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Ayant ainsi parlé, Catherine de Médicis entraîna Ruggieri hors de la tour.

– Ne devions-nous pas examiner les astres? fit celui-ci.

– Cet examen devient inutile. Je sais ce que je voulais savoir.

Ils traversèrent de biais la partie des jardins où ils se trouvaient et parvinrent à un petit bâtiment d’allure élégante, placé à une centaine de pas de la tour. Il se composait d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. Catherine l’avait fait construire pour servir de logement à son astrologue. C’était une gracieuse maison brique et pierre blanche, avec balcon ventru en fer forgé, le tout dans le goût de l’époque et à la dernière mode. Une belle porte cintrée, en chêne orné de gros clous à tête, des fenêtres à vitraux délicats, une façade contre laquelle grimpaient des rosiers touffus, achevaient de donner à cette demeure une apparence de coquetterie; on eût dit l’hôtel de deux nouveaux époux.

Ils entrèrent et, tout de suite après l’antichambre, pénétrèrent dans une pièce très vaste qui occupait toute l’aile gauche du rez-de-chaussée. Sur une grande table étaient déployées des cartes célestes dressées par Ruggieri lui-même; les murs disparaissaient derrière les rayons de chêne qui supportaient des volumes reliés les uns en bois, les autres en peau armaturée de fer: toute la bibliothèque de l’astrologie se trouvait réunie là. Et c’est cela qu’abritait la jolie maison Renaissance!

La reine et l’astrologue ne s’arrêtèrent que quelques instants dans le cabinet de travail poussiéreux et sévère où Ruggieri s’était hâté d’entrer, comme s’il eût voulu éviter d’être entraîné dans une autre partie de la maison.

– Allons dans ton laboratoire, dit Catherine.

Ruggieri eut un frémissement, mais obéit.

Ils traversèrent à nouveau l’antichambre, et Ruggieri faisant manœuvrer trois serrures compliquées, finit par ouvrir après dix minutes de travail, une lourde porte renforcée de barres de fer.

Derrière cette porte s’en trouvait une autre. Et celle-ci était toute en fer. Elle n’avait aucune serrure. Mais Catherine elle-même ayant appuyé fortement sur un imperceptible bouton, la porte s’ouvrit, ou plutôt s’écarta, laissant de chaque côté la place suffisante pour le passage d’un homme.

La pièce où ils entrèrent alors occupait l’aile droite du rez-de-chaussée.

L’air y pénétrait par deux fenêtres. Mais en dedans des jolis vitraux que nous avons signalés d’énormes barreaux de fer défendaient l’entrée de ce sanctuaire, tandis que d’épais rideaux en cuir, soigneusement tirés, le protégeaient contre tout regard qui fût parvenu à percer les vitraux.

Ruggieri alluma deux flambeaux de cire, et la salle apparut alors.

Tout le panneau du fond était occupé par le manteau d’une cheminée assez vaste pour former à elle seule comme une pièce distincte. Sous ce manteau, deux larges fourneaux étaient dressés; à chacun d’eux aboutissait le bout d’un soufflet de forge. Ils étaient encombrés de creusets de différentes grandeurs. Cinq ou six tables placées çà et là supportaient des cornues de toutes tailles, des éprouvettes, des alambics. Dans une armoire, une centaine de bocaux contenaient des poudres et des liquides. Sur une planche, une collection de masques en verre ou en treillis d’acier.

Dans un coin, un certain nombre d’objets de diverse nature, étaient placés sous une vitrine.

Sur un signe de Catherine, Ruggieri ouvrit la vitrine au moyen d’une clef qu’il portait suspendue à son cou, sous son pourpoint.

Catherine se pencha, et murmura:

– Choisissons!… Qu’est-ce que cette aiguille, René, cette jolie aiguille d’or?…

René s’était penché, lui aussi. Leurs deux têtes se touchaient presque.

Celle de Catherine, à ce moment, était hideuse, parce qu’elle riait. Au repos, la tête de la reine présentait un caractère de sombre mélancolie qui n’allait pas sans grandeur. Quand elle souriait, elle parvenait à être gracieuse comme au temps de sa jeunesse où son sourire avait été chanté par tous les poètes. Mais quand elle riait d’une certaine façon, elle devenait effrayante.

Quant à Ruggieri, une singulière transformation s’était opérée en lui. Il n’y avait plus ni crainte, ni douleur, ni inquiétude sur son visage où éclatait le sauvage orgueil du savant qui contemple son œuvre.

– Cette aiguille? dit-il avec un sourire d’affreuse modestie. Cueillez un fruit, madame, par exemple, une belle pêche bien mûre et dorée; enfoncez cette aiguille dans sa chair savoureuse; voyez l’aiguille est si mince qu’il sera impossible d’apercevoir la trace de son passage dans le fruit. D’ailleurs, le fruit n’en sera nullement gâté. Seulement, la personne qui aura mangé cette pêche sera prise, dans la journée, de nausées et de vertiges; le soir, elle sera morte.

– Ah! ah!… Et ce liquide épais dans ce flacon, ce liquide qui ressemble à de l’huile?

– C’est, en effet, de l’huile, madame. Si, lorsqu’on prépare la veilleuse de Votre Majesté, on mélangeait douze ou quinze gouttes de cette huile à l’huile de la veilleuse, Votre Majesté s’endormirait comme d’habitude, sans éprouver ni angoisse ni malaise. Seulement, elle s’endormirait un peu plus vite que d’habitude… et elle ne se réveillerait plus.

– Admirable, René! et cette série de minuscules flacons?

– Tout simplement des essences de fleurs, ma reine. Voici la rosé, voici l’œillet et voici l’héliotrope; puis, l’essence de géranium; voici la violette; voici l’oranger. Vous vous promenez dans vos jardins avec un ami et vous lui faites remarquer la beauté d’un rosier, par exemple. Votre ami admire et demande à cueillir une rose. Il la cueille et la respire: c’est un homme mort si, la veille, vous avez fait une légère incision à l’arbuste et si, dans l’incision, vous avez versé dix gouttes de cette essence… Vous pouvez aussi vous contenter de verser une goutte sur la fleur que vous offrirez. Le parfum de la fleur n’est pas modifié puisque chacune de ces essences possède le parfum lui-même.

– Très joli, René! Et ces cosmétiques?

– Ce sont des cosmétiques ordinaires, madame. Voici le noir pour les sourcils et cils; voici le rouge pour les lèvres; voici la pâte pour étendre sur le visage; voici les crayons pour donner de la vivacité aux yeux. De simples et ordinaires cosmétiques. Seulement, la femme qui aura employé cette pâte ou ces crayons sera prise, dans les deux jours qui suivront, de violentes démangeaisons à la figure, et bientôt un ulcère se produira, qui ravagera le plus beau visage.

– Ah! ce n’est pas pour tuer, alors?

– Eh! madame, on tue une jolie femme en lui prenant sa beauté.

– Tout ceci est trop foudroyant, murmura Catherine. Qu’y a-t-il là? De l’eau?

– Oui, madame, de l’eau pure, sans goût, sans saveur, sans odeur, sans parfum, de l’eau qui n’altérera en rien l’eau ou le vin, ou le liquide quelconque avec lequel vous l’aurez mêlée dans la proportion infime de trente à quarante gouttes pour une pinte. Ceci, madame, c’est le chef-d’œuvre de Lucrèce: c’est l’aqua-tofana.