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Damville a, en effet, sollicité et obtenu un commandement dans l’armée que Coligny doit conduire aux Pays-Bas contre l’Espagne représentée par le duc d’Albe. Et le roi, d’abord sincère, le roi dont Catherine a bouleversé les idées, le roi qui veut maintenant la mort de Coligny, cherche à faire croire à l’amiral que l’expédition aura lieu. Damville assistera donc au massacre des huguenots dans Paris, et prêtera toute son aide à Henri de Guise.

Si Guise est tué, Damville cherchera audacieusement à se substituer à lui, et ce rêve le hante d’arriver tout sanglant dans le Louvre, d’arracher la couronne à Charles et de la poser sur sa tête!…

Si au contraire Guise réussit, Damville se contentera d’être le plus haut personnage du royaume après le roi. Il aura quelque chose comme une vice-royauté de tous les pays d’au-delà la Loire. Il sera connétable et lieutenant général de toutes les troupes. Deux millions de livres lui sont d’abord assurées.

Mais ce que veut surtout Damville, c’est l’écrasement de son frère.

La vieille haine qui date du jour lointain où Jeanne de Piennes le repoussa, cette haine a gangrené son âme. Elle est devenue un hideux ulcère inguérissable… Damville donnerait jusqu’à cette royauté qu’il rêve dans le secret de ses pensées, pour faire souffrir son frère. L’occasion va enfin se présenter: Damville s’est réservé l’attaque de l’hôtel de Montmorency… c’est lui qui veut prendre le vieil hôtel où le connétable son père a vécu! Et le réduire en cendres! Il prendra François et le tuera de ses mains… Puis il emportera Jeanne de Piennes dans sa vice-royauté!

Comment! Montmorency est donc compris dans les massacres? Pourtant il n’est pas huguenot!… C’est vrai, mais il est suspect.

Le parti modéré qui veut l’apaisement le considère comme son chef naturel. Et puis d’ailleurs, est-il vraiment besoin d’être huguenot pour être condamné? Toute maison où il y aura quelque chose à prendre ne sera-t-elle pas bonne à brûler?…

L’histoire nous dit que Montmorency fut compris dans le carnage parce qu’il était le chef naturel des Politiques; mais l’histoire est une vieille bavarde superficielle. Nous disons, nous, que Montmorency fut condamné parce qu’on avait une haine à assouvir contre lui… Damville, donc, en cette période où nous essayons d’indiquer la position générale de la mise en scène historique, attendait donc avec la certitude que sa haine et son amour, avant peu, recevraient du même coup leur satisfaction. Cependant, il ne néglige aucune précaution. Par Gillot qui a réussi à s’introduire dans l’hôtel Montmorency, il sait tout ce que fait et dit son frère, et il prend ses mesures en conséquence.

Car Gillot espionne activement… Seulement, il y a une chose, une seule, dont il n’a pu informer son oncle Gilles, pour la raison qu’il l’ignore. Et cette chose, qui peut-être bouleverserait de fond en comble les plans de Damville, c’est que la malheureuse Jeanne de Piennes est folle…

Pénétrons maintenant dans l’hôtel de Montmorency. Là se trouvent cinq personnages qui nous intéressent et qui – nous osons du moins l’espérer – intéressent également le lecteur.

D’abord, nos deux héros d’amour: le chevalier de Pardaillan et Loïse de Piennes de Montmorency.

Depuis qu’ils se sont dit leur amour, ils se parlent à peine. Et qu’est-il besoin de paroles? Il n’est pas une pensée du chevalier qui n’aille à Loïse: il n’est pas un battement du cœur de Loïse qui ne soit pour le chevalier. Ils le savent. Leurs attitudes, l’accent de leur voix lorsqu’ils se disent les choses les plus insignifiantes, tout proclame leur amour. Ni l’un ni l’autre ne semble croire à l’effroyable orage qui s’amasse sur leurs têtes. Pour Loïse, c’est bien simple: elle mourrait en ce moment sans s’apercevoir qu’elle meurt, pourvu que lui fût près d’elle! Et quel danger est possible quand le chevalier est là? Elle n’a pas confiance: elle est la confiance même.

