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– Je vois. Parle-moi donc de ce logis isolé.

– C’est là, je vous dis, qu’habite le maréchal; c’est là, dans des appartements ayant vue sur le jardin que logent les deux dames; c’est là aussi que sont logés les deux Pardaillan.

Gillot, ayant achevé son plan, le remit alors à son oncle.

Le maréchal de Damville connaissait parfaitement l’hôtel de Montmorency. Le plan de Gillot ne devait donc pas lui servir à s’y guider; mais ce plan lui indiquait comment était disposées les forces de l’hôtel, et c’est cela qui pouvait lui être précieux.

L’oncle Gilles ne marchanda pas les éloges à son neveu, mais il ajouta:

– Il faut maintenant que nous soyons tenus au courant de ce qui se passe là-bas. Il faut donc que tu trouves le moyen de venir ici tous les deux ou trois jours, et au moment voulu, je te dirai ce que tu auras à faire.

– Ce moyen est tout trouvé, dit paisiblement Gillot.

– Explique-moi cela?

– Dame! M. de Pardaillan croit que je viens ici pour vous espionner: oui, je lui ai fait croire cela!

Gilles répondit:

– Gillot, jamais plus je ne t’appellerai imbécile! Encore quelques efforts et tu auras conquis le fameux coffre qui, à ce que tu m’as assuré toi-même, t’avait tant ébloui.

Gillot quitta donc l’hôtel de Mesmes, radieux et convaincu que sa fortune était faite.

– Que vais-je bien raconter au Pardaillan? réfléchit-il, chemin faisant.

Il eut soudain un tressaillement.

– Mais, s’écria-t-il en lui-même, puisque je vais avoir un trésor pour dire ce qui se passe à l’hôtel de Montmorency, pourquoi n’en aurais-je pas un autre en racontant ce qui se passe à l’hôtel de Mesmes?

Cette idée parut géniale à Gillot.

Trahir des deux côtés, c’était recevoir des deux mains, n’était-ce pas la suprême sagesse? Gillot s’affirma qu’il était impossible de pousser plus loin l’esprit et le courage.

Et il résolut de trahir son oncle auprès de Pardaillan comme il trahissait Pardaillan auprès de son oncle.

C’est là le secret de bien des fortunes «honorablement acquises par une vie de labeur et de conscience».

Gillot résolut d’être honorable, laborieux, consciencieux, et par ainsi de faire double fortune.

Aussi, lorsqu’il rentra à l’hôtel de Montmorency, s’empressa-t-il de dire à Pardaillan:

– Ah! monsieur, j’en ai de belles à vous raconter. Je viens de voir Jeannette, et je suis sûr que je vais vous intéresser.

– Décidément, songea Pardaillan, j’ai fait là une précieuse acquisition!

IX PANIGAROLA

Pendant toute cette période, le révérend Panigarola, qui s’était naguère signalé par la violence de ses attaques contre les huguenots, ne parut pas en chaire.

Il avait même renoncé à ses sinistres fonctions de «crieur des morts».

Il vivait retiré en son couvent de la montagne Sainte-Geneviève.

À quoi songeait-il? Que méditait-il?…

Deux jours après les funérailles royales qui furent faites à Jeanne d’Albret, vers la tombée de la nuit, une litière de bourgeoise apparence s’arrêta devant le couvent des Barrés.

Deux femmes en descendirent et entrèrent dans le parloir. Elles étaient voilées de noir.

Le frère portier leur ayant demandé ce qu’elles voulaient, la plus jeune répondit qu’elles désiraient parler à l’abbé lui-même.

Le moine ayant répondu en levant les bras au ciel qu’on ne parlait pas ainsi au révérendissime abbé du couvent, et que d’ailleurs les femmes n’avaient pas le droit d’entrer dans le saint monastère, la plus vieille ou du moins celle qui paraissait telle tira une lettre de son sein et la remit au portier.

– Portez cela à M. l’abbé, dit-elle. Et hâtez-vous, si vous ne voulez être châtié.

Cette femme parla d’un tel ton d’autorité que le moine abasourdi se hâta d’obéir. Il paraît qu’elle était femme de qualité, car à peine l’abbé eut-il parcouru la lettre, qu’il pâlit, se troubla, et s’empressa de courir au parloir; événement extraordinaire, car l’abbé du couvent était un haut personnage et de mémoire de moine, il ne s’était jamais ainsi dérangé pour personne.

Que devint la stupéfaction du digne frère portier lorsqu’il vit son abbé s’incliner avec humilité devant la femme voilée de noir!

Et cette stupéfaction elle-même devint presque du scandale lorsque l’abbé, après quelques mots prononcés à voix basse, introduisit la femme dans le couvent et la guida à travers les longs couloirs déserts.

La plus jeune était demeurée au parloir.

L’abbé, suivi de la dame voilée, s’arrêta enfin devant une cellule.

Et cette cellule, c’était celle du révérend Panigarola.

Les portes des cellules étaient toujours ouvertes.

– C’est là! murmura l’abbé qui aussitôt se retira.

La femme entra.

Panigarola en l’apercevant se redressa soudain, les sourcils froncés.

La femme laissa alors tomber son voile et découvrit son visage.

– La reine! murmura le moine.

En effet, c’était Catherine de Médicis!

– Bonjour, mon pauvre marquis, dit la reine en souriant. Il faut donc que ce soit moi qui vienne vous trouver au fond de ce hideux monastère. Sans compter que pour y entrer, j’ai été obligée de me montrer à votre abbé, en sorte que dans dix minutes toute la communauté saura que la mère du roi est ici…

– Rassurez-vous, madame, dit Panigarola, le vénérable abbé est incapable de trahir un incognito de cette importance. Mais il y avait un moyen bien simple de vous éviter toute inquiétude en me faisant appeler. Je me fusse rendu au Louvre au premier ordre de la reine.

– Est-ce bien sûr? fit Catherine en regardant fixement le moine.

– Par devoir, un homme de Dieu ne ment pas.

– Oui; mais j’ai connu un certain marquis de Pani Garola qui n’en faisait qu’à sa tête.

– L’homme dont vous parlez est mort, madame. En tout cas, si j’étais encore le marquis de Pani Garola, je mentirais encore moins. Moine, le mensonge ne m’est défendu que par mon supérieur, marquis, il m’était défendu par moi-même.

Panigarola se redressa. Sa figure ravagée apparut blafarde et dure, avec un caractère d’étrange grandeur; dans les plis de sa robe blanche et noire, il se pétrifia comme une statue.

– Oui, murmura Catherine, vous êtes d’une race orgueilleuse qui jamais n’a condescendu au mensonge; et pourtant, le mensonge a parfois du bon… Mais laissons cela.

Catherine regarda autour d’elle comme pour chercher un siège.

Panigarola, sans hâte, avança l’unique escabeau de la cellule.

– Non, fit Catherine en riant, ce serait trop dur: je n’ai pas encore fait de vœux, moi!

Et elle s’assit au bord du lit du moine.

Ce lit, ou plutôt cette couchette, se composait simplement de quelques planches juxtaposées contre le mur, et couvertes d’un matelas et d’une couverture de laine.