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À ce moment, dans l’avant-dernière maison en allant vers Chartres, deux hommes dormaient côte à côte, étendus sur des bottes de paille de la grange.

Ou du moins, si l’un de ces deux hommes, en proie à quelque insomnie, soupirait et se retournait sur la paille, l’autre dormait pour deux, et comme on dit, à poings fermés…

Dans cette même maison, non plus dans la grange ni sur la paille, mais dans une chambre assez convenable du rez-de-chaussée et sur un bon lit, dormait un autre personnage. Celui-ci ronflait à rendre des points au roi Henri de Navarre qui, comme chacun sait, était le plus terrible ronfleur de son époque. Et qui se fût approché de cet enragé dormeur, pour qui le sommeil était une façon de musique à outrance, eût reconnu l’un des plus fidèles, des plus solides et des plus brillants gentilshommes du duc de Guise, c’est-à-dire messire de Bussi-Leclerc en personne.

Comme dix heures venaient de tinter lentement au clocher, quatre hommes s’approchèrent de la maison que nous venons de signaler: c’étaient les quatre fidèles d’Henri III qui, profitant de la procession pour rejoindre le roi sans danger d’arrestation, avaient jusque-là voyagé avec elle. C’étaient Montsery, Sainte-Maline, Chalabre et Loignes qui guettaient depuis le premier jour l’occasion d’exercer leurs talents de spadassins sur la poitrine du sire de Bussi-Leclerc. Et comme Bussi-Leclerc était considéré à bon droit comme la première lame du royaume, il leur semblait qu’ils n’étaient pas trop de quatre pour mener à bonne fin leur entreprise, maintenant que l’occasion attendue semblait enfin se présenter.

Ainsi que nous l’avons dit, la maison où Bussi-Leclerc avait trouvé un gîte était l’avant-dernière, sur la grand-route. Elle était assez éloignée du reste du village pour qu’on ne pût entendre le bruit d’une lutte, si lutte il y avait. Les quatre spadassins marchèrent résolument à la maison.

– Tu es sûr que c’est là? demanda Sainte-Maline.

– Je ne l’ai pas perdu de vue, répondit Chalabre. Sûrement, nous allons trouver le sanglier dans sa bauge.

Ils s’arrêtèrent devant la chaumière et tinrent conseil à voix basse.

– Comment allons-nous procéder? demanda Montsery.

– Moi, je veux me battre avec lui, dit Sainte-Maline. Je m’en charge.

– Et s’il te tue?

– Vous me vengerez…

– C’est cela! firent Chalabre et Montsery, bataille!…

– Messieurs, dit Loignes, je crois que vous perdez la tête. Il s’agit bien de duel et de combat! Il s’agit bien de faire ici les mignons! Parce que ce maroufle vous a injuriés de son mieux, quand il vous tenait à la Bastille, vous voulez, par-dessus le marché, qu’il nous étripe l’un après l’autre…

Loignes était le plus âgé des quatre; c’était un homme sérieux et positif, exerçant en conscience son métier d’assassin royal; on l’eût bien surpris en lui parlant de pitié ou de loyauté; la ruse la mieux ourdie, le coup de poignard le plus sûr, voilà les garanties morales qu’il prisait par-dessus tout.

Les trois autres, tout jeunes, comme nous avons dit, avaient encore quelques préjugés. Certes, ils pouvaient se vanter déjà de plus d’un coup de dague doucement administré à quelque détour de ruelle, dans le dos de quelque ennemi de Sa Majesté, mais ils n’étaient pas au degré de perfection atteint par le comte de Loignes. Devant les sages observations de leur aîné – leur maître en guet-apens – ils baissèrent donc la tête.

– Que faut-il faire? demandèrent-ils.

– C’est bien simple. Nous allons l’appeler comme si son duc le mandait à l’instant. Nous aurons nos dagues à la main. Et quand il sortira, nous le larderons proprement jusqu’à ce qu’il rende sa belle âme au diable.

