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Claude, portant Violetta à demi évanouie dans ses bras, recula en grondant, montrant les dents comme un dogue furieux; il s’accula à la paroi du fond, darda des yeux sanglants sur les gardes, et grogna quelques sons incompréhensibles, qui sans doute signifiaient:

– Venez-y donc! Touchez-la, si vous osez…

Mais les gardiens n’avançaient pas: sans doute, Fausta leur avait donné ses ordres avant d’entrer. Ils n’avançaient pas!… Mais Claude les vit apprêter leurs armes!

– Comment! comment! Ils vont arquebuser ma fille?… bégaya-t-il.

Les cheveux hérissés, le regard fou, les veines du front gonflées à éclater, il sentait craquer son cerveau, il entendait son cœur se briser, ses muscles se tordre et ses nerfs pleurer. Dans une effrayante tension d’esprit, il cherchait encore à cette minute définitive le moyen de sauver Violetta!…

– Attention! commanda une voix rude.

À cet instant, les quinze gardes entendirent un hurlement qui se termina par un éclat de rire de tempête; ils virent une ombre géante qui bondissait, d’un bond prodigieux; dans la même seconde, ils firent feu! Le tonnerre des quinze arquebuses éclata! La sinistre chambre s’emplit d’une fumée noire!… Et les gardes, alors, sortirent…

Fausta demeura seule, immobile, un mystérieux sourire aux lèvres. Lentement, les volutes de fumée se dissipèrent… Alors, elle chercha les cadavres de Claude et de Violetta… du bourreau et de la condamnée! Et elle ne les vit pas!… Violetta et Claude avaient disparu!…

Les yeux de Fausta errèrent, fouillèrent les coins sombres… et enfin, s’arrêtèrent sur la trappe, au milieu de la pièce… la trappe était ouverte!… Il y avait là comme l’ouverture béante d’un puits au fond duquel la Seine se lamentait… Fausta eut un imperceptible tressaillement: elle venait de comprendre ce cri et cet éclat de rire sauvage, et ce bondissement furieux de Claude!…

Fausta s’approcha de la trappe, se pencha, écouta et demeura là, inclinée sur ce gouffre noir, au fond duquel, sans doute, tournoyaient maintenant les deux cadavres enlacés… Et ce gouffre était moins noir, moins terrible que le gouffre de ses pensées!

VI LA BONNE HÔTESSE

En se séparant de Crillon dans la plaine des Tuileries qui s’étendait au-delà de la Porte-Neuve, le chevalier de Pardaillan et le duc d’Angoulême passèrent au pied du moulin qui virait ses grands bras sur la butte Saint-Roch, longèrent les fossés et rentrèrent dans Paris par la porte Montmartre. Mais au lieu de se diriger à la Devinière comme l’avait proposé Pardaillan, ils traversèrent la ville, parvinrent dans la rue des Barrés située entre la Seine et Saint-Paul, et pénétrèrent dans une maison de bourgeoise apparence où, la veille, après leur rencontre avec Henri III, ils étaient descendus tout droit.

Cette maison appartenait à Marie Touchet, mère du jeune duc, et lui avait été donnée par Charles IX. Elle était donc toute pleine des souvenirs de ce roi mort si jeune, d’une mort si effrayante, après la sanglante tragédie de la Saint-Barthélemy.

Ces souvenirs, portraits, armes, cors de chasse, une toque et un pourpoint oubliés, un panneau de tapisserie qui portait en broderie la devise «Il charme tout», quelques livres des poésies de Ronsard annotés de la main royale, un gobelet de vermeil et d’autres menus objets, Charles d’Angoulême les contemplait, les touchait, avec des soupirs de mélancolie.

Si Charles avait entraîné Pardaillan jusque chez lui, c’est qu’il avait à lui raconter mille et mille choses qui pouvaient se résumer en une seule petite phrase:

– Je suis amoureux.

