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Mais Fausta ne disait rien, elle!… Seulement, dès que Myrthis avait satisfait l’appétit glouton et impérieux du nouveau-né, elle le faisait déposer près d’elle sur l’oreiller, et, des heures entières, elle le regardait dormir d’un sommeil solide et robuste.

– Voyez, maîtresse, disait Myrthis en adoration, voyez, il a déjà des cheveux d’un beau noir… Oh! mais il ouvre les yeux!… il voit! Oh! il me mord le doigt!…

Fausta ne souriait pas, ne disait pas un mot. Pendant ces trois jours, elle ne dormit pas; elle demeura à contempler son fils, d’un regard étrange; pas une fois elle ne posa ses lèvres sur le front ou les mains du petit être, comme font toutes les mères.

Le soir du troisième jour, la même sinistre cérémonie qui s’était accomplie se reproduisit dans cette chambre. Les juges vinrent, accompagnés du bourreau, et annoncèrent à Fausta qu’elle était assez forte pour marcher au supplice le lendemain matin à l’aube. Seulement, ils ajoutèrent que l’enfant de la rebelle serait exposé, à moins que quelque âme charitable ne le revendiquât. Puis ils se retirèrent.

La nuit s’écoula sans que la condamnée cessât de fixer sur l’enfant un regard de mystère par lequel on eût dit qu’elle essayait de lui communiquer sa volonté. Six heures du matin sonnèrent à une horloge lointaine. Alors, Fausta appela Myrthis et lui ordonna de verser dans une coupe les six grains de poison. Myrthis obéit en pleurant… elle ne parlait plus de mourir elle-même, car elle comprenait qu’il fallait vivre pour l’enfant.

– Tu le prendras, dit en effet Fausta d’une voix aussi calme que lorsqu’elle parlait en souveraine, tu le prendras, tu l’élèveras, tu l’emporteras à Paris, je veux qu’il soit élevé à Paris et qu’il y vive. Puis, quand il sera homme, tu lui diras qui il est, et mon histoire et l’histoire de son père…

– Je jure de vous obéir, sanglota Myrthis.

Fausta fit signe de la tête que c’était bien, jeta un coup d’œil sur le verre de poison qui était sur une petite table à portée de sa main, et alors, pour la première fois, elle prit l’enfant dans ses bras. Plus ardemment, elle fixa son regard de flammes sur l’enfant qu’elle tenait dans ses mains, en le soulevant au bout de ses bras. L’enfant s’éveilla et ses yeux clignotant parurent regarder… et alors Fausta lui parla:

– Fils de Fausta… fils de Pardaillan… que seras-tu?… Te dresseras-tu un jour devant ton père?… Seras-tu le vengeur de ta mère?… Fils de Fausta et de Pardaillan, puisses-tu avoir le cœur cuirassé d’un triple airain! Puisse ton âme inaccessible ignorer à jamais la pitié, l’amour, les sentiments de faiblesse et d’esclavage! Puisses-tu passer dans la vie comme un brûlant météore que pousse la fatalité! Adieu, fils de Pardaillan! Ta mère en mourant te donne le baiser d’orgueil et de force par quoi elle espère que son âme passera dans ton être!… Fils de Pardaillan et Fausta, que seras-tu?…

En même temps, elle saisit la coupe de poison, la vida d’un trait, la rejeta, et, violemment, dans le spasme suprême de la mort, imprima son baiser comme une morsure indélébile sur le front de l’enfant…

Et elle retomba sur l’oreiller… elle était morte.

Que devait-il devenir, en effet, cet enfant, issu de deux êtres de force et de vie intense, aussi formidables l’un que l’autre, mais l’un, type de chevalerie, synthèse de générosité; l’autre, type d’ambition, synthèse d’orgueil? Oui, que devait figurer dans la vie, ce produit de deux figures si dissemblables,

LE FILS DE PARDAILLAN

l’enfant qui trouvait l’effroyable imprécation d’une Fausta au seuil de la vie, qui héritait peut-être de l’incalculable force de mal qui résidait dans l’esprit de Fausta, et en qui palpitait peut-être l’âme magnanime de Pardaillan?… Que devaient produire, au choc des passions, ces deux forces ennemies qui s’unissaient dans le même sang: l’intrépide, l’éclatante bonté du père… l’éclatante, l’intrépide malfaisance de la mère?…

C’est ce qu’un jour ou l’autre nous raconterons peut-être aux lecteurs amis qui ont bien voulu s’intéresser à l’histoire de Pardaillan et de Fausta.