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Quant aux quatre pénitents que nous avons signalés, ils causaient entre eux sans précautions; en effet, tels étaient les cris, les chants de guerre et les cantiques qu’il leur était difficile de s’entendre.

– Dis donc, Chalabre, disait l’un, as-tu entendu frère Ange?

– Par les cornes du beau duc, je crois bien, Sainte-Maline!

– J’ai envie de frotter un peu les côtes de messire Jésus! dit un troisième pénitent.

– Calme-toi, Montsery, reprit Chalabre, Joyeuse nous payera son discours plus cher qu’il ne pense!

– Messieurs, dit le quatrième, jouons bien notre rôle jusqu’à ce soir, et puis nous verrons.

– Es-tu bien rétabli, mon cher Loignes?… Ta blessure?

– Eh! le coup fut bien appliqué. Le cher duc n’y va pas de main morte quand il frappe. J’ai cru que j’étais mort. Et sans ce digne astrologue… n’importe! je veux que Guise reçoive de ma main le même coup qu’il m’a porté…

– Tu es ingrat, Loignes! dit Montsery. Comment serions-nous sortis de Paris s’il n’avait eu l’idée d’aller en procession voir notre sire?…

– Oui, fit sourdement Loignes. Il va à Chartres. Mais du diable s’il en revient!

– Il y va pour demander nos têtes au roi! ricana Chalabre.

– Et les offrir ensuite à Bussi-Leclerc et à Joyeuse! continua Sainte-Maline.

– Messieurs, dit Loignes, Joyeuse a crié tout à l’heure: «Mort aux Ordinaires!» Bussi-Leclerc a crié: «Mort aux Quarante-Cinq!»… Joyeuse est un misérable fou et ne vaut pas son coup de poignard. Quant à Leclerc, il n’arrivera pas à Chartres. Est-ce dit?…

– C’est dit! reprirent les trois autres.

Laissant les quatre spadassins – quatre des Ordinaires d’Henri III – à leurs projets de vengeance et de meurtre, nous laisserons s’éloigner la fantastique procession en marche sur Chartres et nous rejoindrons une litière fermée qui vient à quelques centaines de toises derrière la colonne.

Cette litière était entourée par une douzaine de cavaliers qui jetaient sur quiconque approchait un regard si menaçant que les plus curieux ou les plus audacieux s’écartaient à l’instant même. Dans cette litière se trouvaient deux femmes: Fausta et Marie de Montpensier.

– L’homme? demanda Fausta au moment où nous rejoignons la litière.

– Confondu dans la foule des pénitents, il chemine en silence, débattant sans doute avec lui-même comment il parviendra jusqu’à Hérodes.

– Vous êtes bien sûre que ce moine se trouve dans la procession? insistait Fausta.

– Je l’ai vu, répondit la duchesse, vu de mes yeux.

Fausta soupira et murmura:

– Pardaillan m’avait dit vrai. Jacques Clément, libre, marche à sa destinée. Allons! Valois est condamné. Rien ne peut le sauver maintenant…

– Que dites-vous, ma belle souveraine? Il me semble que vous avez prononcé un nom… celui du sire de Pardaillan…

– Oui! dit Fausta en regardant fixement la duchesse.

– C’est que ce nom, mon frère et ses gentilshommes le prononcent bien souvent depuis trois ou quatre jours…

– Eh bien! si vous voulez que votre frère ne prononce plus ce nom…

– Moi? Cela m’est égal, je vous jure!… fit Marie en riant.

Elle était très gaie, la jolie duchesse. Elle gazouillait, fredonnait, jouait avec ses ciseaux d’or et, somme toute, marchait à l’assassinat d’Henri III comme à une fête. En revanche, Fausta, dont le visage ne témoignait d’ordinaire d’aucune agitation, paraissait bien sombre.

