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Pardaillan songeait à Jacques Clément. Avant de se décider à rentrer, soit à Paris, soit à Orléans, il résolut de se rapprocher d’Henri III, agacé par les cris perpétuels de: «Vive la Ligue!» et de «Mort à Hérode!» et songeant peut-être vaguement à sauver Valois. Vers le 20 juin, il était à Blois.

Là, il apprit que le roi, avec une armée bien réduite, campait entre Tours et Amboise. Le lendemain, il se mit donc à descendre la Loire, et au-delà d’Amboise, rencontra un fort détachement de royalistes battant l’estrade. À la tête de ce détachement, il reconnut Crillon à son cimier et piqua vers lui. Le brave capitaine poussa un cri de joie en revoyant le chevalier; il confia sa troupe à l’un de ses officiers, et proposa à Pardaillan de le suivre au camp royal, ce qu’accepta le chevalier.

Après les premiers moments consacrés à l’échange de ces politesses qui avaient cours à cette époque, où l’on avait encore le temps de causer aimablement, Crillon poussa un profond soupir qui fit trembler sur ses épaules sa cuirasse de fer.

– Il me paraît, capitaine, dit Pardaillan, que vous n’êtes pas parfaitement heureux?

– Si fait, mortdiable, je suis heureux, au contraire. Nous commençons la campagne, il va y avoir des coups à donner et à recevoir, de belles charges de cavalerie, de superbes arquebusades, et tout cela, voyez-vous, c’est mon élément.

– Alors, vous soupirez de joie?

– Non, par la mortbœuf!

– Alors, vous êtes amoureux?

Crillon souleva la visière de son casque et montra au chevalier un visage tout couturé d’entailles.

– Avec cette figure-là? fit-il en éclatant de rire. Non, chevalier, je soupire parce que je vois les affaires de mon pauvre Valois en fort vilaine posture. Que voulez-vous, on a beau l’appeler Hérode, c’est de lui que je tiens mon épée de commandement, et il m’a fait chevalier de l’ordre. En sorte que je lui suis dévoué unguibus et rostro, avec le bec et les ongles, et que je suis tout à fait marri de voir la couronne chanceler sur sa tête. Ah! si vous vouliez, chevalier…

– Si je voulais quoi, capitaine?

– Eh bien!, dit Crillon, les hommes de haute bravoure manquent autour du pauvre Valois que tout abandonne; j’ai bien quelques régiments encore solides qui se feront tuer sur place; mais des gens capables d’entreprises extraordinaires, nous n’en avons pas. Chevalier, si vous vouliez entrer au service du roi…

– Merci, dit Pardaillan, de la bonne opinion que vous avez de moi; si une cause pouvait me tenter en ce moment, certes la cause de Valois me plairait à soutenir, parce qu’elle est désespérée. Mais je veux rester libre.

– C’est votre dernier mot?…

Pardaillan s’inclina. Crillon demeura tout soucieux.

– Mais, reprit alors le chevalier, puisque tout le royaume est soulevé contre Valois, puisque avec ses faibles ressources il ne peut tenir tête à Mayenne, je sais bien ce que je ferais à sa place.

– Que feriez-vous? demanda vivement Crillon.

– Je chercherais des alliances. Henri de Béarn a une solide armée…

– Eh, pardieu! Valois ne le sait que trop, et ce n’est pas l’envie qui lui manque de crier au secours. Mais il a peur. Un refus du Béarnais serait une telle honte!… Chevalier, savez-vous que j’ai pensé à aller trouver moi-même le Béarnais? Mais s’il me refuse… le refus atteindra le roi, car je suis au roi!

– Eh bien, envoyez quelqu’un qui ne soit pas au roi, fit tranquillement Pardaillan.

– Oui, mais qui? La chose est délicate en diable, et si elle échoue, Je vois d’ici la panse de ce gros bouffi de Mayenne s’agiter de rire…

– J’irai, moi, si cela peut vous plaire. Vous m’avez rendu service en me faisant accorder l’hospitalité par Ruggieri; mon tour est venu.

