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– Que je ne vous ai pas trahi, monseigneur. Que décidé à me faire votre second loyal dans une entreprise grandiose, je ne voulais pas devenir votre complice dans une entreprise infâme. Capable d’entrer dans le Louvre et d’y arrêter le roi de mes mains, capable si vous me l’aviez ordonné de me saisir de la couronne et de vous l’apporter, capable de tenir tête en rase campagne à l’armée royale si vous m’aviez confié la poignée d’hommes dont vous disposez, je n’étais pas capable de me faire le bourreau d’une femme. Il fallait me demander ce que je pouvais vous donner, monseigneur! Mon épée, mon sang, mon énergie: vous avez voulu faire de moi l’espion de mon fils et le geôlier de celle qu’il aime. Vous avez fait erreur… Vous le savez, du reste, que je ne vous ai pas trahi. Si j’avais voulu vous trahir et faire une fortune du coup, si j’avais voulu vous envoyer à Montfaucon et gagner dans cette ignominie vos propres richesses, je n’avais qu’à aller trouver le roi et lui dire que vous le voulez tuer pour couronner le duc de Guise. Mon silence sur cette affaire vous prouve, monseigneur, que vous vous êtes séparé par votre faute d’un homme capable de garder un important secret, ce qui est rare, croyez-moi.

Le maréchal avait affreusement pâli. Un tremblement convulsif agita ses mains. Et lui qui tenait le vieux routier en son pouvoir, ce fut d’une voix suppliante qu’il demanda:

– Ainsi, vous n’avez rien dit à personne de cette affaire?

Pardaillan haussa les épaules avec un suprême dédain.

– Entendez-moi bien, reprit Damville. Sans me dénoncer, chose abominable et monstrueuse dont votre fierté ne saurait s’accommoder, vous auriez pu tout au moins… confier… à certaines personnes…

– Ah! ah! voilà donc le secret de ce qu’il appelle sa modération! songea Pardaillan. Il veut savoir si je n’ai point parlé!

Et tout haut, il ajouta:

– À quelles personnes, monseigneur?

– Mais… à des personnes qui, elles, n’auraient peut-être pas votre générosité!… À M. de Montmorency, par exemple!

Et Damville attendit la réponse avec une angoisse qui décomposait son visage.

– Et quand cela serait! fit Pardaillan. Vous parliez de vos droits! N’ai-je pas celui de vous traiter en ennemi? N’ai-je pas le droit de donner cette arme à votre frère? C’est plus qu’un droit. Comment! vous séquestrez la fille du maréchal de Montmorency… et je ne parle pas de l’infortunée dame de Piennes! Je ne parle pas des malheurs que vous avez déchaînés! Je prends seulement les choses où elles en sont: vous faites fermer les portes de Paris au maréchal; vous le tenez prisonnier, lui et les siens, et nous, par conséquent! C’est donc que vous préparez le dernier coup qui doit nous écraser tous!… Je vous le déclare, monseigneur, je n’aurais pas le courage de me faire votre dénonciateur, j’ai du moins pensé que je devais tout dire au maréchal votre frère, afin qu’il puisse au moins se défendre…

– Vous avez fait cela! gronda Damville avec un accent de rage et de désespoir.

Pardaillan eut encore un haussement d’épaules.

– Je voulais le faire: mais je ne l’ai pas fait. Ne me remerciez pas. J’enrage d’avoir gardé le silence: c’est mon fils qui m’a empêché de parler. Ce jeune fou a toujours eu d’étranges idées qui le perdront, et qui me perdront avec lui. Savez-vous ce qu’il m’a dit?… «Plutôt que de révéler un secret confié à notre honneur, un secret dont je ne suis plus le maître, bien que je l’aie surpris à mon propre péril, puisque vous mon père vous en êtes le dépositaire, oui, plutôt que de descendre à ce degré d’infamie, je me tuerais à vos yeux! Que Damville brûle Paris, s’il l’ose, pour s’emparer de nous! S’il faut mourir, nous mourrons du moins sans que nul au monde, pas même un félon comme lui, puisse nous accuser de félonie!…» Voilà ce que m’a dit mon fils, et voilà pourquoi je me suis tu, monseigneur!

