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Maurevert suivait avec une attention soutenue les paroles de la reine et les jeux de physionomie qui accompagnaient ces paroles.

– Hélas! reprit Catherine, nous en serons réduits à subir la loi des hérétiques et à entendre la messe en français! car d’espérer que le ciel enverra à l’amiral la fièvre qui nous sauverait tous, et qui vous enrichirait, mon bon monsieur de Maurevert, d’espérer cela, il n’y faut pas songer… L’amiral se porte bien, hélas!… et sauf accident…

La reine s’arrêta sur ce mot. Maurevert sourit.

«Allons donc, briccone!» songea Catherine en voyant ce sourire.

Mais Maurevert voulait des ordres positifs. Il avait d’ailleurs compris depuis longtemps.

– Un accident! fit-il machinalement.

– Eh oui! dit la reine. Une tuile ne peut-elle pas tomber sur la tête de l’amiral?

– Hum! Il faudrait que cette tuile fût douée d’un dévouement…

– Qui coûterait cher, n’est-ce pas?… Parlez sans crainte, mon cher monsieur de Maurevert. Que faudrait-il pour donner de l’intelligence et du dévouement à cette tuile?

– Je l’ignore, madame. Mais à défaut de la tuile, je connais quelque part une bonne arquebuse qui, placée dans les mains d’un de mes amis, serait parfaitement capable de cette intelligence et de ce dévouement qui, combinés heureusement, produiraient l’accident en question.

– Mais c’est tout ce qu’il faut! Nous ne sommes pas exigeants… Et l’arquebuse que le ciel chargerait de sauver l’Église et le roi serait la bienvenue…

– En ce cas, que Votre Majesté cesse de craindre. Je n’ai qu’un mot à dire à cet ami.

– Voyons. Comment s’y prendrait cet ami?

– Mais de la façon la plus simple et la plus scandaleuse. Il attendrait au détour de quelque rue M. l’amiral qui tous les jours quitte le Louvre à la même heure et suit le même chemin pour se rendre à son hôtel… et tenez, madame, je vois d’ici l’endroit… Votre Majesté connaît-elle le révérend Villemur?

– Le chanoine de Saint-Germain-l’Auxerrois?

– C’est cela. Eh bien, ce digne chanoine, qui est des amis les plus zélés de l’Église, demeure justement dans le cloître Saint-Germain-l’Auxerrois, que M. l’amiral traverse tous les jours pour gagner la rue de Béthisy. Il loge dans une fort belle maison, cet excellent Villemur. Et il se trouve que les fenêtres de son logis sont grillées au rez-de-chaussée d’un assez fort treillis, en sorte que, de la rue, il est impossible de voir ce qui se passe à l’intérieur de la maison.

– Très bien! Très bien…

– Supposons donc que mon ami va demander l’hospitalité au chanoine, et qu’il se place près de la fenêtre, son arquebuse à la main. Il joue avec cette arquebuse. Tout à coup la balle part et va frapper M. l’amiral qui passe juste à ce moment. L’amiral tombe mort, accident fâcheux dont nul n’est responsable, et que Votre Majesté est la première à déplorer. Je crois bien, madame, que ceci vaut la tuile ou la fièvre.

– Certes! Et si un tel accident arrivait, votre ami serait royalement récompensé. Voyons, il n’est pas sans désirer quelque chose, votre ami.

– S’il s’agissait de moi, je répondrais que ma plus belle récompense serait la satisfaction d’avoir servi ma reine.

– Oui, mais tout le monde n’a pas votre désintéressement, mon bon monsieur de Maurevert.

– Ce n’est que trop vrai, madame. Je crois donc que l’ami dont je vous parle et qui est d’une adresse extraordinaire à l’arquebuse pourrait bien se montrer maladroit si j’étais là pour assurer un paiement raisonnable. Mais que Votre Majesté ne s’en inquiète pas: je possède une cinquantaine de mille livres, et avec cette faible somme, je le déciderai.

Catherine eut un haut-le-corps. Mais se remettant aussitôt, elle attira à elle une feuille de papier et y traça quelques mots.

– Monsieur de Maurevert, dit-elle, je ne souffrirai pas un tel sacrifice. Gardez vos cinquante mille livres. Quant à votre ami, voici pour lui un bon de vingt-cinq mille livres sur le trésor.

Maurevert lut le papier, le plia et l’emporta.

– Le reste… après l’accident, dit Catherine. Vous voyez que je ne marchande pas quand il s’agit de récompenser vos amis, mais j’espère qu’il m’en sera tenu compte… Prévenez aussi votre ami que j’aurai besoin de lui…

– Contre qui, madame?…

– Je vais vous le dire. Mais il ne s’agit plus là ni du roi ni de l’Église. Il s’agit…

Catherine, se déchargeant de cette souriante simplicité dont elle s’était couverte pour parler des affaires de l’État, laissa la haine éclater sur son visage qui parut alors reprendre son expression la plus naturelle – comme un autre visage fût naturellement revenu à une expression humaine: il y avait du fauve chez cette femme. Et ses traits ne semblaient en harmonie avec sa conscience que lorsqu’ils s’imprégnaient de cruauté.

Tout cuirassé qu’il fût contre les impressions violentes, le bravo ne put s’empêcher de frémir.

– Il s’agit, poursuivit la reine, de deux hommes qui m’ont mortellement offensée. Sans eux, ou du moins sans l’un d’eux, nous n’en serions pas où nous sommes. Il n’y aurait plus d’armée huguenote. Il n’y aurait pas de fiançailles royales ce soir dans le Louvre. Grâce à cet homme, un vaste plan laborieusement échafaudé s’est écroulé. En sauvant Jeanne d’Albret, il nous a menacés, mes fils et moi, d’une ruine que toutes mes ressources pourront à peine conjurer. Mais ce n’est pas tout. Ce misérable se mêle de protéger quelqu’un qui est, dans ma vie, un obstacle terrible. Ce n’est pas tout. Par deux fois, il m’a bafouée. Lui et son père, je les hais, Maurevert, et je vous donne, en vous révélant cette haine, la plus grande preuve d’estime que j’aie jamais donnée à personne. Tuez-moi ces deux hommes et je vous crée comte…

Maurevert tressaillit.

– Je vous trouverai un comté à votre taille. Et en attendant, pour chacune de ces têtes, il y a cent mille livres: ce sera la dotation de votre comté.

– Ce sont donc de bien puissants personnages, madame?

– Ce sont deux misérables aventuriers. Mais, prenez-y garde, ces deux hommes sont de fer. On croit les avoir tués: ils reparaissent. On les brûle dans une maison, on les retrouve dans une autre. On les cerne, vingt épées se lèvent contre eux… Mais vous y étiez, Maurevert! Vous étiez à l’incendie du cabaret, vous étiez au siège de la rue Montmartre, vous étiez ici même lorsque j’ai été insultée, bafouée.

– Vous parlez des Pardaillan, madame! fit Maurevert en se redressant à son tour avec une sombre expression de haine.

– Vous les avez nommés! Ils sont maintenant…

– À l’hôtel de Montmorency, je le sais, madame. Car je suis ces deux hommes-là pas à pas. Eh bien, madame, je vais vous étonner: pour la vie de ces deux hommes, je ne veux ni de votre comté, ni de vos deux cents mille livres… et je donnerais moi-même jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour les tenir un jour à ma merci et les étrangler de mes mains…