Выбрать главу

– En bien?

– Faut-il l’achever?

– Non. Il pourra te servir dans ce que tu vas entreprendre. Viens!…

III L’ASTROLOGUE

Nous laisserons le maréchal de Damville aux prises avec sa haine et sa rage, chercher quelque moyen de frapper à mort les Pardaillan et de s’emparer de Jeanne pour la cacher jusqu’au jour qu’il croyait proche où la maison de Lorraine édifierait sa fortune sur les ruines de la maison de Valois, où Charles IX tomberait sous quelque balle en même temps que son frère Henri d’Anjou, et où Henri de Guise mettrait sur sa tête la couronne de France. Nous laisserons également François de Montmorency, la pauvre folle et Loïse dans la maison du savant Ramus où les nécessités de notre récit nous rappelleront bientôt.

Trois jours après les événements qui se sont déroulés, trois jours après la rentrée triomphale du roi dans sa ville, comme dix heures du soir sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois, deux ombres marchaient lentement dans la nuit qui enveloppait les jardins du nouvel hôtel de la reine.

Sur l’emplacement actuel de la Halle aux Blés (Bourse de Commerce), s’était élevé jadis l’hôtel de Soissons, non loin de l’hôtel de Nesles. Ce qui s’appelle aujourd’hui rue Coquillère s’appelait dans ce temps-là rue de Nesles, à cause de l’hôtel de ce nom. L’hôtel de Soissons était borné par les rues du Four, de Grenelle et des Deux-Écus, Sous Charles IX, la rue des Deux-Écus portait en partie le nom de la rue de la Hache. La ruelle Traversine donnait dans la rue de la Hache.

C’est sur ce vaste emplacement de l’ancien hôtel de Soissons et de l’ancien hôtel de Nesles que Catherine de Médicis avait fait bâtir une façon de palais, en même temps qu’elle s’occupait de faire construire un palais plus vaste, plus grandiose, plus royal, sur l’emplacement de l’ancienne Tuilerie où nous avons eu occasion de conduire nos lecteurs, dans un précédent ouvrage.

Catherine de Médicis avait l’amour de la propriété. La possession de la terre était un plaisir pour cet esprit actif qui s’ingéniait à combiner des plans de bâtisse.

Catherine, donc, avait acheté les vastes jardins et les terrains vagues demeurés en friche autour de l’hôtel de Soissons en ruine. Elle avait fait jeter bas les pierres branlantes; des régiments de maçons s’étaient employés à faire sortir de terre comme sous le coup de baguette d’une fée un hôtel jeune, brillant, d’une élégante magnificence, et une armée de jardiniers avait, autour de l’Hôtel de la Reine, fait jaillir les plantes, les arbustes et les fleurs.

Dans ces jardins, Catherine, qui toute sa vie regretta l’Italie, avait fait transplanter à grands frais des orangers, des citronniers, des fleurs aux violents parfums qu’on ne trouve que sous les brûlants soleils de la Lombardie et du Piémont.

Elle aimait toutes les voluptés, toutes les ivresses, tous les parfums, le sang et les fleurs.

Et c’est au bout de ces jardins, dans l’angle d’une sorte de cour qu s’avançait dans la direction du Louvre, que, sur les ordres et les plans de Catherine, s’était élevée la colonne d’ordre dorique encore debout – dernier vestige de tout cet harmonieux ensemble de constructions.

Cette colonne, espèce de tourelle sur laquelle on peut lire l’inévitable inscription dont les sociétés archéologiques, de complicité avec l’État, souillent les débris de l’histoire humaine, cette tour, disons-nous, avait été spécialement construite pour l’astrologue de la reine.

C’est vers cette tour que se dirigeaient les deux ombres que nous venons de signaler. Ombres… car Rugierri et Catherine – c’étaient eux – s’avançaient en silence, vêtus de noir tous deux, et n’eussent apparu aux yeux d’un curieux que comme des fantômes, si les gardes qui veillaient à toutes les portes eussent laissé pénétrer ce curieux.