– Ainsi, fit Damville d’une voix rauque, Montmorency ne sait rien!

– Rien, monseigneur: ni lui ni personne!

Le maréchal poussa un profond soupir. Sa terreur avait été telle qu’il ne songeait même pas à relever ce terme de félon dont Pardaillan venait de le souffleter.

Il ne mettait pas en doute la sincérité de ce rude et loyal adversaire.

En quelques instants il eut repris tout son sang-froid. Et alors, la colère commença à bouillonner en lui. Il jeta un sombre regard sur le vieux routier qui, dans ce regard, put lire sa condamnation.

Il fit un pas comme pour se diriger vers celle des portes derrière laquelle se trouvaient Orthès et ses arquebuses.

Mais se ravisant soudain, il se retourna vers Pardaillan.

– Voyons, dit-il brusquement, si je vous offrais la paix?

Pardaillan se leva, s’inclina et demanda:

– Vos conditions, monseigneur?

– Simplement de ne pas me gêner dans ce que je vais entreprendre: vous et votre fils, vous sortirez de l’hôtel de Montmorency; vous vous en irez de Paris, au diable si vous voulez. Je vous ferai remettre deux bons chevaux tout harnachés; dans la sacoche de chacun des chevaux il y aura deux mille écus. Avec une pareille somme, avec votre esprit et votre bravoure, vous pourrez n’importe où entreprendre de faire fortune, et vous réussirez.

Pardaillan, la tête baissée, paraissait réfléchir profondément.

– Songez-y, reprit le maréchal. Vous m’avez désarmé par votre fidélité à garder un secret que bien d’autres eussent vendu. Je suis donc disposé à vous être aussi agréable que je le pourrai. Vos insultes, je les oublie. Vos petites trahisons, je les efface. À vous comme au chevalier, je veux le plus grand bien possible. Je respecte vos idées particulières jusqu’à ne pas vous proposer de rentrer à mon service. Je ne veux même pas me souvenir que vous vous êtes introduit dans cet hôtel pour me tuer. Je vous dis: Pardaillan, ne soyons ni amis, ni ennemis, soyons neutres.

Pardaillan soupira…

– Vous êtes mon prisonnier de guerre, poursuivit Damville. Si fort et si brave que vous soyez, vous ne pouvez lutter contre ces arquebuses, ces hallebardes et ces bonnes épées qui vous cernent; il n’y a pas de fuite possible: vous êtes pris, mon cher. Eh bien, acceptez ce que je vous propose, et vous êtes libre.

– Et si j’acceptais, dit enfin le vieux Pardaillan, comment vous y prendriez-vous, monseigneur? Car je vous sais défiant; sur ma simple parole, vous ne m’ouvririez pas les portes de votre hôtel.

Un éclair de joie aussitôt éteint flamboya dans les yeux du maréchal, qui répondit:

– Je ne prendrai que les précautions indispensables; vous allez écrire une lettre au chevalier, assez pressante pour qu’il vienne vous retrouver ici. Un de ces gentilshommes portera cette lettre. Lorsque le chevalier sera ici, lorsque vous m’aurez tous deux donné votre parole de ne pas revenir à Paris avant trois mois, je vous escorterai moi-même avec quelques amis jusqu’à telle porte de Paris que vous me désignerez, et je vous souhaiterai un bon voyage.

– Honneur dont je vous serai éternellement reconnaissant, monseigneur!

– Vous acceptez, n’est-ce pas? fit Damville en frémissant.

– Certes, monseigneur! Avec joie! Avec gratitude! Et tant que je vivrai, je ne me lasserai pas d’admirer votre générosité!

– Écrivez donc, alors! gronda le maréchal qui se précipitant vers un meuble, en tira une écritoire et du papier.