Il faut rendre cette justice aux trois jeunes écervelés qu’ils se rallièrent instantanément à ce plan si limpide.

– Par où entre-t-on? reprit le comte de Loignes.

– Il faut faire le tour, dit Chalabre qui toute la journée avait guetté pas à pas Bussi-Leclerc. Suivez-moi, messieurs!

Chalabre enfila aussitôt un sentier, et à vingt pas de la route sauta lestement par-dessus une porte à claire-voie. Les autres le suivirent. Ils se trouvaient alors dans une cour dont le sol disparaissait sous le fumier. Derrière eux, ils avaient une grange où, sur la paille, dormaient les deux inconnus que nous avons signalés tout à l’heure. Sur leur droite, au fond, c’étaient des étables et un poulailler. Devant eux, la maison, ou plutôt la chaumière, divisée en deux parties: à droite, le logis assez vaste des maîtres de céans, et à gauche une chambre isolée, avec sa porte particulière; c’était là, dans cette pièce qui était comme la salle d’honneur de cette pauvre maison de paysans, c’était là, donc, que de tout son cœur dormait Bussi-Leclerc. Chalabre désigna la porte du doigt.

– Il est bien capable de se sauver par la fenêtre! gronda Loignes.

– Il n’y a pas de fenêtre, dit Chalabre.

C’était vrai. Les fenêtres étaient alors un luxe. Dans la plupart des chaumières, la porte, divisée en deux parties, servait à éclairer et aérer les pièces enfumées; il n’y avait pour cela qu’à laisser ouverte la partie supérieure.

– Admirable! dit Loignes. Attention!

Tous les quatre dégainèrent leurs dagues; Sainte-Maline et Montsery se placèrent à gauche de la porte, le long du mur, prêts à bondir sur Bussi-Leclerc dès qu’il apparaîtrait. Chalabre se plaça à droite. Puis Loignes, ayant jeté un coup d’œil satisfait sur ce dispositif d’attaque, heurta rudement à la porte du pommeau de son épée. La lune, bien qu’en son dernier quartier, éclairait suffisamment ce tableau.

– Holà! holà! messire de Bussi-Leclerc! vociféra le comte de Loignes.

– Qui va là? dit une voix de l’intérieur.

– Vite! éveillez-vous et courez à monseigneur qui vous mande à l’instant!

– Au diable monseigneur! grommela Bussi-Leclerc. Attendez-moi, monsieur, je m’habille…

– Non, non! Je cours réveiller M. de Maineville que le duc mande également. Hâtez-vous donc!…

Là-dessus, Loignes s’effaça contre le mur, près de Chalabre. Leclerc, habitué à ces alertes continuelles, ne pouvait avoir aucune défiance. Les quatre, ramassés sur eux-mêmes, la dague à la main, attendaient. Tout à coup, ils entendirent le bruit que faisait Bussi-Leclerc en commençant à ouvrir la porte.

– Bonsoir, messieurs! dit à ce moment une voix très calme et sans nulle raillerie apparente. Il paraît que vous voulez meurtrir ce bon M. de Bussi-Leclerc, gouverneur de la Bastille?…

– Ouais! gronda Leclerc, qui à l’intérieur s’arrêta d’ouvrir, que veut dire cela?

– Trahison! Trahison! hurla le comte de Loignes.

– À mort! crièrent les trois autres en s’élançant le poignard levé sur l’homme qui venait de parler, et qui sortant de la grange, s’avança en saluant poliment et répétait:

– Bonsoir monsieur de Chalabre; bonsoir, monsieur de Sainte-Maline; bonsoir, monsieur de Montsery.

Les poignards levés s’abaissèrent; les trois jeunes gens s’arrêtèrent, reculèrent et saluèrent très bas. Un rayon de lune se jouait sur le fin visage audacieux et paisible de celui qui venait d’intervenir, et ce visage, ils venaient de le reconnaître…