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Là où les ordres de Catherine étaient déjà arrivés, là où on commençait à tuer, il fondait tout à coup sur les massacreurs, faisait jeter en prison les plus enragés et décrétait que tout homme pris à violenter, molester ou piller, serait pendu haut et court sans procès.

D’un point, il courait à un autre.

Pendant un mois, il battit la campagne, traversant les villes, les villages les hameaux et inspirant partout une terreur salutaire aux trop fervents catholiques.

Pardaillan opérait de son côté, mais avec plus de fougue encore et de rapidité. Pendant deux mois, il ne laissa pas un point inexploré dans les pays qu’il traversa. Nous renonçons à peindre la joie délirante, les acclamations, les larmes de gratitude des infortunés que l’on commençait à «piller» et qui voyaient tout à coup arriver le secours et la délivrance.

De l’Isle-Adam, où il se dirigea tout d’abord, Pardaillan bondit jusqu’à Luzarches; de là, il remonta à Senlis, traversa Crépy, allant, revenant courant à l’est, à l’ouest, entra en coup de foudre à Compiègne et poussa jusqu’à Noyon dans une course audacieuse.

Alors, obliquant à gauche, il redescendit sur Montdidier, et par Crèvecœur, gagna enfin Beauvais où le maréchal avait établi ses quartiers.

Cette campagne faite de marches et de contre-marches avait duré trois mois.

Grâce donc au maréchal de Montmorency et au chevalier de Pardaillan, toute cette province fut exempte des horreurs qui s’abattirent sur presque tout le reste du royaume; quelques gouverneurs – bien rares – suivirent ce noble exemple et s’opposèrent par la force à l’exécution des ordres venus de Paris.

Au bout de ces trois mois, le calme s’était complètement rétabli.

Mais le maréchal, pendant un mois encore, promena sa petite armée pour achever d’intimider les forcenés.

Ce ne fut que le soir du 29 décembre, par un temps de neige, que le maréchal rentra dans son manoir.

Aucune attaque n’avait été essayée contre le château.

Vers la fin d’août seulement, un parti de cavaliers royalistes et catholiques s’était montré; mais deux ou trois coups de canon avaient suffi pour prouver à ces gens qu’on était décidé à se bien défendre.

Le 6 janvier, le maréchal licencia son armée après en avoir réuni les capitaines dans un repas qui eut lieu dans la grande salle des preux.

L’hiver s’écoula paisiblement.

Le mariage de Pardaillan et de Loïse avait été fixé au mois d’avril, sur la prière de François.

Pendant la campagne du maréchal et du chevalier, la santé de Jeanne de Piennes avait achevé de se rétablir. Sa beauté était redevenue éclatante; toute pâleur avait disparu; cette ombre de mélancolie qui couvrait son visage à l’époque qu’on l’appelait encore la Dame en noir s’était dissipée. C’était dans ses yeux et sur ses lèvres un sourire de bonheur.

Hélas! ce bonheur n’était qu’un rêve!

C’est à son rêve que souriait la pauvre démente…

Mais qui sait, après tout, si les bonheurs réels après lesquels nous courons ne sont pas eux-mêmes des rêves!… Et en ce cas, le pur rêve n’est-il pas, peut-être, l’idéal bonheur, puisque jamais la réalité ne répond exactement à l’espérance…

Quoi qu’il en soit, Jeanne demeurait folle.

Et c’était une chose poignante que ce sourire qui allait chercher un François imaginaire, alors que le François réel la contemplait les larmes aux yeux et cherchait en vain à éveiller son attention…

Quant à Loïse, la blessure qu’elle avait reçue de Maurevert sur la colline Montmartre s’était cicatrisée – moins promptement qu’on aurait pu s’y attendre, il est vrai; mais enfin, lorsque le maréchal et le chevalier étaient rentrés au château, il n’y avait plus qu’une légère trace rosée indiquant que Loïse avait été frappée là.

Sa santé, à elle aussi, s’était rétablie. Elle avait même pris une bonne mine qu’elle n’avait jamais eue. L’incarnat de ses lèvres, l’animation extraordinaire de son teint étonnèrent le maréchal. Il est vrai que, parfois, elle devenait soudain d’une pâleur mortelle et se mettait à grelotter; mais cela durait deux minutes, et ne pouvait paraître alarmant.

En même temps, le caractère de la jeune fille se transformait.

Elle avait toujours été un peu mélancolique; elle devint d’une gaieté dont les éclats, par moments, amenèrent de soudaines épouvantes dans l’âme du chevalier.

On l’entendait rire et chanter; elle parlait d’une voix animée et s’exaltait étrangement en racontant les hauts faits de son fiancé, elle ne parlait guère que de lui, d’ailleurs; le soir, à la veillée, dans la grande salle, elle retraçait l’épopée en termes enflammés, et les serviteurs qui, selon la vieille coutume, prenaient place au feu, croyaient entendre un trouvère des anciens temps récitant quelque fabuleux poème de l’époque de Charlemagne.

Seulement, lorsqu’elle était seule, elle croisait quelquefois ses mains sur sa poitrine, et murmurait:

– J’ai là un feu qui me brûle, et lentement me consume…

Le 25 avril, devant toute la seigneurie de la province, tandis que les cloches de Montmorency sonnaient, et que les canons faisaient entendre des salves joyeuses, le contrat de mariage fut signé dans la grande salle d’honneur du château.

La veille, le maréchal dit à Pardaillan:

– Mon cher fils, voici les lettres et documents qui vous font maître et seigneur du comté de Margency… Prenez-les comme un gage de mon affection et de ma gratitude.

Pardaillan était demeuré un instant rêveur, puis, relevant sa tête fine au profil de médaille et fixant sur le maréchal son clair regard, il avait répondu:

– Monseigneur, c’est un souvenir de tendresse et d’admiration que je veux offrir à celui qui fut mon maître, et me légua le nom de Pardaillan. Pauvre, sans sou ni maille, sans terres, n’ayant pour tout bien au monde que ce nom, je désire en m’unissant à l’ange que vous me donnez, m’appeler seulement le chevalier de Pardaillan… Plus tard, monseigneur il conviendra peut-être que je m’appelle le comte de Margency.

Ceci fut dit avec une belle simplicité d’orgueil que le maréchal, grand cœur et esprit de poète, comprit. Il serra le chevalier dans ses bras et, sans insister, referma les parchemins dans un coffre.

Devant le bailli qui procédait au contrat, devant la foule des seigneurs accourus, le chevalier fut donc purement et simplement: le chevalier de Pardaillan.

Mais lorsqu’il s’avança pour signer les parchemins du bailli, la tempête des acclamations, le salut de toutes les têtes soudain découvertes, les regards de curiosité passionnée, les murmures d’admiration, prouvèrent que ce simple nom jeté dans une foule de hauts personnages, retentissait dès lors à l’égal d’un coup de tonnerre…

Toute droite, toute pâle, dans sa robe de soie blanche à plis lourds, Loïse joignit les mains, et murmura:

– Ô mon héros… ô mon amour!…

La cérémonie fut suivie d’un de ces festins somptueux comme seul un Montmorency pouvait en offrir à de tels hôtes.

Le soir, les invités repartirent.

En effet, le mariage devait se faire à la chapelle en la plus stricte intimité, vu le deuil du jeune époux: c’est du moins l’explication qui fut donnée par le maréchal et qui fut parfaitement comprise de tous.