– Loïse! bégaya le jeune homme qui, d’un mouvement très doux, se mit à genoux sur le sol baigné de sang.
Deux larmes perlèrent au bord des longs cils de la jeune fille. Et son regard se voila alors d’une céleste tendresse.
– Puissances du ciel, je puis mourir… elle m’aime!…
Le chevalier tomba à la renverse, évanoui, tandis que le vieux Pardaillan, mordant sa rude moustache grise, grommelait:
– Ah! c’est la Loïse, Loïson, Loïsette?… Eh bien, je ne suis pas fâché de trépasser avec ce spectacle-là dans les yeux!
La dame en noir, Jeanne de Piennes s’avançait vers Henri de Montmorency.
Au moment où la porte s’était brusquement ouverte, au moment où cette femme était ainsi apparue, se jetant entre les épées et les blessés, les assaillants s’étaient reculés effarés. Et la dame avait si grand air, le front haut, majestueuse et calme, elle parut si imposante que l’étonnement se changea en respect, que tous comprirent qu’il allait se passer quelque chose d’étrange, et que nul parmi ces hommes furieux tout à l’heure n’eût voulu alors porter un dernier coup aux blessés que d’un geste elle avait mis sous sa protection.
Jeanne de Piennes s’arrêta à deux pas du maréchal de Damville. Hypnotisé, Henri l’avait vue venir comme on voit marcher une apparition dans un rêve. Il n’y avait plus en lui ni amour, ni fureur, ni jalousie: il n’y avait que le prodigieux étonnement de la voir là. Comment? Pourquoi? Sa tête s’y perdait. Il attendait, voilà tout.
– Monseigneur, dit Jeanne de Piennes, je prends ces deux hommes: ils sont à moi. L’un d’eux est celui qui m’a ramené l’enfant qui m’avait été volé; l’autre, c’est son fils. Et ma gratitude infinie va de l’un à l’autre. Je vous le dis, monseigneur, ces deux hommes sont à moi. Et je vous demande: dois-je expliquer à tous ici présents quelle dette j’ai contractée envers eux? Faut-il que je parle?
D’un geste de son bras elle enveloppa les cavaliers immobiles, les mignons stupéfaits, la foule maintenant silencieuse, haletante devant cette scène. Le maréchal avait longuement tressailli. Il eut un haut-le-cœur de révolte. Ses yeux sanglants regardèrent, farouches, autour de lui, puis revinrent à Jeanne de Piennes. Et sous son regard à elle, sous ce regard limpide, il se courba, vaincu… vaincu en apparence, car un sourire funeste glissa sur ses lèvres décolorées. D’une voix basse, rauque, à peine perceptible, il répondit:
– Ces deux hommes sont à vous, madame… prenez-les!…
Et sous ses coups de saccade violente, son cheval recula jusqu’aux maisons d’en face; mais là, il s’arrêta, et Henri demeura présent… un nouveau sourire fugitif et terrible tordit sa bouche. Jeanne de Piennes s’était retournée vers le capitaine des gardes du duc d’Anjou.
– Monsieur, dit-elle, vous accomplissez ici une mission…
– Ordre du roi, madame! fit le capitaine d’une voix ferme. Je dois arrêter ces deux gentilshommes…
– Monsieur, je m’appelle Jeanne, comtesse de Piennes, duchesse de Montmorency…
Le capitaine s’inclina profondément. Il y eut un frisson parmi les assistants, telle avait été l’amertume qui avait éclaté dans ces quelques mots, – l’amertume et aussi la forte volonté.
– Je vous suis une caution vivante, poursuivit Jeanne de Piennes. Ma parole vous répond des deux prisonniers.
– S’il en est ainsi, madame, dit le capitaine, à Dieu ne plaise que je mette en doute la caution de haute, noble et puissante dame de Piennes et de Montmorency. Et si les deux prisonniers ne doivent pas quitter cette maison…
– Ils ne la quitteront pas, monsieur!
– J’obéis, madame. J’ajoute: je suis heureux d’obéir, car ce sont deux braves.