Catherine de Médicis et Ruggieri s’arrêtèrent au pied de la colonne.

L’astrologue tira une clef de son pourpoint, et ouvrit une porte basse.

Ils entrèrent et se trouvèrent alors au pied de l’escalier qui montait en spirale jusqu’à la plateforme de la tour.

Là, c’était un cabinet ou plutôt un étroit réduit où Ruggieri rangeait ses instruments de travail, lunettes, compas, etc. Pour tout meuble, il n’y avait qu’une table chargée de livres et deux fauteuils.

Une étroite meurtrière donnant sur la rue de la Hache laissait pénétrer l’air dans ce réduit.

C’est par cette meurtrière que la vieille Laura, espionne d’une espionne, communiquait avec Ruggieri.

C’est par cette meurtrière qu’Alice de Lux jetait les rapports qu’elle voulait faire parvenir à la reine.

Or, ce jour-là, Catherine avait reçu de Laura un billet contenant ces quelques mots:

«Ce soir, vers dix heures, elle recevra une visite importante dont je rendrai compte demain.»

– Votre Majesté désire-t-elle que j’allume un flambeau? demanda Ruggieri au moment où il referma derrière lui la porte de la tour.

Au lieu de lui répondre, Catherine saisit vivement la main de l’astrologue et la pressa comme pour lui recommander le silence.

En effet, elle venait de percevoir un bruit de pas qui, dans la rue, s’approchait de la tour. Et Catherine de Médicis qui eût été un policier de premier ordre, qui avait effectivement inventé et créé toute une police masculine et féminine, se disait d’instinct que ces pas étaient sans doute ceux de la personne qui devait faire à Alice de Lux une importante visite.

La reine s’avança vers la meurtrière et chercha à voir ce qui se passait.

Et comme les ténèbres étaient profondes, comme elle ne voyait rien, elle se plaça de façon à entendre, et à concentrer dans son ouïe les forces vitales inutiles à ses yeux: l’oreille, pour celui qui espionne, est un agent plus actif et plus sûr que l’œil.

Les pas se rapprochaient.

– Des passants! fit Ruggieri en haussant les épaules. Croyez-moi, Majesté.

Et il élevait la voix comme s’il eût voulu être entendu, eût-on dit, des gens qui venaient.

– Silence! murmura Catherine d’un ton de menace qui fit pâlir l’astrologue.

Les personnes qui marchaient dans la rue, quelles qu’elles fussent, ne pouvaient en aucune façon se douter qu’elles étaient ainsi épiées. Elles s’arrêtèrent près de la tour, non loin de la meurtrière, et la reine entendit une voix… une voix d’homme qu’on eût dit voilée d’une indéfinissable tristesse, et qui la fit brusquement tressaillir.

La voix disait:

– J’attendrai ici Votre Majesté. De ce poste, je surveille à la fois la rue Traversine et la rue de la Hache. Nul ne saurait arriver à la porte verte sans que je lui barre le chemin. Votre Majesté sera donc en parfaite sûreté…

– Je n’ai aucune crainte, comte, répondit une autre voix – voix de femme, cette fois.

– Déodat! avait sourdement murmuré Ruggieri en pâlissant.

– Jeanne d’Albret! avait ajouté Catherine de Médicis. Tais-toi. Écoutons…

– Voici la porte, madame, reprit la voix du comte de Marillac. Voyez, à travers le jardin, apparaît une lumière. Sans aucun doute, elle a reçu votre messager. Elle vous attend… Ah! madame…

– Tu trembles, mon pauvre enfant?

– Jamais je n’éprouvai pareille émotion dans ma vie, qui en contient pourtant quelques-unes, qui furent ou bien douces ou bien cruelles. Songez Majesté, que ma vie se joue en ce moment!… Quoi qu’il advienne, je vous bénis, madame, pour l’intérêt que vous daignez me témoigner…