– Oui, reprit-elle, cela vous est égal, à vous. Mais il est nécessaire que le duc de Guise ait l’esprit libre pour ce qui va être entrepris. Et pour qu’il ait l’esprit libre, il faut qu’il n’ait plus ce nom de Pardaillan sur les lèvres. Et pour qu’il ne le prononce plus…

– Eh bien? demanda Marie.

– Dites-lui, faites-lui savoir, dès que nous serons entrés dans Chartres, que Pardaillan est mort!… Et afin qu’il n’ait point de doute, dites-lui que c’est moi qui l’ai tué…

Ayant ainsi parlé, Fausta baissa la tête et ferma les yeux comme pour indiquer qu’elle voulait se renfermer dans ses pensées. Et ces pensées devaient être funèbres, car son visage, dans son immobilité, semblait refléter la mort…

Nos personnages sont donc ainsi disposés: en tête de ce long serpent de foule qui se déroule sur la route, un groupe de cavaliers: Guise, ses frères, ses gentilshommes. Près de lui, Maineville insoucieux et Maurevert inquiet, le regard sans cesse en alarme. Quant à Bussi-Leclerc, il s’intéresse à la procession, sans doute, car il en parcourt les rangs, et on le voit tantôt sur un point, tantôt sur un autre.

Puis, derrière cette bande de seigneurs, à une certaine distance, commence la procession, la théorie des moines et des prêtres escortés de ligueurs, flanqués de mendiants.

Puis viennent les apôtres et Joyeuse qui continue à crier que les huguenots le meurtrissent. Puis, presque sur les talons de Jésus, marchent Loignes, Sainte-Maline, Chalabre et Montsery, déguisés en pénitents.

Puis, presque à la queue de la colonne, un moine marche seul, le capuchon sur la figure, et ses mains croisées serrent avec ferveur contre sa poitrine une dague solide: c’est Jacques Clément.

Enfin, très en arrière, c’était la litière de Fausta.

De ce peuple en marche montait une sourde rumeur composée de prières, de cris, d’éclats de rire, de chants bachiques et de cantiques religieux. Et cette rumeur attirait les gens des hameaux et des villages. De toutes parts, les manants accouraient pour voir ce spectacle extraordinaire.

Nous ne suivrons pas la procession sur tout le chemin qu’elle parcourut dans ces quatre journées de marche; disons seulement que le quatrième jour, vers onze heures du matin, elle apparut devant la porte Guillaume après avoir contourné une partie des murailles de Chartres. Mais avant de l’y rejoindre, signalons un événement qui se passa la veille.

Le troisième jour, la procession se reposa dans le village de Latrape l’un des gîtes d’étape organisés par le sieur Crucé, promu au rang de maréchal des logis de cet exode. Les pénitents y étaient arrivés vers quatre heures, et aussitôt s’étaient mis à table, c’est-à-dire qu’ils avaient envahi une immense prairie où ils s’étaient assis dans l’herbe.

Naturellement, Guise et sa suite avaient pris leurs logis dans les meilleures maisons du village.

Dans la prairie, les gens de Latrape allaient et venaient, empressés à faire bon accueil aux pénitents. Ces braves gens avaient fait cuire d’innombrables fournées de pain, avaient mis en perce une trentaine de tonneaux de cidre ou de vin, et avaient allumé de grands feux dans la prairie. Devant ces feux rôtissaient des moutons entiers, des quartiers de bœuf suspendus à des cordes, des cochons qui, accrochés à des perches en faisceau, tournoyaient lentement au-dessus des flammes, et enfin un régiment de dindons et de poules.

Après cette énorme ripaille que nous regrettons de n’avoir pas le temps de décrire, chacun s’enveloppa de son manteau et chercha un coin pour dormir. La nuit était venue en effet, et c’était à la lueur des torches qu’on avait vidé les derniers brocs, poussé les derniers cris de: «Mort aux huguenots! À bas d’Épernon! Sus aux Ordinaires d’Hérode…» Puis les dernières torches s’éteignirent. Dix heures sonnèrent au petit clocher du village.