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– Charles! Tu me déchires le cœur!…

– Je sais, mon doux ange bien-aimé… il le faut pourtant. Je t’ai appelée ce matin pour te donner mes dernières instructions, mes ordres… Oui, s’il le faut, ce seront les ordres de ton roi!… Ce sera la première et la dernière fois que je t’aurai parlé ainsi… pardonne!…

– Charles! mon amant! mon roi! ta volonté m’est sacrée!… Mais pourquoi t’inquiéter…

– Donc, pour la tranquillité de mes derniers jours, interrompit le roi, pour toi, ma chère Marie, et aussi pour ce pauvre innocent, tu vas me jurer de m’obéir par-delà ma mort.

Il parlait avec une volubilité fiévreuse qui désespéra Marie Touchet.

Elle se prit à sangloter et, espérant le calmer, répondit:

– Je te le jure, mon bon sire.

– Très bien, dit le roi. Je te sais femme à tenir parole, même quand tu sauras ce que je vais te demander. Écoute, Marie. Quand je serai mort, si tu es seule, si une protection forte et loyale ne s’étend pas sur toi, tu seras en butte à mes ennemis qui voudront te faire payer le seul bonheur que j’aie connu en ce monde…

– Qu’importe! s’écria la jeune femme, alarmée par ce qu’elle prévoyait. J’aime mieux souffrir, pourvu que je sois seule. Et puis, Pourquoi songerait-on à persécuter une pauvre femme qui ne demande que le droit de vivre et d’élever son enfant!

– Ah! Marie, tu ne les connais pas. Peut-être te ferait-on grâce, à toi!… Mais l’enfant… On redoutera les prétentions de ce pauvre petit qui est de sang royal, on voudra l’écarter… et la meilleure manière d’écarter les gens, vois-tu, c’est de les tuer!…

– Mon fils!…

Marie Touchet eut un cri de terreur et demeura toute tremblante.

– On le tuera, Marie! Si loin que tu ailles, si bien que tu te caches, on l’empoisonnera… on l’égorgera…

– Tais-toi! Oh! tais-toi!…

– La seule manière de le sauver, c’est de placer près de toi et de lui un homme fidèle, brave et bon, qui veillera sur vous deux parce qu’il en aura le droit, parce qu’il sera ton mari!… Parmi tant de traîtres qui m’entourent, il est un gentilhomme que j’aime et que tu estimes à sa valeur: c’est Entraigues… ce sera ton époux…

– Sire!… Charles!…

– C’est mon désir suprême, dit le roi.

– Ô mon cher bien-aimé! dit Marie d’une voix brisée.

– C’est ma volonté royale!…

– Sire!…

– Je le veux!…

– J’obéirai, dit Marie dans un souffle. Oui, pour l’enfant, pour ton fils… j’obéirai!…

Le roi fit un signe à la nourrice qui ouvrit une porte.

François d’Entraigues parut.

– Approche, mon ami, dit Charles IX. Je veux te demander si tu es disposé à tenir le serment que tu me fis hier de m’obéir même quand je ne serai plus de ce monde…

– Je l’ai juré, Sire, et je ne suis pas de ceux qui jurent par deux fois.

– Tu me promis d’épouser la femme que je te désignerais, d’adopter son enfant comme la chair de ta propre chair…

– Sire, dit Entraigues, dès ce moment, j’ai compris que vous me demanderiez de veiller sur la vie de votre fils en devenant aux yeux du monde, sinon en fait, l’époux de madame Marie… est-ce bien cela, Sire?

– Oui, mon ami…

– J’ai juré, Sire, et je tiendrai parole: je donnerai mon nom à celle que vous avez aimée; je la couvrirai du blason de ma famille; la force de mon bras et les ressources de mon esprit, je les emploierai à la protéger envers et contre tous, ainsi que l’enfant royal qui m’est confié…

Entraigues parlait avec une sorte de solennité émue.

Marie Touchet avait couvert ses yeux de son mouchoir et pleurait.

