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– Vous ne vous appelez pas le Balafré, monseigneur! cria un homme, qui, à son tour, s’avança, mais calme, la lèvre ironique, les yeux pétillants d’une sorte de joie étincelante…

C’était Pardaillan!… D’un coup d’œil, il avait jugé la situation. De la foule houleuse, ce regard clair avait rebondi sur Guise, et de Guise sur les gardes de Crillon… Et il avait souri!… Immobile spectateur d’abord, il venait de comprendre que Guise allait jeter un ordre d’arrestation.

– Sauvons mon petit louveteau! grommela-t-il.

Il marcha sur le duc de Guise à qui, d’une voix cinglante, il jeta ces mots:

– Pardon: vous ne vous appelez pas le Balafré!…

– Votre nom, à vous! rugit Guise. Qui êtes-vous?…

Pardaillan tendit son poing et dit:

– Ce n’est pas mon nom qui importe, c’est le vôtre, monseigneur! Il y a seize ans, dans la cour d’un hôtel de la rue de Béthisy…

– La rue de Béthisy! murmura Guise dont les yeux exorbités se posèrent avec épouvante sur Pardaillan. Oh! si tu es celui que je crois… malheur à toi!… continue!…

– Je continue! Donc, vous veniez d’assassiner l’amiral Coligny… Au moment où vous posiez le pied sur la face sanglante du cadavre, cette main que voilà, monseigneur…

Pardaillan ouvrit sa main toute large…

– Cette main s’appesantit sur votre face, à vous, et depuis lors, vous vous appelez le Souffleté!…

– C’est toi! rugit Guise tandis qu’une terrible clameur de mort jaillissait de la foule… À moi! À moi! Arrêtez-les tous deux! Prenez-les! Vivants! Il me les faut vivants!…

Alors, un effroyable tumulte se déchaîna. Les digues de l’océan populaire se rompirent… Crillon recula jusque sur ses gardes, emporté comme par un mascaret. Le colonel des suisses, le premier, mit rudement sa main sur l’épaule du duc d’Angoulême… Au même instant, il s’abattit comme une masse: Pardaillan venait de tirer sa rapière, et d’un coup de pommeau violemment asséné, lui avait fracassé le crâne…

– Guise! Guise! cria Charles, souviens-toi que tu as accepté mon défi!

– À mort! À mort! hurlait le rauque rugissement de la foule.

– Vivants! Je les veux vivants! vociférait Guise.

Ces cris, ces gestes, cette effroyable mêlée d’expressions sauvages, de figures sans humanité, de fauves hurlements, de regards pareils à des éclairs, de voix pareilles à des tonnerres, tout ce tableau de furie où fulgurait l’éclat livide des hallebardes, des épées et des poignards, toute cette scène convulsée que, de loin et de haut, dominait l’ardente et fatale figure de Fausta, penchée à sa fenêtre, tout ce vertigineux ensemble d’attitudes intraduisibles se développa dans la seconde même où le chevalier de Pardaillan avait jeté au roi de Paris cette formidable insulte:

– Tu t’appelles le Souffleté!…

Au moment où d’un coup de pommeau le chevalier abattait aux pieds de Guise le colonel des suisses, il saisit Charles, son louveteau, à pleins bras et se mit à bondir vers Crillon, vers la troupe des gardes immobiles et pâles… Il tenait sa rapière par la lame, et se servait du pommeau comme d’une massue. Et cette massue, dans cette main puissante, tourbillonnait, bondissait, frappait, enveloppée des éclairs de l’acier… Ce fut ainsi qu’il se fraya un passage jusqu’à la troupe de Crillon, parmi les gentilshommes de Guise rués sur lui…

– Rendez-vous, Crillon! vociféra Maineville, un des fervents de Guise.

– Livre-moi ces deux sangliers! hurla Guise. Et tu sortiras avec tes hommes d’armes!

