Выбрать главу

Et il cherchait tout naturellement Jeanne d’Albret pour lui dire, à elle la première, combien il était heureux – sans dire le motif de ce bonheur imprévu, puisqu’il avait juré de se taire. Ensuite, s’il n’était pas trop tard, il irait chez Alice, et il préparait les paroles qui la feraient aussi heureuse que lui:

– Je vous ai calomniée en pensée, vous que j’adore. Mon éloignement de vous depuis ma rentrée à Paris est un crime. Mais ne pleurez plus: quelques jours encore, et nous serons unis pour toujours.

Et il passait à travers les groupes, souriant et grave. Et il se disait:

«C’est bien moi qui suis dans ce Louvre qui m’apparaissait comme la forteresse de la haine! c’est bien ma mère qui vient de me parler non comme une reine, mais comme une mère!… Il est bien vrai que mon union avec Alice va se consommer!… Je ne rêve pas!»

À ce moment, une bande joyeuse l’entoura, l’enveloppa d’une sorte de farandole. Dans la bande, le plus joyeux, c’était le duc d’Anjou, qui semblait si gai qu’il en oubliait de remettre en place sa collerette dérangée.

– Messire, vous ne vous amusez donc pas, criait le duc d’Anjou.

– Mon frère, songea le comte qui eut un sourire où parut toute l’affection qui débordait de son âme.

– Mordieu! messieurs de la Réforme, il faut s’amuser, reprenait Anjou.

– Monseigneur, dit le comte, jamais dans ma vie je n’ai eu joie pareille.

– À la bonne heure! en voilà un qui est de bonne composition.

Et toute la bande, entourant Marillac, chercha à l’entraîner. Et il sembla au comte que les seigneurs catholiques qui s’amusaient ainsi cherchaient à le rendre ridicule. Un flot de sang monta à son visage, et en quelques bourrades il se dégagea. La bande s’enfuit en riant.

Alors le comte s’aperçut que la fête prenait étrange tournure.

Les seigneurs catholiques s’étaient organisés par petites bandes de cinq ou six, et chacune d’elles entourait un gentilhomme huguenot. Sous prétexte de liesse et amusement, chaque huguenot devenait ainsi un centre de moqueries.

Dans une salle, Henri de Béarn, saisi ainsi par la bande de Guise, servait de balle que les gentilshommes catholiques se renvoyaient l’un à l’autre. Pâle et inquiet, le rusé Béarnais n’en riait que plus fort à chaque coup de poing qu’il recevait dans le dos ou à chaque renfoncement de coude qu’il recevait dans les côtes.

Dans une autre salle le prince de Condé tenait tête à une dizaine de catholiques, mais, moins patient que son roi, il rendait coup pour coup et bourrade pour bourrade. En sorte que là, les rires sonnaient le fêlé. Un mot, un regard pouvaient d’un instant à l’autre changer la mascarade en rixe.

Ce fut le caractère spécial de cette fête d’être menaçante comme une bataille dans ses attitudes et ses gestes.

Cependant, les huguenots ne pensaient pas encore à mal et faisaient preuve d’une bonne grâce endurante qui excitait les brocards et les lazzis des gentilshommes catholiques.

Soudain, une cinquantaine de nymphes se tenant par la main et vêtues ou plutôt dévêtues comme des bacchantes, laissant voir de leur chair tout ce qu’elles pouvaient en montrer, un peu ivres sans doute, les yeux brillants, les lèvres ouvertes aux baisers, ces jeunes filles, disons-nous, se ruèrent à travers l’immense salon doré où venait d’avoir lieu un ballet sylvestre dans lequel elles avaient joué un rôle.

– L’escadron volant de la reine! s’écria Guise. Nous allons rire.

Le mot était bien trouvé; il fit le tour des salles; le poète Dorat le transcrivit sur ses tablettes; Pontus de Thyard déclara qu’il fallait des chevaux pour un pareil escadron, et s’offrant en exemple, saisit l’une des bacchantes au vol, la plaça à califourchon sur ses épaules.