Le gentilhomme se tourna vers elle et ajouta:

– Ne craignez rien, madame… jamais je ne me prévaudrai de mon titre d’époux, qui ne me donnera qu’un seul droit: celui de vous rendre la vie douce et de vous faire un rempart contre les desseins des méchants…

C’était un redoutable engagement que prenait là ce jeune homme – en toute sincérité.

Peut-être l’avenir allait-il échafauder sur ce serment des complications dramatiques…

Charles IX, dans un mouvement de joie profonde, saisit la main de Marie Touchet et la plaça dans celle d’Entraigues.

– Mes enfants, dit-il – et ce mot, dans la bouche de ce mourant, n’était pas déplacé – mes enfants, soyez bénis tous deux!

Alors il prit dans ses bras son fils, pauvre petit être autour duquel déjà se tramaient peut-être dans l’ombre des projets de mort; il le serra sur sa maigre poitrine, l’embrassa à diverses reprises et le rendit enfin à Marie Touchet.

– Marie, dit-il alors, je sens que mes jours sont comptés; mon enfant, fais-moi la grâce de revenir ici tous les matins à partir d’aujourd’hui.

– Certes, mon bon Charles! Si je pouvais demeurer en ce château… te soigner, te veiller… ah! je te guérirais promptement…

Le roi secoua la tête…

– Entraigues, dit-il, accompagne-la… Il est temps qu’elle se retire… car voici l’heure où madame ma mère me vient voir…

Marie se jeta dans les bras du roi. Ils s’étreignirent longuement…

– À demain, dit Charles IX.

– À demain, répondit Marie Touchet.

Après un dernier baiser, un dernier regard à son amant, elle sortit, accompagnée d’Entraigues, et guidés par ce serviteur dont nous avons parlé, ils purent sortir du château sans avoir été remarqués.

Comme Marie Touchet était montée dans sa voiture fermée, et comme Entraigues se mettait en selle, il vit venir au loin un groupe de cavaliers au galop.

La voiture de Marie Touchet s’ébranla.

Entraigues demeura un moment sur place pour voir quels étaient ces cavaliers si pressés qui accouraient dans un nuage de poussière. En tête de ce groupe, en avant de plus de cinquante pas, galopait un homme qu’Entraigues ne tarda pas à reconnaître.

Il pâlit et murmura:

– Le roi de Pologne ici [32]… Ah! maintenant je vois bien que Charles va mourir, puisque les corbeaux accourent!

Alors, d’un temps de trot rapide, il rejoignit la voiture de Marie Touchet et rentra avec elle dans Paris.

Charles IX était demeuré seul avec sa nourrice.

Après le départ de Marie Touchet et d’Entraigues, il s’approcha de la fenêtre qui donnait sur de beaux sycomores et sembla prendre plaisir à contempler toute cette verdure, le ciel rayonnant où passaient de légers nuages blancs…

– Comme il ferait bon de vivre! murmura-t-il. Oh! vivre dans la paix des champs, n’être plus roi, n’être plus le misérable que je suis, ne plus deviner les poignards dans l’ombre, ne plus redouter le poison dans le pain que je mange, dans l’eau que je bois, dans l’air que je respire!… Je serais un petit bourgeois… ou même un villageois, j’aurais une maison au fond d’un jardin, près d’une forêt, je vivrais entre mon fils et celle qui m’aime… celle que j’aime: la maison serait blanche, et il y aurait des roses dans le jardin… Oh! mon rêve de roi!… Vivre! Oh! vivre encore!… Seigneur, un peu de paix, par pitié!…

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[32] Le duc d’Anjou. On sait qu’Henri d’Anjou, frère de Charles, était monté, peu après la Saint-Barthélemy, sur le trône de Pologne. On sait que prévenu en toute hâte par Catherine de Médicis, de la fin prochaine de Charles IX, il quitta secrètement la cour de Pologne et arriva à Vincennes juste à point pour voir mourir son frère, et recueillir sa couronne sous le nom d’Henri III. (Note de M. Zévaco.)