À ce moment, Pardaillan se dressa sur la pointe des pieds et leva très haut, de son bras tendu, sa rapière vers le ciel. Il apparut ainsi, un inappréciable instant, les vêtements déchirés, du sang au front, étincelant, prodigieux d’audace et d’ironie, dans les rayons du soleil qui l’enveloppaient d’une gloire… Et alors, d’une voix qui résonna comme du bronze, à l’instant où Crillon éperdu se voyait débordé, où les gardes allaient se débander, où Guise, déjà, poussait un rugissement de triomphe, Pardaillan tonna:

– Trompettes! sonnez la marche royale!…

Électrisés, soulevés par l’enthousiasme des grands chocs, les hommes d’armes hurlèrent dans un grand élan tragique:

– Vive le roi!…

Et se mirent en marche tandis que la fanfare royale éclatait, rebondissait, envoyait ses échos claironnants aux horizons de la Grève et dominait l’épouvantable tumulte…

Et en avant, l’épée haute, près de Charles qu’il entraînait, près de Crillon stupéfait qui l’admirait, en avant, pareil à quelque héros des antiques épopées d’Homère, le chevalier de Pardaillan marchait, fonçant dans la foule, entraînant les hommes d’armes, creusant un sillage à travers les masses des ligueurs et les infernales clameurs de mort…

Des coups d’arquebuse éclataient; des groupes de bourgeois armés de piques se lançaient sur la troupe de Crillon… mais la fanfare, la marche royale couvrait tous les bruits, et la voix de Pardaillan retentissait:

– En avant! En avant!…

– Mes hommes d’armes! Mes ligueurs! balbutiait Guise ivre de rage et de honte, chancelant de fureur…

Les hommes d’armes de la Ligue étaient disséminés aux quatre coins de Paris et n’apparaissaient pas encore! Maintenant, devant la troupe de Crillon, devant ce long serpent hérissé de fer, devant ces blessés qui s’avançaient d’un pas pesant et régulier, la hallebarde croisée, les multitudes de bourgeois s’ouvraient, fuyaient, les uns courant s’armer, les autres déchargeant leurs pistolets au hasard de l’affolement…

Pardaillan avait remis sa rapière au fourreau. Il marchait en tête, d’un pas rude, et criait:

– Place au roi! Place au roi!…

Et il y avait une telle ironie dans ce cri que ceux qui l’entendaient ne savaient de quel roi le chevalier voulait parler, ni si c’était vraiment pour le service d’un roi que flamboyait le regard de cet homme! En quelques minutes, les hommes d’armes de Crillon furent hors la Grève, et déjà, par les quais, ils marchaient droit à la Porte-Neuve, tandis que le tumulte grandissait, que les profondeurs de la ville mugissaient, et qu’il y avait dans l’air comme un formidable frisson de bataille et d’assaut.

* * * * *

À ce moment, mille ligueurs, commandés par Bussi-Leclerc, armés d’arquebuses toutes chargées et prêtes à faire feu, débouchèrent au pas de course sur la place de Grève, venant de la Bastille.

– Enfin! enfin! rugit le duc de Guise avec un indescriptible accent de joie sauvage.

Il allait s’élancer vers Bussi-Leclerc; une main, tout à coup, se posa sur son bras.

– Que voulez-vous? gronda-t-il d’une voix rauque à celui qui venait d’arrêter son élan – un gentilhomme vêtu de velours noir qui, silencieux et sinistrement paisible dans toute cette rumeur, semblait un roc sévère autour duquel roule et gronde la mer furieuse.

– Lisez ceci, monseigneur duc, dit le gentilhomme qui tendit un pli fermé.

– Hé, monsieur! vociféra Guise. Tout à l’heure… demain!

– Demain, il sera trop tard! dit l’homme vêtu de noir. Cette lettre est de la princesse Fausta!…

Le duc qui s’élançait s’arrêta court, avec un profond tressaillement. Il saisit la lettre, d’un geste où il y avait comme du respect et une sourde terreur… Il brisa le cachet… Et il lut!… L’effet de cette lecture fut foudroyant. Le duc chancela… Son visage devint couleur de cendres. Ses yeux prirent une expression égarée. Un rauque soupir déchira sa gorge, et du revers de la main, il essuya son front couvert d’une sueur froide.