Charles, qui avait pour camarades une foule de jeunes seigneurs dans l’Orléanais et l’Île-de-France, ne se savait qu’un ami: Pardaillan. Et pourtant, ce Pardaillan, il ne le connaissait que depuis une dizaine de jours: un soir, le chevalier, venant on ne savait d’où et allant à Paris, était passé par Orléans et avait fait visite à l’amante du feu roi Charles IX. Marie Touchet avait pleuré en revoyant le chevalier dont la dernière visite remontait à plusieurs années, et qui, sans doute, faisait revivre en elle un passé d’une enivrante poésie. Elle l’avait accueilli comme un demi-dieu. Puis, elle avait raconté à son fils ce qu’elle savait de Pardaillan, et le jeune duc l’avait écoutée comme on écoute quelque héroïque passage d’un poème de chevalerie. Puis, lorsque le lendemain, après la scène où fut décidé son départ, Charles d’Angoulême s’était mis en route, Marie avait levé ses yeux suppliants sur le chevalier, comme pour lui dire:

– J’hésitais à laisser partir mon enfant… mais je n’aurai plus peur si vous lui accordez votre amitié.

– Madame, avait dit Pardaillan en baisant la main toujours belle de Marie Touchet, je vais à Paris où je compte séjourner quelque temps. J’espère que monseigneur le duc d’Angoulême voudra bien me compter parmi ses amis…

La mère de Charles avait compris ce qu’il pouvait y avoir de promesses dans ces mots et avait répondu par un regard où elle avait mis toute sa reconnaissance. Pendant la route, le duc s’était pris d’une sorte de passion pour son compagnon, dont il ne pouvait se lasser d’admirer l’allure insoucieuse, le rire sonore, les attitudes à la fois si aisées et si nobles, si simples et si éloquentes, la parole mordante, le calme et fin profil, les yeux audacieux et ironiques, enfin tout cet ensemble qui frappait du premier coup, qui faisait de Pardaillan un être à part, un de ces hommes qu’il est impossible de ne pas remarquer.

Enfin, la bagarre de la place de Grève, le geste étincelant du chevalier, le flamboiement de sa rapière devant la foule hurlante, l’éclat de cuivre de sa belle voix tonnant: Trompettes, sonnez la marche royale! cet épisode de Pardaillan faisant sortir de Paris par un coup d’audace les blessés de Crillon, les restes de la défaite des Barricades avait inspiré au jeune duc un sentiment qui tenait de l’étonnement émerveillé, du respect, de la timidité et aussi de la reconnaissance – puisque, sans le chevalier, il eût été purement et simplement occis.

Donc, Charles considérait Pardaillan comme son unique ami – autant qu’il pouvait se dire l’ami de celui en qui il voyait un héros digne du temps de la Table ronde.

Or, lorsque après avoir longtemps ruminé, il se décida le soir, à table, à parler de Violetta, lorsqu’il eut raconté la scène du matin dans la roulotte de Belgodère, lorsqu’il eut dit sa formelle intention d’aller le lendemain à l’Auberge de l’Espérance, lorsqu’il eut chanté son amour, il se trouva que Charles rencontra dans Pardaillan le plus fraternel, le plus spirituel, le plus parfait des amis que puisse rêver un amoureux. C’est-à-dire que cinq heures durant, avec une patience inaltérable, Pardaillan l’écouta sans l’interrompre, sans arrêter d’un seul mot les effusions de son cœur. Et lorsqu’il eut enfin terminé, et que timidement il demanda un conseil, le chevalier répondit en vidant son verre:

– Aimez-la, morbleu! et faites-vous aimer! Et soyez heureux, tous deux! Bohémienne ou princesse, du moment que vous l’aimez, elle est l’étoile qui vous guidera. L’amour, voyez-vous, monseigneur, c’est encore ce que les hommes ont trouvé de mieux pour faire semblant de s’intéresser à la vie!

Sur ces mots tant soit peu amers, Pardaillan s’alla coucher, non sans avoir annoncé à Charles qu’il se rendrait le lendemain matin à la Devinière, rue Saint-Denis, où il l’attendrait pour savoir le résultat de sa démarche auprès de Belgodère.