Jeanne de Piennes s’inclina et se retourna vers les deux blessés qui, s’étant relevés, assistaient à cette partie de la scène en faisant d’héroïques efforts pour se tenir debout. Aux derniers mots du capitaine, d’un même mouvement, ils remirent leurs épées aux fourreaux. Jeanne de Piennes s’avança vers le vieux Pardaillan:
– Monsieur, dit-elle de sa voix douce et fière, voulez-vous me faire le grand honneur de vous reposer dans ma pauvre maison?…
Elle tendit sa main. Le vieux routier, bouleversé d’émotion, s’appuya sur cette main, et tous les deux entrèrent ainsi dans la maison.
Alors, d’un geste timide, Loïse présenta sa main au chevalier, Il la saisit en frissonnant et se redressa de toute sa taille. Déchiré, sanglant, superbe, il apparut un instant comme le lion qui, après la victoire, conduit sa lionne hors du champ de bataille.
La vision disparut. La porte s’était refermée sur Loïse et le chevalier…
– Capitaine! gronda Henri, vingt gardes devant cette maison, nuit et jour! Vous me répondez sur votre tête des prisonniers… et des prisonnières!…
– J’allais donner mes ordres, monseigneur! répondit le capitaine d’un ton hautain.
– Faites donc!… Et fasse votre bonne étoile que la dame de Piennes, qui s’intitule à faux duchesse de Montmorency, vous soit une bonne caution jusqu’au bout!
Le capitaine prit rapidement ses dispositions: les morts et les blessés furent enlevés; on envoya chercher du renfort; et bientôt vingt gardes s’installaient devant la maison qui devait être surveillée nuit et jour.
Au loin, les canons du Louvre tonnaient.
XLIX LE DIAMANT
Comment Jeanne de Piennes et sa fille Loïse se trouvaient dans cette maison de la rue Montmartre, comment et pourquoi elles intervinrent dans la scène que nous venons de retracer, c’est ce que le lecteur avait le droit de se demander, et c’est ce que nous avons le devoir de lui dire.
Le séjour des deux prisonnières dans le logis de la rue de la Hache avait été aussi triste qu’on peut l’imaginer; mais la souffrance morale n’avait été compliquée d’aucune souffrance physique. Alice de Lux se maintenait dans son rôle de geôlière; elle s’y maintenait avec honte, avec désespoir, et elle tâchait au moins d’atténuer ce qu’il y avait d’odieux dans ce rôle. Dans les rares occasions où elle eut à s’entretenir avec la dame de Piennes, elle se présenta plutôt en servante qu’en gardienne. Les prisonnières qui l’avaient d’abord redoutée, finirent par la prendre en pitié.
Les jours et les nuits s’écoulèrent mornes, désolés.
Cependant, cette claustration au fond de deux pièces étroites avait altéré la santé de Jeanne de Piennes. Elle résistait au mal avec cette vaillance qu’on lui connaît. Mais enfin tant de violentes secousses, tant de chagrins, une si longue douleur qui semblait s’enfoncer plus profondément en elle à mesure qu’elle avançait dans la vie, avaient fini par l’atteindre au cœur.
Ses yeux s’élargissaient, cernés d’un cercle bleuâtre: Une grande faiblesse, peu à peu, s’emparait d’elle.
On peut dire que cette infortunée ne vivait plus que par un effort d’énergie morale et d’amour maternel. Jeanne de Piennes n’était plus que mère. Son dernier rêve était de mettre sa fille en sûreté… mourir ensuite!
Oui, elle envisageait maintenant la mort comme le suprême repos. En effet, son dernier espoir s’était évanoui. Quel espoir? La lettre qu’elle avait écrite à François de Montmorency!
Elle ne doutait pas que cette lettre n’eût été remise. En interrogeant Alice de Lux, elle avait pu se convaincre que le maréchal était à Paris. Il lui semblait impossible que François n’eût pas reçu cette lettre touchante où elle avait raconté la vérité sur la tragédie de Margency. Et François n’était pas accouru à son secours! François l’abandonnait, la croyait encore coupable!
Il est vrai qu’il avait pu la chercher sans la trouver; mais cela même lui paraissait impossible. Dans sa lettre, elle accusait si hautement Henri de Montmorency que, fatalement, il avait dû apparaître à François comme le ravisseur. En dernière ressource, le maréchal eût pu en appeler à la justice royale.