Loïse se détourna avec embarras. Alice s’agenouilla.
– Madame, dit-elle d’une voix brisée, c’est une mourante qui vous offre ce peu d’or destiné à rendre moins durs à cette noble demoiselle les premiers temps…
Jeanne regarda sa fille et tressaillit.
– Je vous ai fait tant de mal, continua Alice, en acceptant de vous garder ici détenues, que j’en ai comme le cœur rongé. Je vous jure que vous adoucirez les derniers jours d’une malheureuse en recevant ce faible présent. Car si vous le recevez, alors, madame, je croirai que vous m’avez pardonné…
Jeanne de Piennes laissa tomber sur la geôlière, un regard d’infinie miséricorde. Une dernière hésitation l’arrêta un instant. Mais la générosité l’emportant en son cœur, elle tendit ses deux mains à Alice qui les saisit et les baisa ardemment. Jeanne alors prit la bourse.
Elle voulut dire quelques paroles d’adieu à cette étrange geôlière pour qui elle n’éprouvait plus que de la pitié, mais déjà Alice s’était relevée et, silencieusement, avait disparu.
– Partons! dit alors Jeanne.
– Étrange femme! songea Jeanne de Piennes, lorsqu’elles furent dans la rue. Qui sait si cette existence ne cache pas quelque catastrophe plus affreuse encore que celle qui m’a frappée!… Hélas! le monde est donc un vaste champ où ne poussent que les fleurs de malheur?
Sur le premier moment, l’idée qu’elle était libre, qu’elle échappait enfin à Henri, lui causa une joie qui ranima ses joues flétries. Un pâle sourire se joua sur ses lèvres.
– Comme vous êtes belle aujourd’hui, mère! fit Loïse qui lui donnait le bras. Il y a longtemps que je ne vous avais vue ainsi… Vous vous remettrez, vous verrez. Et puis, si le mal vous gagne, je serai là, moi, pour vous soigner et vous guérir…
Et la jeune fille, cachant soigneusement la peine secrète de son cœur, paraissait toute joie, toute lumière. La mère se reprit à espérer. Peut-être parviendrait-elle à oublier le passé!…
En attendant, il fallait trouver une maison, un logis quelconque. Rue Montmartre, une petite maison inhabitée lui sembla réunir les conditions de modestie, de calme et d’éloignement qu’elle recherchait. Elle s’y installa aussitôt, et commença à faire avec Loïse, des plans de départ.
Loïse regardait sa mère avec inquiétude: jamais elle ne l’avait vue aussi fiévreuse; elle parlait avec une volubilité effrayante. Dans la journée même, Jeanne dut s’aliter. Le délire la prit. C’était la première fois que Loïse se trouvait en présence d’un événement pareil. Elle ne perdit pas la tête, pourtant. Et, seule à lutter, elle n’en lutta qu’avec plus de fermeté.
Des jours se passèrent. Jeanne, pour cette fois, échappa à la mort qui la guettait. Mais lorsqu’elle put se relever, elle comprit qu’elle était condamnée. Elle ne respirait plus qu’avec difficulté et, plusieurs fois par nuit, les suffocations jadis espacées à de longs intervalles venaient la menacer. Quoi qu’il en soit, elle parut se remettre de cette alerte.
Un jour, comme elles causaient tristement, Loïse s’efforçant de sourire, la mère cherchant à lui donner l’illusion de la pleine santé revenue, ce jour-là, donc, comme elles convenaient de quitter Paris le lendemain, elles entendirent de grandes rumeurs dans la rue. Ayant examiné ce qui se passait, elles comprirent d’après les conversations de la foule et le déploiement des compagnies de gardes, que le roi rentrait dans Paris. Jeanne de Piennes ferma les fenêtres et rabattit les contrevents. Non seulement ce spectacle la touchait peu, mais encore elle redoutait d’être vue.
Deux ou trois heures s’écoulèrent. La mère et la fille, assises l’une près de l’autre et se tenant par la main, écoutaient avec indifférence les bruits du dehors qui faisaient paraître plus profond le silence de la maison. Tout à coup, elles tressaillirent. Le marteau de la porte venait de retentir.
– Qui peut frapper? murmura Jeanne.