En un instant, une rumeur de folie secoua la fête, chacune des bacchantes se trouva à cheval sur quelque seigneur; mais à part Pontus qui était catholique, tous ces chevaux humains se trouvèrent être des huguenots; en effet, chacune des bacchantes s’était accrochée à un huguenot, et bon gré mal gré, poussée, hissée par des catholiques, enfourchait ses épaules, et le huguenot, moitié riant, moitié scandalisé, se laissait faire.

Alors, chacun de ces huguenots, ainsi transformé en bête de somme, fut saisi par les mains par deux catholiques qui l’entraînèrent.

Il y eut ainsi une cinquantaine de demoiselles à cheval sur des épaules huguenotes; le tout forma une longue file qui, parmi les tonnerres des vivats, les cris, les rires, commença à cavalcader.

En tête de cette cavalcade courait le duc de Guise qui criait:

– Place aux centauresses! Place à l’union des sexes et des religions!

Près du duc, sa bande imitait, avec la main placée en trompette, une fanfare sur un air de psaume huguenot.

Et les centauresses impudiques et superbes, toutes belles filles, toutes demoiselles de haute noblesse, agitant leurs jambes nues comme pour donner des coups d’éperon, dépoitraillées, hurlantes comme des chattes en rut, se démenant, gesticulant, quelques-unes même, dans un coup de folie, imitant le geste obscène, les centauresses proclamaient la grande victoire de la messe…

Nous craignons fort que ces détails ne semblent exagérés; pourtant les pamphlets du temps en disent plus long, et nous pouvons au contraire assurer nos lecteurs que nous cherchons à adoucir le tableau.

Or, pendant que l’escadron volant de la reine, c’est-à-dire les demoiselles que Catherine avaient asservies et dressées aux besoins de sa politique et de sa police, pendant que les filles de la reine s’emparaient des huguenots, en même temps, une scène identique se produisait, les seigneurs catholiques s’emparaient des dames huguenotes et les obligeaient à participer à une sorte de sarabande affolée.

Ce fut dans ce moment que le roi parut.

Les rires s’éteignirent d’un coup.

Les huguenots retrouvèrent leurs femmes et les catholiques se placèrent en masse sur le passage de Charles IX.

Celui-ci aperçut Coligny qui, impassible et les sourcils froncés, avait assisté pâle et muet aux scènes que nous venons d’esquisser d’un trait. L’amiral salua profondément le roi; mais celui-ci, s’avançant vers lui, le saisit dans ses bras, l’embrassa tendrement et lui dit:

– Eh bien, mon bon père, je pense que vous vous divertissez en notre Louvre?

– Admirablement, sire, ces messieurs de votre cour ont des façons de se divertir que je n’oublierai de la vie…

– Peut-être, fit le roi, eussiez-vous préféré un autre amusement, comme par exemple, de courir au roi, comme on courre [9] le cerf…

Ces paroles résonnèrent comme un coup de tonnerre; pourtant Charles IX les avait prononcées en souriant; mais il y avait tant de menace dans ce sourire qu’un frémissement parcourut les rangs des huguenots.

– Sire, dit l’amiral froidement, j’espère que Votre Majesté voudra bien m’expliquer sa pensée…

– Eh! mordieu! commença le roi…

Il était devenu livide, ses yeux lancèrent un double éclair, et peut-être se fût-il abandonné à sa fureur, peut-être eût-il laissé échapper les secrets que sa mère venait de lui révéler, lorsqu’il vit le visage pâle de Catherine sortir pour ainsi dire de l’ombre. La reine s’avança rapidement et, toute souriante, s’écria:

– Eh! monsieur l’amiral, puisque vous vous préparez à courre le duc d’Albe, il faudra bien vous décider à courre le roi d’Espagne!

вернуться

[9] Courre. Emploi impropre du verbe «courre» usité seulement à l’infinitif: poursuivre un animal en chassant.