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– Ainsi, vous voulez tuer le roi de France!

– C’est un secret entre moi, Dieu et deux de ses anges, dit Jacques Clément. Nul homme ne connaît ce secret. Mais plutôt que d’avoir pour vous l’ombre d’une défiance, je consentirais à mourir sans vengeance. Oui, chevalier, demain je tuerai le roi de France!… Demain, vous aussi serez vengé du mal que Catherine vous a fait! Demain, vous aussi, duc d’Angoulême, fils de Charles IX, serez vengé du mal que Catherine et Henri ont fait à votre père!… Priez donc pour moi, car toute prière pour le roi de France est désormais inutile…

Le moine demeura quelques instants pensif. Puis, comme il faisait un mouvement pour se retirer:

– Puisque vous avez tant fait que de nous confier ce secret, dit Pardaillan, achevez de nous instruire en nous disant comment vous comptez procéder…

– – Soit! fit le moine après avoir réfléchi. Je ne vois pas pourquoi je vous cacherais ces détails, à vous. Et puis cela vous permettra de suivre jusqu’au bout et de bien voir; notre vengeance fait corps… Demain, donc, à neuf heures du matin, Valois recevra le duc de Guise en audience à l’hôtel de ville. Après l’audience, il doit se rendre à la cathédrale. Je sais que le roi sera prévenu qu’un confesseur doit s’approcher de lui pour lui remettre indulgence plénière de ses fautes. Ce confesseur viendra se mettre à ses côtés au moment où il entrera dans la cathédrale. Ce confesseur, ce sera moi!…

Charles d’Angoulême frémit et demanda d’une voix rauque:

– Mais vous suivrez donc le roi pendant la procession?…

– Non, répondit le moine: je l’attendrai à la porte de la cathédrale. Alors seulement je m’approcherai de lui, et quand il s’agenouillera… regardez bien alors… Valois s’agenouillera pour ne plus se relever.

Jacques Clément baissa la tête comme si le poids de sa pensée eût été trop lourde. Puis, d’une voix sourde, il répéta:

– Adieu, priez pour moi!…

Et se dirigea vers la porte. Charles se leva vivement pour s’élancer entre cette porte et le moine. Mais Pardaillan le retint de la main, et, au moment où le moine ouvrait déjà la porte:

– Jacques Clément, dit-il, j’ai un service à vous demander!…

Le moine s’arrêta court, tressaillit, revint rapidement sur ses pas et, rayonnant d’une joie qui le faisait trembler, s’écria:

– – Aurais-je vraiment cet insigne bonheur de pouvoir être utile avant de mourir! Cette joie m’était-elle réservée de pouvoir, en mon dernier jour, acquitter un peu ma mère et moi?… Parlez, chevalier… Vous avez parlé d’un service…

– Un grand, dit Pardaillan avec une simplicité qui avait on ne sait quoi de solennel; voici: j’ai besoin qu’Henri III vive encore quelque temps… je vous demande la vie d’Henri de Valois, roi de France…

Jacques Clément devint livide. Il fut saisi d’un tremblement convulsif, et s’assit sur l’escabeau où tout à l’heure il avait pris place.

– Vous avez besoin que Valois vive encore? balbutia-t-il.

– Oui. Ma vie est liée à la vie de ce roi que vous voulez tuer. Et puisque Dieu, dites-vous, a voulu notre rencontre cette nuit, puisque c’est au fils d’Alice de Lux que je parle, je vous dis: «Clément… je te demande de me laisser vivre en laissant vivre Valois, roi de France!…»

– Que maudite soit l’heure présente! haleta le moine.

– J’attends la réponse du fils d’Alice, dit Pardaillan avec une majesté qui fit trembler le duc d’Angoulême.

– Que maudite soit la minute où je t’ai rencontré! râla Jacques Clément.