Quant au chevalier, sûr de l’amour de Loïse, il croit n’avoir plus rien à redouter de la fortune adverse. Pourtant, il ne se croit pas certain d’être uni un jour à Loïse. Le maréchal de Montmorency a déclaré que sa fille est destinée au comte de Margency. Le chevalier de Pardaillan ne connaît pas ce comte, mais il fera tout au monde pour le rencontrer, et, l’épée à la main, lui disputera sa fiancée. Il la disputera au maréchal s’il le faut!

En attendant, il vit dans une sorte d’engourdissement du cœur, tandis que son esprit alerte demeure actif. Quand il y songe, il trouve tout naturel que Loïse l’aime; les choses devaient s’arranger ainsi… à d’autres moments, au contraire, il éprouve de cet amour un prodigieux étonnement… Il est comme un homme qui, d’une chambre obscure, entrerait tout à coup dans une salle de spectacle pleine de bruit, de lumières, de parfums, et qui, pendant quelques instants, demeure ébloui. Ainsi, dans le cœur du chevalier, il y a des lumières, des parfums et des musiques; seulement l’éblouissement dure des jours au lieu de secondes.

Cela ne l’empêche pas de rechercher activement deux choses. La première, c’est le moyen de sauver définitivement Loïse, c’est-à-dire de sortir de Paris; la deuxième, c’est de savoir qui est le comte de Margency que le maréchal a choisi pour fiancé à Loïse.

Pendant ce temps, le vieux Pardaillan demeure à l’affût. Il fait manœuvrer son Gillot et échafaude un plan que nous ne tarderons pas à voir se développer sous nos yeux. Le vieux renard est inquiet. Il flaire, il ne sait trop quel immense danger. Au fond, il a confiance, et son esprit de ruse devient de l’esprit d’audacieuse entreprise; nous allons le voir à l’œuvre.

La pauvre Jeanne est folle. Que dire de plus? C’est peut-être la plus heureuse. Sa douce et tendre folie l’a ramenée aux beaux jours de sa première jeunesse. Elle se croit à Margency. Par un phénomène assez rare, sa santé physique est entièrement rétablie; les étouffements ont disparu: le cœur bat normalement; elle caresse un rêve inépuisable…

Le maréchal de Montmorency, tenu à l’écart par les chefs huguenots parce qu’il a refusé de s’associer à l’entreprise d’Henri de Béarn, alors que la paix n’était pas déclarée, est d’autre part, haï de la Cour, parce qu’on l’accuse de bienveillance pour les huguenots: les partis politiques ne comprennent pas l’indépendance chez un homme influent. Il faut que cette influence soit mise au service de l’un ou de l’autre. L’homme qui ne veut écraser personne, qui conçoit le droit à la vie pour tous est un être dangereux: ne vouloir être ni le loup ni l’agneau, c’est une conception bizarre qui étonne et paraît menaçante.

Mais François de Montmorency ne cherche pas l’estime et l’admiration de ces concitoyens, pour la raison bien simple qu’il ne les estime ni ne les admire. Il a vu trop d’ambitions déchaînées autour du trône; il a vu trop de pensées criminelles, trop d’hypocrisies, trop de férocité: il ne rêve plus que la retraite au fond de son manoir… C’est un homme brisé par les douleurs qu’il a subies et qui s’imagine avoir trouvé un bonheur relatif dans cette retraite parmi les siens.

Voilà donc, d’une façon générale, la position de tous nos personnages principaux.

Il plane sur cette situation un calme d’orage.

C’est ainsi que dans les minutes tragiques qui précèdent la tempête, les arbres de la forêt demeurent immobiles; pas un souffle ne traverse l’espace; l’Océan semble s’aplatir dans une torpeur qui peut ressembler à du repos; le ciel, sans être pur, n’offre rien de menaçant, et les buées grises dont il se couvre paraissent devoir se dissiper bientôt sous l’effort d’un soleil qu’on aperçoit livide et sans rayons.