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– Bussi-Leclerc a peur! cria Pardaillan à haute voix.

Par le pied fourchu du démon! Par le sang du Christ! Par le ventre de ma mère!…

– Tu me fais pitié, à t’entendre pleurer et trembler de peur…

Truand de sac et de corde! Si Maurevert te mange le cœur, je te mangerai le foie!…

Bussi-Leclerc se mit à frapper la porte à coups de dague. Pardaillan haussa les épaules, et dans la cour, sur le fumier, à la clarté de la lune, il vit les gens de la chaumière qui, réveillés par le bruit, étaient sortis et, livides d’effroi, assistaient à cette fantastique conversation. Au mouvement que fit Pardaillan, ces gens reculèrent jusqu’à l’étable. Sans s’inquiéter d’eux, sans les voir peut-être, le chevalier se dirigea vers la grange et à l’entrée, trouva son compagnon qui, l’épée à la main, attendait les événements.

– Oh! murmurait le jeune duc d’Angoulême, c’est affreux.

– Quoi donc?…

– Les menaces de cet homme.

– Oui, c’est assez hideux. Partons, monseigneur; l’air de ce village est malsain pour nous maintenant. Et quant à Maurevert, nous le retrouverons sûrement à Chartres.

Les deux hommes s’enveloppèrent de leur manteau et, d’un pas rapide, prirent la route de Chartres. Bussi-Leclerc continuait à sacrer et à faire derrière sa porte un vacarme extraordinaire. Au bout de dix minutes, les paysans s’approchèrent de la porte, et le maître du logis, ôtant son bonnet, cria:

– N’ayez plus peur, monseigneur, il est parti!

– Par l’enfer! vociféra Leclerc en entrouvrant la porte, qui a dit que j’ai peur?… Est-ce toi, manant?… Veux-tu que je te fasse pendre à cette branche pour t’apprendre qu’un gentilhomme n’a jamais peur?

Les manants tremblèrent et se mirent à balbutier force excuses, car la menace n’était pas vaine; alors, Bussi-Leclerc, la dague et l’épée aux poings, sortit et grogna:

– Où est-il?

Le paysan voulut rentrer en grâce et répondit:

– Je ne sais par où il a pris, monseigneur; mais le fait est qu’il a fui, et il doit être loin.

Leclerc rengaina ses armes et grommela:

– Il n’a pas plus fui que je n’ai eu peur…

Bussi-Leclerc ne mentait pas: il n’avait pas eu peur… peur d’être blessé ou tué. C’était un de ces rudes batailleurs pour qui le mot «mort» était vide de sens… mais il avait eu peur d’une nouvelle défaite. Son amour-propre saignait. Et l’effroyable explication qu’il avait donnée à Pardaillan était exacte: Guise, Maurevert, Maineville et Leclerc avaient résolu de s’unir pour terrasser Pardaillan et de ne rien tenter l’un sans l’autre.

Bussi-Leclerc sortit donc en toute hâte de la chaumière, et par un chemin de traverse que lui indiquèrent ses hôtes, gagna la place de l’Église, au coin de laquelle se dressait un grand calvaire. Autour de ce calvaire, quelques tentes avaient été dressées, et le duc de Guise dormait dans l’une d’elles sur un lit de camp, tandis que Maurevert et un autre officier dormaient sur des bottes de paille. Quant à Maineville, il avait, comme Bussi, cherché gîte dans le village.

Leclerc envoya chercher Maineville qui, une demi-heure plus tard, arriva en pestant fort contre l’interruption de son sommeil. Alors, il fit également réveiller le duc, et, ayant eu la permission d’entrer dans la tente, les quatre se trouvèrent réunis. Et Bussi-Leclerc fit le récit de ce qui venait de se passer. Guise proféra une imprécation de rage; Maineville sortit sa dague et en tâta la pointe; Maurevert prononça ces étranges paroles:

– Puisqu’il en est ainsi, monseigneur, le voyage à Chartres est inutile: nous ferions mieux de retourner à Paris.