– Mère, fit Loïse d’une voix tremblante, on dirait le coup de marteau de quelqu’un qui demande du secours!…
Mais Jeanne secoua la tête. Les bruits du dehors se faisaient plus violents.
– Non, dit-elle, c’est par hasard, sans doute, que le marteau a été soulevé.
Nos lecteurs n’auront peut-être pas oublié que c’était le vieux Pardaillan qui, sans le vouloir, d’ailleurs, avait frappé un coup à la porte de cette maison.
Et, comme Loïse demeurait toute tremblante, soudain pâlie, la mère ajouta:
– Rassure-toi, mon enfant. D’ailleurs, en entrebâillant les contrevents, nous allons voir…
Elle se leva et se dirigea vers la fenêtre. Mais, à ce moment, elle demeura clouée sur place. Elle venait d’entendre prononcer le nom de Pardaillan! Et ce nom, il était crié parmi des insultes, des menaces, des clameurs de haine! Loïse, déjà, avait couru à la fenêtre et avait poussé les contrevents de manière qu’elle pût voir sans être vue. Sa mère alors la rejoignit.
Autour de la porte de leur maison, il y avait un demi-cercle de cavaliers qui entouraient quelqu’un qu’elles ne pouvaient voir, vu que ce quelqu’un s’était ramassé contre la porte, sous l’auvent. Mais si elles ne le voyaient pas, elles entendaient son nom. C’était bien Pardaillan que menaçaient tous ces cavaliers qui s’avançaient peu à peu.
Pardaillan! Lui! L’homme qui avait enlevé Loïse!
Était-ce la punition du crime? Quelle fatalité avait voulu que ce fût justement sous les yeux de Jeanne et de Loïse que le misérable fût frappé… Car il allait être frappé à mort… c’était inévitable. À ce moment, un double cri étouffé échappa aux deux femmes qui, après un mouvement de recul, revinrent à la fenêtre, comme invinciblement attirées.
– Lui! avait murmuré Jeanne de Piennes, Henri de Montmorency!
– Le chevalier de Pardaillan! murmura de son côté Loïse.
Et invinciblement attirées, elles reprirent place à leur poste d’observation.
– Notre mauvais génie est là! continua la mère. Loïse, mon enfant, qui sait si le damné Pardaillan ne nous a pas découvertes! Qui sait si ce n’est pas lui qui a amené ici son maître! Quelle horrible fatalité pèse donc sur nous!… Mais qu’as-tu donc, ma fille?… Tu pleures!…
– Mère! oh! mère! bégaya Loïse en étreignant dans ses bras la dame de Piennes.
Et, confuse, éperdue, elle ajouta:
– Il faut le sauver!… Je meurs s’il meurt!
– Sauver! s’écria Jeanne. Sauver qui!… Mon enfant, reviens à toi… nous n’avons personne à sauver ici… il n’y a là que nos deux plus cruels ennemis!
– Ah! ma mère, je suis sûre que lui n’est pas notre ennemi. Malgré tout, je ne puis le croire déloyal.
– Mais de qui parles-tu donc?
– Regardez, mère… ici… à gauche, tout près de la porte…
Jeanne de Piennes se pencha davantage, au risque d’être aperçue et, apercevant le chevalier, elle comprit ce qui se passait dans le cœur de sa fille… Mais son regard ne s’attacha qu’un instant au chevalier. Elle devint soudain très pâle, les yeux agrandis par l’étonnement, regardant quelqu’un que Loïse ne voyait pas. Et ce quelqu’un, c’était celui dont elle conservait l’image nettement et pieusement gravée dans sa mémoire, celui auquel elle avait voué une reconnaissance infinie, l’homme qui lui avait ramené sa petite Loïse!…
Alors, elle se recula de la fenêtre. Que se passa-t-il en elle? Sans doute, avec la rapidité de rêve des résolutions suprêmes, elle mit en balance la dette contractée vis-à-vis de cet homme et l’horreur que lui inspirait Henri. Se taire, assister silencieuse, immobile, au massacre, c’était abandonner le seul homme au monde qui lui eût témoigné une pitié dont le souvenir, toutes les fois qu’elle y songeait, mettait des larmes dans ses yeux. Intervenir, essayer de le sauver, c’était se livrer au formidable oppresseur auquel elle venait à peine d’échapper. La lutte fut courte. Elle saisit la main de sa fille, et dit simplement: