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Un soupir de soulagement échappa aux huguenots, tandis qu’un murmure désappointé se faisait entendre parmi les catholiques.

– Sire! reprit alors Coligny rayonnant, j’avoue en effet qu’il m’intéresserait davantage de me divertir aux Pays-Bas, bien que la fête de Votre Majesté soit des plus magnifiques…

– Oui, mon digne père, vous êtes homme de camp plutôt qu’homme de cour, je le sais, fit le roi, qui, sous les regards de sa mère, s’était promptement ressaisi. Mais je ne vois pas mon cousin de Béarn…

– Le voici, dit Catherine, et si parfaitement heureux qu’il serait dommage de troubler son bonheur.

En effet, Henri de Béarn passait à ce moment, donnant la main à Marguerite, et paraissant très occupé à lui conter fleurette. (Fleureter, disait-on alors, mot d’une hardie joliesse qui a passé les mers, et nous est revenu d’Angleterre sous le nom de flirt.)

Charles IX, alors, fit un signe, et la fête reprit de plus belle, quoique avec un peu plus de modération apparente.

En même temps, il prit Coligny par le bras et l’emmena en disant:

– Voyons, mon père, où en sommes-nous de l’expédition aux Pays-Bas?… Pâques-Dieu, savez-vous qu’il se fait là-bas de grands carnages et que le duc d’Albe a fait occire dix-huit mille huguenots?

– Hélas! sire… je ne le sais que trop; mais grâce à la haute générosité du roi de France, j’espère qu’avant peu nous pourrons arrêter l’affreux massacre…

– Faites vite, monsieur l’amiral, car il se pourrait que d’autres pays fussent tentés d’imiter ces tueries.

Le roi avait prononcé ces mots en grondant, mais Coligny ne leur put prêter aucun sens menaçant pour lui et les siens. Le roi était ou paraissait si heureux de la paix!

Charles IX marchait vers un trône qu’on lui avait élevé dans le salon central. En route, il rencontra le poète Ronsard, et son visage parut s’éclairer. Il l’emmena aussi. Puis, s’asseyant sur son trône pour voir la fête, il obligea Coligny à s’asseoir à sa droite, honneur extraordinaire qui arracha aux huguenots des trépignements d’enthousiasme.

En même temps, sur un signe du roi, Ronsard prenait place à sa gauche; le poète, rouge de plaisir, se confondait en salutations.

– Ronsard, dit gaiement Charles IX, pendant que nos gens s’amusent et que mon bon père l’amiral songe à la guerre, faisons des vers, veux-tu?

Ronsard, comme on sait, était parfaitement sourd.

Il répondit donc le plus naturellement du monde en faisant allusion à la place qu’il occupait près du roi:

– Sans aucune doute, sire, et c’est là un honneur dont je me souviendrai toute la vie.

– Écoute, reprit le roi, veux-tu que je te dise le dernier sixain que j’ai fait? Tu le corrigeras.

– Votre Majesté a raison, dit gravement Ronsard, cette fête est un inoubliable régal.

– Écoute donc! reprit le roi qui, au fond, se souciait peu d’être entendu et tenait simplement à répéter ses vers pour la pensée d’amour et le jeu de mots qu’ils contenaient:

Toucher, aimer, c’est ma devise…

Mais à peine le roi achevait-il le premier vers de son sixain, qu’une rumeur soudaine s’éleva de la grande salle voisine où, une heure plus tôt, avait été joué le grand ballet des nymphes et des dryades. Et ce n’était pas une de ces bouffées de joie qui passent parfois en rafale sur une fête, c’était une clameur sinistre, des cris étouffés, des gémissements parmi les huguenots.

– La reine se meurt!…

Voici ce qui se passait:

Nous avons vu le comte de Marillac se mettre à la recherche de Jeanne d’Albret. Il finit par la trouver à peu près au moment où Charles IX s’asseyait sur son trône entre Ronsard et Coligny. Ce moment était celui aussi où Catherine de Médicis, entourée d’une escorte de ses gentilshommes, se dirigeait lentement, le sourire aux lèvres, vers la reine de Navarre.

Grave et pensive, Jeanne d’Albret assistait à cette fête donnée en l’honneur de son fils en se demandant quel pouvait être le sens de cette joie effrénée qui se manifestait à ses yeux.

À deux ou trois reprises, les dames d’honneur et les gentilshommes qui, autour d’elle, formaient une cour, l’avaient vue pâlir; puis une rougeur, ardente comme une flamme, avait remplacé cette pâleur.

Par moments, Jeanne d’Albret se sentait glacée et tremblante; à d’autres moments, au contraire, il lui semblait qu’elle étouffait.

Cependant, elle ne prêtait qu’une médiocre attention à ces symptômes d’un mal qu’elle ne pouvait prévoir.

Seulement, elle cherchait des yeux son fils Henri et, quand elle l’avait trouvé, elle le suivait d’un regard inquiet. Cette inquiétude fut même à un moment si manifeste que Marguerite, la fiancée d’Henri, s’en aperçut, s’approcha de la reine, et lui dit à voix basse:

– Que craignez-vous, madame? Soyez assurée que nul n’oserait rien tenter contre mon royal fiancé.

Ces paroles rassurèrent en effet Jeanne d’Albret, qui savait de quel grand crédit Margot jouissait auprès de son frère Charles IX.

Ce fut sur ces entrefaites, qu’elle aperçut tout à coup le comte de Marillac qui, faisant effort pour percer le cercle de courtisans, tâchait de s’approcher d’elle.

Elle sourit et tendit sa main.

Aussitôt les courtisans s’écartèrent et le comte, rayonnant de bonheur, comme nous avons dit, s’avança vivement pour saisir et baiser la main qui lui était tendue.

Mais au même instant, la reine retira cette main et la porta à son front, puis à sa gorge. En même temps, elle se renversa en arrière, livide le front baigné de sueur, les yeux convulsés, la poitrine soulevée par des râles étouffés.

– De l’air! De l’air! cria Marillac en pâlissant. La reine se trouve mal…

Aussitôt, cris, affolement des femmes, tumulte.

– Oh! mon Dieu, dit une voix douce et tremblante d’émotion, qu’a donc notre chère cousine?…

Et l’on vit Catherine de Médicis s’approcher précipitamment, se pencher sur Jeanne d’Albret, avec tous les signes d’un violent chagrin.

– Vite! Vite! ordonna-t-elle. Qu’on cherche maître Paré… je viens de le voir… là… tenez…

Vingt courtisans se précipitèrent vers le médecin du roi. Mais déjà, grâce à un flacon que lui faisait respirer Catherine, la reine de Navarre reprenait ses sens et balbutiait.

– Ce n’est rien… la chaleur… l’émotion… c’est vous, mon cher enfant?…

– Oui, madame, répondit Marillac d’une voix bouleversée. Plaise au ciel de prendre ma vie plutôt que la vôtre…

– Mais la vie de notre bonne cousine n’est pas en danger! fit Catherine avec un sourire.

À ce moment, Ambroise Paré se penchait sur la reine et l’examinait attentivement.

– À moi! râla tout à coup Jeanne d’Albret… Mon fils! Je veux voir mon fils! Oh! je brûle! Mes mains brûlent…

Paré saisit les mains de la reine, tandis qu’on courait chercher Henri de Béarn.

Jeanne d’Albret, pour la deuxième fois, perdit connaissance. Et cette fois le flacon de sels fut impuissant. Henri arrivait à ce moment. Il vit sa mère mourante. Il pâlit affreusement et, saisissant le médecin par le bras, lui dit d’une voix basse et terrible: