– Il faut que tu saches… j’ai voulu ta mort… oui, ta mort dans le premier baiser de passion que la vierge immaculée offre à un homme… hier… oh! écoute… hier, des fascines [17] ont été entassées dans la salle de ce palais…
Pardaillan écoutait à peine. Peut-être n’entendait-il pas. Il avait parlé de rêve. Et c’était bien un rêve étincelant, magique, ineffable qu’il vivait de toutes les fibres de son être stupéfié par l’amour comme il l’eût été par un puissant narcotique. Plus belle, plus passionnée, plus resplendissante de seconde en seconde, Fausta continuait:
– Myrthis a mis le feu… tu comprends?… Et maintenant, ce palais brûle!… Myrthis est sortie en fermant toutes les portes… conçois-tu?… et maintenant, nous sommes seuls… seuls au-dessus d’un immense brasier d’incendie… seuls dans un somptueux brasier d’amour!… Pardaillan! Pardaillan!… Tu m’aimes!…
– Je t’aime! bégaya Pardaillan. La mort!… Un brasier!… Soit!… Mourir ainsi, ce n’est pas mourir, c’est passer d’un rêve à des rêves inconnus…
Leurs lèvres s’unirent. Le temps s’écoula… une heure, peut-être… Pardaillan n’en eut pas conscience.
Lorsque Pardaillan sortit de ce délire qu’avait créé la magnifique passion de Fausta et qui avait peut-être été provoqué par des émanations de parfums dont le secret est perdu, lorsqu’il revint à lui, Pardaillan jeta des yeux hagards dans la chambre et il vit qu’une acre fumée l’emplissait en pénétrant par les fissures des portes. Il chercha Fausta près de lui et, avec un rire étrange, murmura:
– Mourir dans tes bras, mourir dans l’amour et les flammes!… Ce sera une belle fin de ma vie tourmentée!…
Et près de lui, il ne trouva pas Fausta!… À son rire étouffé répondit un éclat de rire strident. Alors la raison rentra à flots pressés dans son esprit, et, avec la raison, la terreur. Cet éclat de rire dans cette fumée, alors qu’au loin, dans le palais, ronflaient les flammes du vaste incendie, avait on ne sait quoi d’affreux et d’extrahumain qui distillait de l’épouvante…
Pardaillan se souleva d’un bond. Il entendit les sifflements de l’incendie, les craquements des poutres, le grondement des rumeurs lointaines; et dans le palais même, sous ces bruits énormes, le silence de toute créature vivante…
La hideuse vérité se présenta à lui tout entière… Il était enfermé avec Fausta dans le Palais-Riant! Et le palais brûlait!… il était seul avec elle! Et ils allaient mourir!…
Et dans cette minute d’horreur, alors que déjà il suffoquait, alors que des serpents écarlates commençaient à se rouler autour de lui, alors que le feu l’enveloppait, ce fut une pensée de pitié, une pensée de pardon et de dévouement qui se fit jour en lui et éclata dans ce cri:
– Fausta!… Fausta!…
La sauver!… Sauver la vierge qui avait voulu sa mort, qui le tuait, mais qui s’était donnée à lui!…
– Fausta!… Fausta!…
Ce même éclat de rire infernal lui répondit… et tout à coup il la vit!… il la vit dans la fumée, au fond d’une vapeur rousse et noire, à peine visible, pareille à un être de mystère qui, sortie du mystère, rentre dans le mystère; il la vit comme dans un éloignement, avec des lignes imprécises, un visage à peine deviné où flamboyaient les deux diamants noirs, les deux diamants funèbres de ses yeux, fantôme qui s’éteint, magicienne qui rentre dans la nuée qui l’a vomie, créature indéchiffrable, enveloppée d’énigme… Pardaillan s’avança, titubant, à demi aveuglé, et râla:
– Viens!… Fuyons!… Oh! je te sauverai!… Tu vivras!…
Et du nuage de fumée, en même temps que l’éclair de ses yeux, sortit la voix de Fausta, la voix calme, glaciale, impérieuse, douce et rude, la voix souveraine:
