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– Eh bien, comte, eh bien, puisque vous voulez que se fasse ce mariage, croyez-moi, faites-le sans éclat. Une fois qu’Alice portera votre nom, nul ne songera à lui demander le nom de son père.

– Peu importe, madame, comment se fera notre union, pourvu qu’elle se fasse!

– Me laissez-vous libre d’arranger la chose? demanda la reine avec un charmant sourire. C’est que, voyez-vous, je voudrais être présente… sans qu’on le sache…

– Ah! madame, vous m’enivrez! s’écria le comte dans l’exaltation de sa double joie de fils et d’amant.

– Eh bien, je veux choisir l’église, l’heure, le jour… L’église… voyons, vous n’êtes pas assez huguenot pour me refuser cette joie?… J’y tiens… je suis fervente catholique…

– Madame, je ferai ce que vous voudrez… peu importe le prêtre…

– Le prêtre? Ah! oui… Eh bien, tenez, je l’ai trouvé… un saint homme… c’est le révérend Panigarola qui vous unira… L’église?… ce sera Saint-Germain-l’Auxerrois…

– Le jour? demanda le comte réellement enivré…

– Le jour?… Prenons le lendemain du mariage de ma fille Marguerite…

– L’heure?…

– La meilleure: minuit!

Le comte se mit à rire comme un enfant heureux. Et de fait, pour la première fois de sa vie, il connaissait le bonheur.

– Allez, mon ami, acheva la reine. Allez, et puissiez-vous être heureux!

– Je le suis au-delà de toute expression, dit le comte en couvrant de baisers la main que lui avait tendue la reine.

– Un dernier mot, reprit celle-ci. Laissez-moi la joie d’annoncer à Alice le jour, l’heure et le lieu de son mariage; je dois une réparation à cette pauvre enfant que j’ai rudoyée jadis plus qu’il ne convenait…

– Je vous obéirai, madame.

– Ainsi, pas un mot de tous ces détails! Vous me le promettez?

– C’est chose jurée, madame…

Et léger, soulevé par cette force de joie qui transporte les vrais amoureux, le comte s’éloigna, l’âme ravie, pour courir d’abord faire part de son bonheur à la reine de Navarre, et ensuite pour courir demander pardon à Alice.

À peine fut-il parti que la reine sortit de son oratoire, traversa son cabinet de travail et parvint à une pièce éloignée, sorte de boudoir, comme on dit aujourd’hui.

Là, une jeune femme attendait dans la demi-obscurité de la pièce où brûlait un seul flambeau.

Cette femme, c’était Alice de Lux.

La reine alla à elle, lui prit la main, et la regardant jusqu’au fond de l’âme:

– Tu as entendu?

– Non, Majesté! dit Alice.

– Allons donc! Tu as écouté?

– Non! répéta la jeune femme en frissonnant.

– Tu m’étonnes, fit la reine. Tu n’es donc plus toi-même!… Eh bien, écoute: il sort de mon oratoire; il t’aime plus ardemment que jamais, vous devez vous marier bientôt; ne lui demande ni le jour, ni l’heure, ni le nom du prêtre; je t’instruirai de ces détails en temps voulu. Sache seulement que tu n’es pas la fille du comte de Lux, mais seulement une enfant qu’il a recueillie et dont on ne connaît ni le père ni la mère. C’est là le secret que tu avais confié à Jeanne d’Albret et qui te faisait trembler devant lui. Me comprends-tu?

– Oui, madame, dit faiblement Alice.

– Donc, à partir de ce jour, tu es heureuse. Plus de contrainte. Plus rien qui te gêne puisque je suis seule à savoir…

– Et la reine de Navarre! murmura sourdement Alice.

– Ne t’en inquiète plus! répondit Catherine d’une voix étrange. Donc, tu vas l’épouser, et vous partirez loin, où vous voudrez, et tu seras heureuse à jamais… tout cela à condition que tu m’obéisses jusqu’au bout… À la moindre hésitation de ta part, je te brise… et je le tue!

– J’obéirai, madame, dit Alice. J’irai jusqu’au bout, pourvu qu’il soit sauvé.

La reine hocha la tête d’un air de satisfaction.

– Va, ma fille, dit-elle. Et rappelle-toi que je veux son bonheur et le tien… Surtout, n’oublie pas les recommandations que je viens de te faire.

Alice demeura immobile.

Il semblait qu’elle fût agitée par un combat intérieur. Elle tenait les yeux baissés, occupée en apparence à arranger le chaton d’une de ses bagues. Elle était très pâle et un frisson nerveux la secouait par instants.

– Eh bien, Alice? fit la reine. À quoi songez-vous donc?

– Pardon, madame, dit-elle en tressaillant, je… non…

Catherine saisit la main de la jeune femme et la regardant jusqu’au fond des yeux:

– Voyons, tu as quelque chose à me dire?

– Non… je songeais…

– Écoute, gronda la reine, es-tu bien sûre que tu n’as pas entendu la conversation que je viens d’avoir.

– Je vous le jure, madame!

La reine connaissait Alice: les moindres notations de sa voix lui étaient familières. À l’accent de la jeune femme, elle comprit sa sincérité. Du reste, Alice se remettait maintenant. Et comme Catherine rassurée lui faisait signe qu’elle pouvait se retirer, la jeune femme, revenue de ce trouble passager qui avait semblé la paralyser, fit la révérence et sortit.

Par des couloirs et des escaliers retirés, l’espionne évita les salles de fête, gagna une porte du Louvre, sortit et rentra dans sa petite maison de la rue de la Hache.

Là, elle s’assit, le coude sur une table, la tête dans les deux mains, et elle réfléchit:

– Et pourtant, il est son fils!… Le sait-elle? Dois-je le lui dire, à lui?… Dois-je le lui dire, à elle?… Ah! heureusement que je me suis retenue à temps, tout à l’heure, lorsque ce mot a failli m’échapper… Je n’ai pas écouté, j’ai eu tort… Qu’ont-ils pu se dire?… Voyons, je ne me trompe pas, ma mémoire est fidèle… Là-bas, à Saint-Germain, lorsque la reine de Navarre m’a chassée, elle a bien eu une entrevue avec Déodat… j’ai bien entendu, je ne me suis pas trompée… ses paroles sont encore dans mes oreilles… il a dit: «Pourquoi ne suis-je pas mort le jour où j’ai appris que ma mère était l’implacable Médicis!» Dois-je lui dire que je sais cela?… Et Catherine sait-elle que Déodat est son fils?… Si je lui dis… Ah! qui sait s’il ne se ferait pas un revirement dans ce cœur!…

Elle songea longuement, tournant et retournant le problème sous toutes ces faces.

– Je ne dirai rien!… telle fut sa conclusion… si je révèle à Catherine que le comte est son fils, elle le ferait peut-être tuer!

VII PREMIER COUP DE FOUDRE

Nous suivrons maintenant le comte de Marillac qui, après avoir quitté Catherine de Médicis, était rentré dans les salons où se déployait la fête des fiançailles. Comme nous l’avons dit, le jeune homme était radieux. Jamais joie aussi complète et aussi profonde n’avait inondé ce cœur, non, pas même le jour où il avait reçu le premier aveu d’Alice.

Ainsi, toute la douleur accumulée dans son âme se fondait sous les paroles de Catherine; toutes les rancœurs se dissipaient; il retrouvait une mère douloureuse dans cette reine qui, si longtemps, avait été à ses yeux l’implacable ennemie.