– Allons, dit-il, dépêche-toi, sans que je te fouille.
– Fouillez-moi, mon bon oncle… je n’ai plus rien!
Gilles étouffa un grognement de désespoir, palpa de ses mains tremblantes les vêtements de Gillot, et une sueur froide pointa sur son crâne. Gillot ne mentait pas!… Pourtant, l’espoir est tenace au cœur des avares.
– Déshabille-toi! gronda-t-il.
Gillot obéit, plus mort que vif. Le vieux Gilles examina chaque vêtement, sonda les coutures, retourna les poches, déchira les doublures… Il dut se rendre enfin à l’horrible vérité:
Trois mille livres manquaient au trésor!…
Une sauvage imprécation et un hurlement d’épouvante retentirent dans le cabinet; l’imprécation venait de Gilles, qui en même temps rugissait:
– Rends-les moi, misérable!
Le hurlement venait de Gillot que son oncle venait de saisir à la gorge et qui répondait:
– Fouillez-moi, mon digne oncle, je n’ai plus rien!
Gilles n’ayant plus rien à fouiller, puisque son neveu s’était entièrement déshabillé, le lâcha et s’arracha des poignées de cheveux.
– Mes économies de cinq ans! grinçait-il. Mais qui, qui donc me les a pris, mes pauvres écus? Insensé que je suis de n’avoir pas veillé nuit et jour, l’arquebuse au poing! Je suis ruiné! Je suis mort! Je suis assassiné! Mes pauvres écus, où êtes-vous?…
Seul, le vieux Pardaillan eût pu répondre à cette question.
Mais Gillot crut que le moment était venu de rentrer en grâce et insinua:
– Mon oncle, je vous aiderai à les retrouver! oui, je me fais fort de les retrouver!
– Toi! hurla le vieillard qui avait oublié son neveu, toi, misérable! Toi qui venais pour me voler! Toi! attends! Tu vas voir ce qu’il en coûte de se faire larronneur et traître! Habille-toi! vite!
En même temps, il secouait son neveu avec une force qu’on n’eût pu lui soupçonner. Enfin, il le lâcha, et Gillot se revêtit rapidement, tandis que le vieillard marmottait des mots sans suite.
Gilles, cependant, s’apaisa par degrés.
Lorsque Gillot fut prêt, il le harponna au cou de ses doigts longs, osseux, durs comme du fer, et ayant soigneusement refermé le cabinet, il l’entraîna.
– Miséricorde! gémit Gillot, que voulez-vous faire de moi?
Arrivé au rez-de-chaussée, Gilles lâcha son neveu, et tirant une dague acérée, lui dit:
– Au premier mouvement que tu fais pour fuir, je t’égorge!
Cette menace rassura un peu Gillot. On ne voulait donc pas le tuer, puisqu’il n’était menacé de mort que s’il tentait de fuir! Il fit un signe de soumission complète.
– Marche devant! reprit l’oncle, sa dague à la main.
Guidé, ou plutôt poussé par le vieillard, Gillot passa dans le jardin, et entra dans la remise du jardinier.
– Prends ce pieu! commanda l’oncle en désignant un assez long poteau pointu par un bout.
Gillot obéit et chargea le poteau sur son épaule.
– Prends cette corde! Prends cette bêche! ajouta l’oncle.
Le neveu se chargea des objets qu’on venait de lui désigner. Ainsi chargé des instruments de supplice que le redoutable vieillard trouva amusant de lui faire porter, Gillot reprit le chemin de l’office, puis, toujours poussé, la pointe de la dague sur la nuque, il pénétra dans le couloir de la cave.
Dans l’office, Gilles avait repris en passant une torche et un couteau.
Il poussa son neveu dans la cave, et lorsqu’ils furent descendus, il l’entraîna au fond, et lui dit:
– Creuse ici!
Gillot, véritable loque humaine, décomposé par la terreur, hébété, se mit à creuser avec la bêche.
Le trou creusé, Gillot y planta le poteau et l’enfonça profondément à coups de maillet jusqu’à ce que Gilles ayant constaté qu’il tenait solidement, cria: «Assez!»
Alors le vieillard saisit le neveu, le colla au poteau et l’y attacha avec la corde, de façon qu’il ne pût remuer ni les bras, ni les jambes, ni la tête.
Gillot, fou de peur, se laissait faire, et l’instinct vital ne lui suggérait pas une révolte. Il faut dire que, d’ailleurs, il espérait vaguement dans le fond que son oncle se livrait simplement à une de ces sinistres facéties comme il les aimait.
– Que voulez-vous donc faire de moi? balbutia-t-il quand il fut attaché.
– Tu vas le savoir, dit l’oncle.
Le vieillard poussa devant Gillot une sorte de billot de bois, s’y assit et se mit à aiguiser sur la lame de sa dague le couteau de cuisine qu’il avait apporté.
À la vue de ces apprêts, Gillot commença à pousser des gémissements ininterrompus.
Ce fut à ce moment que le maréchal de Damville pénétra dans la cave.
– Tu m’impatientes avec tes clameurs de cochon qu’on égorge, cria Gilles.
Gillot n’en hurla que plus fort, et le vieillard ajouta:
– Si tu ne te tais, je serai forcé de te tuer.
Gillot observa instantanément un silence absolu.
– Il ne veut donc pas me tuer! songea-t-il. Mais alors, que veut-il?…
– Voyons! reprit alors le vieux Gilles. Je vais te juger en mon âme et conscience. Et dans mon jugement, je te promets de tenir compte de ce que tu es le fils unique de feu ma sœur Gillonne, que Dieu ait pitié de son âme. C’est te dire que je serai indulgent, autant que tes crimes peuvent mériter l’indulgence. Réponds-moi donc en toute franchise.
– Oui, mon oncle. Je vous le promets bien, fit Gillot commençant à se rassurer.
Cependant il louchait fortement sur le couteau que le vieillard continuait à affûter paisiblement. Celui-ci reprit:
– Tu as donc suivi la voiture où monseigneur avait caché ses prisonnières?
– Oui, mon oncle. Jusqu’à la rue de la Hache.
– Quelqu’un t’a-t-il vu? Fais bien attention. Ta vie dépend de ta franchise.
– Je crois que M. d’Aspremont a dû m’apercevoir. Mais je ne pense pas qu’il m’ait reconnu.
– Et quelle était ton idée en suivant la voiture?
– Rien. Je voulais voir, voilà tout!
– Et tu as vu ce que tu ne devais pas voir, mon garçon! Ce que nul au monde ne devait voir!
– Hélas! je m’en repens bien, mon digne oncle! Je ne recommencerai pas, je vous jure.
– Bon. Maintenant, dis-moi, fripon, dis-moi, misérable, quel démon t’a poussé à raconter ce que tu n’aurais jamais dû voir aux deux damnés Pardaillan?
– Ce n’est pas un démon. Je voulais sauver mes oreilles, mon oncle.
– Ah! misérable lâche! Tu voulais sauver tes oreilles, alors que je te donnais l’exemple! Alors que j’offrais toute ma fortune, ce dont je fusse mort de chagrin si on l’eût acceptée! Alors que je consentais à périr plutôt que de trahir le secret de monseigneur!… Sais-tu bien, infâme, quels malheurs ta trahison va attirer sur mon illustre maître?
– Hélas! pardonnez-moi, mon oncle!
– Et moi-même, que vais-je devenir? Que vais-je répondre à ce puissant seigneur lorsqu’il va me demander des comptes? De quel front oserai-je l’aborder? Ne vaut-il pas mieux que je me pende avant son retour?