– Je vivrai!… Oui, Pardaillan!… Mais toi, tu meurs!… Vaincue tout à l’heure encore une dernière fois, je prends ma revanche, et c’est mon baiser d’amour qui t’assassine, puisque tu es invulnérable à l’acier!… Adieu, Pardaillan! Commence à mourir! Et que ta dernière pensée soit celle-ci: «C’est Fausta qui me tue! Je meurs parce que Fausta a voulu ma mort!…»
À mesure qu’elle parlait, Fausta semblait s’éloigner, se confondre avec la fumée, se fondre dans le nuage, et sa voix elle-même s’affaiblissait… Au dernier mot, elle disparut tout à fait…
Haletant, hors de lui, fou furieux devant cette trahison suprême, Pardaillan s’élança la dague au poing… et alla se heurter contre une porte de fer que dissimulait une tenture… Sans aucun doute, la terrible vierge qui se vengeait si effroyablement du refus de Pardaillan avait disparu derrière cette porte de fer! Sans aucun doute, elle s’était assuré le moyen de se sauver!… Elle était en sûreté!…
Pardaillan comprit qu’il allait mourir seul!… Mourir, oui! Car la fumée le suffoquait, les flammes rampaient sous la porte par laquelle il était entré, et toute issue lui était fermée, puisqu’une porte de fer le séparait du chemin qu’avait pris Fausta. Pardaillan marcha résolument vers les flammes. Au moment où il allait atteindre la porte par où il avait pénétré dans cette chambre, cette porte s’écroula… Il recula…
Devant lui, c’était le brasier immense… la fournaise rouge d’un escalier qui brûlait… escalier de chêne dont chaque marche flambait, c’était l’horreur inouïe des crépitements secs, des détonations sourdes, des sifflements aigus et des ronflements graves, et sur cette vision d’enfer, cet homme qui regardait… et pensait encore! qui ne renonçait pas à la vie! qui calculait les aspirations de sa poitrine pour se ménager un peu d’air respirable! qui étudiait la chance infinitésimale de vivre avec un sublime entêtement!…
À cet instant, c’est-à-dire moins de dix secondes après la disparition de Fausta, à cet instant où Pardaillan comprenait qu’il allait sombrer, que sa gorge n’avait plus d’air, qu’il étouffait, à cet instant, disons-nous, un bruit effroyable domina tous les tumultes, dans ce choc énorme de bruits qu’était l’incendie… L’escalier s’écroulait!… Il y eut un trou noir de fumée, un puits de vapeurs surchauffées… Dans la même seconde, les flammes furent étouffées par l’écroulement… étouffées pour quelques instants à peine.
Et à ce moment où Pardaillan vacillait, où il sentait sa tête tourner et où le vertige de la mort s’emparait de lui, tout à coup, il respira plus facilement, comme si un grand coup de vent eût dissipé la fumée… et délirant, écumant, les nerfs tendus à se rompre, il vit… oui, de l’autre côté de cet abîme de l’escalier écroulé, sur un pan de mur noirci, il vit une fenêtre dont les vitraux venaient de sauter, dont les châssis venaient de tomber en même temps que l’escalier… Pardaillan se pencha davantage: il calcula l’espace qui le séparait de cette fenêtre…
Ce fut un instant d’horreur indescriptible…
Dix à douze pieds le séparaient de la fenêtre, ou peut-être plus, il ne savait pas… Tout ce qu’il savait, c’est que s’il tombait, il descendait dans le puits de fumée, il allait s’engloutir dans la mer de flammes dont les vagues écarlates, un instant abattues, se soulevaient plus furieuses.
Pardaillan se défit de son épée, de son pourpoint, et recula jusqu’à la porte de fer… Et il s’élança!… Il s’élança au moment où le jet des flammes montait en se tordant en spirales pourpres…