Il grelottait. Ses dents claquaient. Il fixait sur Pardaillan des yeux hagards… Et si Pardaillan eût pu entendre la pensée de ce moine, voici ce qu’il eût entendu:

«La vie du roi! Il me demande cela!… Mais alors… l’ange… l’ange d’amour… Mais elle va savoir! Elle m’attend à minuit!… À minuit, j’aurai ma récompense terrestre de son amour!… Et Pardaillan me demande de renoncer à cela… à l’amour de Marie!…»

Comme Jacques Clément rugissait en lui-même ces choses, minuit sonna lentement dans le grand silence de la ville endormie… Au premier coup, le moine se releva, frissonnant de fièvre. Au sixième coup, il joignit les mains et murmura:

– Grâce, Pardaillan!…

Pardaillan assistait avec un prodigieux étonnement à ce drame qu’il ne pouvait comprendre. Pourquoi Jacques Clément lui demandait-il grâce? Que se passait-il dans les ténèbres de cette âme?… Le douzième coup de minuit sonna.

Puis il y eut un long silence. Puis le moine se laissa tomber à genoux, baissa la tête. Puis, cette tête, il la redressa vers Pardaillan… elle était sublime d’angoisse, d’orgueil et de sacrifice. Et dans un souffle, il murmura:

– Le roi de France vivra!… Ô ma mère, c’est pour le chevalier de Pardaillan!…

Il tomba à la renverse et s’évanouit.

Je crois, dit Pardaillan, que ce moine vient de faire un acte héroïque…

Et tous les deux s’empressèrent de soigner Jacques Clément qui, au bout de quelques minutes, rouvrit les yeux, se releva et s’assit.

Si une expression de visage humain peut représenter le désespoir, la figure du moine avait cette expression-là à ce moment.

III HENRI III (suite)

Le lendemain matin, le roi Henri III se réveilla de bonne heure dans la chambre qu’il occupait en l’hôtel de M. Cheverni, gouverneur de la Beauce. Il devait se rendre à neuf heures à l’hôtel de ville pour y recevoir, selon sa promesse, le duc de Guise et les députés de Paris.

M. de Cheverni, l’un des rares gouverneurs qui fussent demeurés fidèles à la fortune chancelante de Valois, avait cédé son hôtel à Sa Majesté, se logeant lui-même et les siens dans une simple maison bourgeoise. Il avait transformé son hôtel en une sorte de palais royal, qui avait pris tout à fait l’apparence d’un petit Louvre lorsque Crillon avait réussi à réunir six ou sept mille hommes d’armes qui constituaient maintenant toute l’armée de ce roi presque déchu.

Henri était parti de Paris en pleurant, et la mort dans l’âme. Mais lorsqu’il eut trouvé dans l’hôtel de ville de Chartres une députation de bourgeois venus pour le saluer, lorsqu’il eut vu l’installation que lui avait rapidement aménagée Cheverni, lorsqu’il eut enfin passé en revue les vieux et solides reîtres de Crillon, il commença à se dire que le métier de roi en exil ne serait peut-être pas trop déplaisant.

Puis bientôt cette bonne impression s’était effacée à son tour. Le Louvre et ses fêtes perpétuelles lui manquaient. Il avait beau se distraire en procession, les mascarades lui faisaient défaut. Henri III menait donc à Chartres une existence des plus tristes et des plus monotones.

Plus d’une fois la pensée lui vint de s’en retourner à Paris, de rentrer dans son Louvre et de dire aux Parisiens:

– – Me voilà… tâchons de nous entendre!

Car il ne manquait nullement de courage. Mais ses intimes, comme Villequier, d’Épernon et d’O, ne manquaient pas de lui faire observer que la reine-mère était restée à Paris pour arranger la situation, et que le roi gâterait tout par un retour précipité.

Il ne manquait pas non plus de finesse, et savait à l’occasion se moquer agréablement de ses ennemis: il l’avait prouvé en maintes circonstances, et une fois de plus, la veille, devant la cathédrale.