– Pourquoi? s’écrièrent Maineville et Bussi-Leclerc.

– Parce que, dit sourdement Maurevert, si Pardaillan est dans la procession, la procession est maudite! Parce que ce n’est pas Henri III qui sera tué, mais nous!

Et ces quatre hommes également braves, dont l’un était tout puissant, passèrent le reste de la nuit à discuter comment ils se débarrasseraient de l’aventurier. Guise, sombre et pensif, écoutait sans rien dire ses trois fidèles conseillers. Mais comme le jour se levait, il donna l’ordre de se mettre en route.

– Pour Paris? demanda Maurevert.

– Pour Chartres! répondit le duc.

– Pardieu! firent Bussi et Maineville. C’est tout simple!

Maurevert haussa les épaules et s’assura que sa cotte de mailles était solidement bouclée.

La procession se mit en marche, dans le même ordre que nous avons dit, avec les mêmes chants et les mêmes cris; tout ce monde s’engouffra par la porte Guillaume dans la bonne ville de Chartres et se dirigea vers la cathédrale.

Ce qu’on appelle aujourd’hui la ville haute n’existait pour ainsi dire pas à cette époque. En revanche, la ville basse a gardé à peu près l’aspect qu’elle avait alors, avec ses ruelles tortueuses, ses maisons à pignons gothiques, chargées de sculptures en bois, hérissées de tourelles.

Une fois la porte franchie, la tête de la procession se trouva en présence d’une nombreuse troupe armée. Guise reconnut Crillon à cheval, qui venait à sa rencontre.

– Monseigneur, dit Crillon, Sa Majesté m’a fait l’honneur de me charger de vous venir souhaiter la bienvenue, ainsi qu’aux fidèles sujets qui vous escortent.

Un grand silence s’établit. Guise jeta un sombre regard sur les ruelles avoisinantes qui regorgeaient d’hommes d’armes. Crillon reprit:

– Sa Majesté, pour vous faire honneur, voulait absolument que je vinsse à votre rencontre avec huit mille arquebusiers et les trois mille cavaliers que nous avons assemblés autour de Chartres. Mais j’ai fait observer à Sa Majesté que deux ou trois mille hommes suffisaient pour escorter une procession…

– Vous avez bien fait, messire. Où et quand pourrai-je voir le roi avec les échevins de Paris?

– Le roi est en ce moment à la cathédrale.

– Allons donc à la cathédrale! dit Guise.

– Monseigneur, je vous montre le chemin. Il serait inutile que ces dignes pénitents essayassent d’en trouver un autre que celui par où je vais avoir l’honneur de vous conduire. En effet, toutes les rues sont pleines de nos gens d’armes qu’a attirés une légitime curiosité, sans compter les bourgeois de cette bonne ville qui attendent le roi pour l’acclamer…

– Allez, messire! dit Guise. Nous sommes venus en fidèles sujets, et nous joindrons nos acclamations à celles de la ville.

Et levant sa toque empanachée et ornée d’un triple rang de perles, Guise, d’une voix forte, cria:

– Vive le roi!

Mais derrière lui, une immense acclamation répondit:

– Vive Henri le Saint!…

C’était la procession qui donnait ainsi son avis, si bien que Crillon se demanda un instant s’il ne ferait pas mieux de fermer les portes et de laisser hors des murs les trois quarts des pénitents qui attendaient. Mais Crillon, brave amoureux du danger, se dit qu’il serait ridicule d’avoir l’air de redouter des porteurs de cierges. Ordonnant donc à ses hommes, d’un coup d’œil, de surveiller étroitement les arrivants, il se dirigea vers la cathédrale. Guise suivait avec ses gentilshommes. Derrière ce groupe venait la procession des Parisiens que les gens de la ville, du haut de leurs fenêtres, examinaient curieusement, et non sans une certaine sympathie.