– Ah! ah! fit lentement Catherine. Il paraît que vous leur en voulez fort, mon bon Maurevert.
Maurevert posa son doigt sur sa joue droite.
Sur cette joue, une longue cicatrice apparaissait, livide, sous les couches de pâte.
– Joli coup de cravache, dit la reine avec sa terrible tranquillité. Vous en serez marqué toute la vie.
– Oui, madame, et j’ai déjà tué trois hommes pour avoir regardé en souriant cette cicatrice! Coup de cravache, ou coup d’épée…
– Coup de cravache! reprit la reine. Il est impossible de voir là un coup d’épée.
Maurevert grinça des dents. Mais se remettant presque aussitôt, il s’inclina:
– La reine me donne-t-elle congé?
– Allez monsieur. Et songez que si je suis bien servie, vous pourrez demander ce que vous voudrez sans craindre de trop demander.
Maurevert s’éloigna.
«Bon! songea la reine. Coligny. Les Pardaillan. Voyons maintenant où en est cette bonne Jeanne d’Albret.»
Elle s’assit dans le vaste fauteuil de cet oratoire sévère dont nous avons parlé, et qui attenait à ce somptueux cabinet dont nous avons également fait la description.
Peu à peu, les traits convulsés de Catherine se détendirent. Une expression de mélancolie rêveuse remplaça l’expression de haine. Elle saisit un petit miroir pour s’examiner, et quand elle se vit ce qu’elle voulait qu’elle fût, elle s’arrangea dans son fauteuil, prit une pose affaissée, ramena sur ses épaules le voile noir qui couvrait sa tête et s’en fit ainsi une sorte de cadre qui seyait merveilleusement à cette attitude et à cette mélancolie.
Alors seulement elle appela la suivante, et lui fit un signe.
Paola pénétra dans une pièce voisine, et de même qu’elle avait introduit Maurevert, elle introduisit cette fois un nouveau personnage, et s’éclipsa sans bruit.
Quant à Maurevert, il avait regagné les immenses salles où évoluaient dix mille invités. Sans que la fête battît encore son plein, il commençait déjà à régner dans cette foule ce laisser-aller qui dénote que la froideur première est passée.
Maurevert parcourut longtemps les salons, cherchant quelqu’un.
Il aperçut enfin un groupe nombreux de seigneurs qui paraissaient faire leur cour à un personnage qui, d’après l’attitude et le nombre des courtisans, ne pouvait être que le roi lui-même.
Ce n’était pas le roi, c’était Henri, duc de Guise.
Il portait avec une grâce hautaine un costume qui était une merveille de magnificence et de bon goût; la garde de son épée de parade étincelait de diamants; chacun des rubans de son pourpoint était fixé par une grosse perle; une agrafe de rubis et d’émeraudes supportait les plumes blanches de sa toque.
Tout cet étalage de bijoux, qui ferait sourire aujourd’hui, était considéré alors comme la preuve visible de la richesse. Aujourd’hui, les seigneurs en habit noir se contentent d’étaler cette preuve sur les épaules de leurs femmes; en sorte que les curieux en convoitant l’opulence du seigneur, convoitent du même coup sa femme.
Quoi qu’il en soit, Henri de Lorraine, duc de Guise, heureux, souriant, resplendissant de jeunesse, réellement magnifique, pouvait en cette soirée passer pour le cavalier le plus accompli de la cour de France. Il riait avec les siens des huguenots qui passaient en leurs costumes plus sévères.
Tout à coup, l’idée d’une excellente farce traversa sans doute son esprit. Car il se mit à rire plus nerveusement que jamais: Téligny, gendre de l’amiral, venait d’apparaître, donnant la main à sa femme, Louise de Coligny, alors dans tout l’éclat de sa beauté.
Guise la vit de loin. Il étouffa un soupir et pâlit légèrement. Puis, éclatant de rire, comme nous avons dit, il s’écria:
– Messieurs, une jolie comédie!… Approchez-vous, je vais vous expliquer cela.
Le cercle des courtisans se resserra, les têtes empreintes d’une curiosité outrée, les lèvres déjà rieuses à l’avance.
À ce moment, quelqu’un toucha Henri de Guise au bras. Le duc se retourna et vit Maurevert.
– Attendez-moi, messieurs, dit-il. Je reviens à l’instant, et nous allons combiner ensemble une petite mascarade dont il sera parlé! Vive Dieu! il faut bien amuser un peu MM. les huguenots!
Là-dessus, il se retira du cercle, suivi de Maurevert, et se réfugia dans l’embrasure d’une large fenêtre dont les rideaux le cachaient à demi.
– Eh bien, fit-il, que voulait-elle?
– Me donner l’ordre de tuer Coligny, dit brutalement Maurevert. Le duc tressaillit et murmura sourdement:
– Elle cherche à nous devancer!… Mais n’importe! Autant commencer par l’amiral! Ah! Coligny! Coligny! Tu pleureras des larmes de sang, pour m’avoir fait pleurer des larmes d’amour!
Il demeura une minute silencieux, comme s’il eût combattu en lui quelque pensée, puis il reprit:
– Qu’as-tu promis?
– De tirer sur l’amiral.
Le duc hésita un instant mais, secouant la tête, il dit:
– Bien!… Seulement tu attendras que je te dise le bon moment. Tu comprends?… Ne tire pas sans mon ordre.
– Oui, monseigneur.
– Et puis… le jour où tu tireras… tu t’arrangeras pour blesser grièvement le bonhomme, tu entends… mais non pour le tuer sur le coup.
– Oui, monseigneur.
Ces quelques paroles avaient été échangées en souriant, comme s’ils eussent parlé de quelque bonne partie, en sorte que Maurevert fut à l’instant considéré comme un favori du duc et que plus d’un le jalousa furieusement.
Cependant les deux hommes, le bravo et le grand seigneur, s’étaient séparés. Guise regagna son cercle de courtisans auxquels il commença à expliquer son idée qui devait être des plus bouffonnes à en juger par les rires et les bravos qui l’accueillaient.
Quant à Maurevert, il se perdit dans la foule, gagna lentement les portes des salons, puis sortit du Louvre et disparut dans les rues noires, comme un oiseau de nuit qui, un instant effarouché par les lumières, s’enfonce plus profondément dans les ténèbres.
VI L’ORAGE GRONDE (suite)
– Le bravo d’abord… et lui ensuite! avait dit la reine Catherine à sa suivante Paola, lorsqu’elle était descendue dans son oratoire après avoir quitté le roi.
Nous venons d’assister à l’entretien qu’elle avait eu avec Maurevert. La suivante florentine introduisit alors le personnage que la reine avait simplement appelé «lui».
Ce nouveau personnage, ayant salué la reine, se tint immobile devant elle dans une attitude de raideur où il y avait autre chose que de la fierté. Il était très pâle. Ses yeux ardents éclairaient cette pâleur d’un feu étrange.
Il paraissait tourmenté par quelque violente inquiétude, et son regard ne quittait pas la reine qui, elle, tenait ses yeux baissés et paraissait hésiter à parler…
Cet homme, c’était le comte de Marillac.
– Vous êtes fidèle au rendez-vous, dit enfin Catherine; merci, comte.
– C’est bien plutôt à moi de remercier Votre Majesté de l’intérêt qu’elle daigne me témoigner, de la promesse qu’elle a bien voulu me faire.