– Oh! vous êtes en avance, et je vous dois plus que vous ne me devez, fit Crillon. Mais enfin, si vous consentiez…

– Je m’en charge, dit Pardaillan avec fermeté. Les propositions viendront du Béarnais à Valois…

– Mortbœuf! Si vous faisiez une chose pareille!… Le roi serait sauvé!…

– Vous croyez? fit Pardaillan avec un étrange sourire.

– Ainsi vous consentez? reprit Crillon qui tremblait d’émotion.

– J’y vais de ce pas. À une condition, pourtant: c’est que vous n’en parlerez pas au roi. Je me charge de mettre les deux Majestés en présence, voilà tout. Et après cela, qu’elles se débrouillent!

– Il suffit que Valois puisse voir Henri de Béarn sans avoir sollicité d’entrevue… Car du moment où le Béarnais acceptera de parler au roi, il est trop fin pour ne pas avoir résolu d’avance la fin de l’entrevue, c’est-à-dire son alliance apportée à nos armes. Chevalier, vous sauvez la monarchie si vous décidez le renard de Navarre… mais nous voici au camp royal. Vous ne voulez pas être présenté à Sa Majesté?…

– Non, mais je veux bien que vous m’invitiez à dîner, car je meurs de faim et de soif.

– Bon! fit le brave Crillon tout joyeux. Je vous promets bombance, mon digne compagnon.

Il y eut en effet bombance sous la tente de Crillon qui tint à l’honneur de faire au chevalier une réception aussi opulente que le permettait la vie du camp.

– Je vois, dit Pardaillan, que vous me traitez en ambassadeur de Sa Majesté. Mais qui eût dit à mon père qu’un jour son fils finirait dans la diplomatie! Enfin, tout est bon qui peut obliger un ami.

Et Crillon ne savait ce qu’il devait le plus admirer dans le chevalier: de son intrépidité à table au moins égale à son courage dans les passes d’armes, ou de la bonhomie avec laquelle il parlait de cette mission extraordinaire où dépendait le sort du roi et du royaume. Aussi, lorsque le lendemain matin, Pardaillan se mit en route pour gagner Saumur où le roi de Béarn était campé, Crillon entra dans la tente d’Henri III qu’il trouva tout triste et dolent, en train de se faire friser, car la toilette ne perdait jamais ses droits avec lui.

– Sire, dit le capitaine, si l’astrologue Ruggieri était avec nous, il annoncerait sans doute à Votre Majesté un grand événement qui va changer la face des choses. Je ne puis vous en dire plus long, sire, mais je puis bien, je crois, sans crainte de me tromper, affirmer au roi que sous deux jours, il sera aussi joyeux qu’il est triste maintenant.

Dans la même journée, Pardaillan atteignit le camp du Béarnais qui, n’ayant pu entrer dans Saumur, s’était avancé dans la direction de Tours, pour surveiller de plus près les événements. Comme il approchait du camp, il vit deux officiers subalternes à la tenue toute râpée et rapiécée qui, venant sans doute de pousser une reconnaissance, regagnaient leurs tentes au pas de leurs chevaux.

L’un d’eux, surtout, paraissait plus minable: il n’avait pas d’armure comme son compagnon; sa jaquette était trouée aux coudes; le pourpoint était usé aux épaules, sans doute par l’usage de la cuirasse; il portait un haut-de-chausses de velours feuille-morte, aussi usé que le reste du costume; seulement, deux détails apparaissaient dans cet ensemble et tranchaient sur le reste: ce cavalier portait, en effet, sur les épaules un grand manteau écarlate, et sur la tête, un chapeau gris à panache blanc.

L’autre cavalier portait sur la cuirasse une écharpe blanche, mais n’avait pas de panache à son casque.

Pardaillan s’était approché de ces deux officiers dans l’intention de leur demander le moyen de pénétrer dans le camp et de voir le roi de Béarn. Ils continuaient leur chemin sans faire attention à lui et causaient vivement entre eux avec cet accent pimenté qui ferait reconnaître un Gascon au milieu d’une armée. Cependant, on approchait du camp, on rencontrait de nombreux officiers ou soldats, et Pardaillan remarqua que ces gens saluaient le cavalier au panache blanc.