel but? Que cherchait-il?
Pardaillan, à tort ou à raison, s’imaginait avoir droit à quelques dédommagements et c’est ainsi que, guilleret, sifflotant un air de chasse, il parvint dans une grande salle où, entre autres ornements raffinés, se trouvait un grand miroir. Il en profita pour s’inspecter de la tête aux pieds et constata qu’il était à faire peur. Il n’avait plus de chapeau, ses vêtements étaient en lambeaux, tachés de boue, de sang et de vin. Il n’avait plus d’épée. D’ailleurs, ses blessures étaient toutes fermées, et sauf une cicatrice rougeâtre au nez, son visage était à peu près intact – un peu pâle, par exemple.
– Procédons avec ordre et méthode, dit Pardaillan.
Aussitôt, il pénétra dans la chambre à coucher du maréchal, il avisa une haute et noble armoire ventrue à laquelle il essaya vainement toutes ses clefs. À force de s’amuser à fouiller la serrure avec la pointe de sa dague, il finit par la faire sauter.
– Tiens! fit-il, voilà l’armoire qui s’ouvre! Elle était remplie de linge et de vêtements. Le vieux routier eut un sifflement d’admiration. Il procéda alors à une toilette complète dont il avait le plus grand besoin.
Dans une chambre de l’un des officiers du maréchal, il trouva une cuirasse en cuir jaune dont il se revêtit aussitôt. Dans une autre, il trouva une paire de hautes bottes toutes neuves et il se trouva qu’elles lui allaient parfaitement. Ailleurs, il s’empara d’une toque à plume noire, du plus bel effet. Enfin, à une panoplie de la grande salle, il décrocha la plus belle et la plus solide rapière qu’il pût trouver.
En continuant ses recherches, il arriva dans un cabinet écarté, où il tomba en arrêt devant un coffre armé de trois serrures. Au bout d’une heure de travail, les trois serrures avaient sauté. Pardaillan ouvrait le coffre et demeura ébloui: il était plein d’or et d’argent; il y avait là tout un trésor. Le vieux routier se gratta le nez, embarrassé, inquiet, se tâtant.