– Sire, dit-il, je m’en irai, non pas quand il me plaira ni quand il plaira aux bourgeois de Paris, mais quand Votre Majesté, pour prix de mes services et du sang versé pour elle, m’en donnera l’ordre. En attendant, je reste!
Et il rendit au duc de Guise regard pour regard. Et ces deux regards mortels se croisèrent avec un flamboiement d’acier.
– Continuez, monsieur de Maineville, dit le roi.
– Lesdits cardinaux, princes, seigneurs et députés supplient Votre Majesté:
«Deuxièmement, de marcher de votre personne contre les hérétiques de Guyenne et d’envoyer M. le duc de Mayenne contre ceux du Dauphiné; Sa Majesté la reine-mère tiendrait Paris en repos pendant l’absence du roi.
«Troisièmement, d’ôter au sieur d’O tout gouvernement ou commandement dans la ville de Paris.
«Quatrièmement, d’approuver les élections des nouveaux échevins et prévôts qui ont été faites tant à Paris qu’en diverses villes.
«Cinquièmement, de rentrer en votre dite ville de Paris, et de tenir tous gens de guerre éloignés de la capitale d’au moins douze lieues.»
Maineville se tut: son rôle était terminé.
Les députés, les gentilshommes du roi et jusqu’aux soldats de garde attendaient avec un frémissement d’impatience la réponse d’Henri III. De cette réponse, en effet, devait sortir la paix ou la guerre civile. Quant à Guise, il semblait indifférent. Il l’était en effet: pour lui, toute cette scène était simplement destinée à en préparer une autre. Et tandis que chacun le croyait absorbé dans l’attente, lui disait:
«Maintenant le moine se prépare… Dans une heure, le roi sera mort!…»
Tout à coup le roi se redressa dans son fauteuil et jeta sur cette assemblée ce coup d’œil froid et vitreux qu’il tenait de sa mère:
– Monsieur de Maineville, dit-il lentement d’une voix claire, et vous, messieurs les bourgeois de Paris, et vous, mon cousin de Guise, écoutez-moi. Ce qui vient de nous être exposé ne touche pas seulement aux divisions qui ont si malheureusement éclaté entre nous et notre bonne ville de Paris. Puisque ce sont les cardinaux, les princes, seigneurs et députés des villes catholiques qui me parlent, c’est tout le royaume qui fait entendre sa voix. En ce cas, il ne sied pas que je réponde ici: c’est devant tout le royaume que le roi doit sa franche réponse…
Ici Henri III prit un temps, comme pour mieux porter à Guise le coup qu’avait préparé Catherine:
– C’est en présence des députés des trois ordres que nous devons parler, reprit le roi d’une voix plus forte.
Un frémissement de joie parcourut les bourgeois.
– Messieurs, veuillez donc porter, en attendant, cette réponse, la seule qui soit digne de nous et de notre peuple; le roi assemblera les états généraux…
Un tonnerre d’applaudissements éclata, roula dans la salle et se propagea au dehors, où la nouvelle se répandit avec une foudroyante rapidité: le roi consent à réunir les états généraux!… Guise avait légèrement souri. D’Épernon s’était incliné en signe d’admiration.
– Les états généraux, continua le roi, auront lieu dans notre ville de Blois, et nous en fixons l’ouverture au quinzième de septembre.
– Vive le roi! répétèrent les députés avec un sincère enthousiasme.
Et dans la ville, bourgeois de Chartres et pénitents de Paris reprenaient ce cri, avec une sorte d’orgueiclass="underline" la convocation des états généraux, c’était en effet une victoire qu’on n’eût osé espérer; c’était la monarchie discutant directement avec la noblesse, le clergé, le peuple, les intérêts du royaume…
Henri III, sur les conseils de sa mère, s’étant avisé de proclamer la convocation des états généraux, changea la tempête en bonace; la discussion se trouva arrêtée net, la séance fut levée, tout fut renvoyé aux états généraux, et le roi se prépara à se rendre en procession à la cathédrale.
Dans la rue, les bourgeois de Chartres se rangèrent, des cierges à la main; les moines et pénitents venus de Paris se formèrent en rangs. Mais les ligueurs qui étaient venus armés n’étaient pas là. Où étaient-ils? Bientôt on vit apparaître Henri III, qui ayant quitté son pourpoint de soie, son mantelet de satin, sa toque ornée de diamants, s’avançait nu-tête, pieds nus et revêtu d’une longue chemise de toile grossière. Il portait le chapelet autour du cou et tenait un grand cierge à la main. Il n’était Pas entouré de gens d’armes, ni de gentilshommes, mais il marchait seul dans un vaste espace vide; à quelques pas derrière lui, venaient deux moines soigneusement encapuchonnés.
Hors des murs, Mayenne et le cardinal de Guise attendaient. Ils avaient réuni là trois ou quatre cents ligueurs bien armés. Dans une plaine, l’armée de Crillon était au repos, et Mayenne à cheval essayait de dénombrer ces soldats en comptant les tentes.
Le duc de Guise arriva au moment où toutes les cloches de la ville se mettaient à carillonner, c’est-à-dire au moment où la procession se mettait en marche. Le cardinal l’interrogea du regard.
– Eh bien, fit le duc en haussant les épaules, il convoque les états généraux pour le 15 de septembre, à Blois.
Oh! oh! dit le cardinal, voilà qui pourrait bien sauver Valois si…
– Si sa destinée ne devait s’accomplir aujourd’hui même, dans quelques minutes, dit Guise froidement.
– Comment saurons-nous la chose? reprit le cardinal en palpitant, tandis que Mayenne roulait de gros yeux vers le camp de Crillon…
– La grosse cloche sonnera douze coups… Six coups voudront dire que le coup est manqué… mais il ne peut manquer!…
Et Guise ne put s’empêcher de frissonner à la pensée qui l’agitait.
– Je l’ai vu, reprit-il d’une voix basse, je l’ai vu se mettre en route. Il ne prend nulle précaution. Il est vêtu d’un sac. Derrière lui se trouve notre sœur Marie, et près d’elle, marche l’intrépide Fausta… Elles sont habillées en capucins. Elles seront là pour soutenir le courage du moine si par hasard il tremblait à la dernière minute… Je vous le dis, Henri de Valois va mourir!…
– Et Crillon? demanda Mayenne en étendant le bras vers les troupes royales.
– Crillon! Il est dévoué jusqu’à la mort, mais il ne saurait l’être au-delà de la mort! Lorsque Valois sera tombé, que voulez-vous qu’il fasse? À qui obéira-t-il? C’est lui-même qui viendra me donner assurance de fidélité… et me présentera à ses troupes… Fausta a tout prévu… Attendons!
– Attendons! fit Mayenne paisiblement.
– Oh! s’écria à ce moment le cardinal, voici les cloches qui se taisent… le roi est à la cathédrale… c’est la minute tragique…
Et tout trois, penchés sur l’encolure de leurs chevaux, écoutèrent ce grand silence frissonnant qui venait de la ville. Une indicible angoisse les étreignait.
Quelques minutes se passèrent… Les trois frères se regardaient… La grosse cloche de la cathédrale se taisait…
– Approchons-nous du camp royal, dit Guise pour échapper à cette impression de terrible attente qui lui serrait la gorge…
À ce moment, dans le silence de la campagne, une sorte de mugissement aux larges et profondes sonorités s’épandit dans les airs… c’était le premier coup de la grosse cloche de la cathédrale!… Les trois frères demeurèrent pétrifiés. Le duc de Guise eut ce même tressaillement funèbre, violent, remuant l’être jusqu’au plus profond des entrailles, ce tressaillement qu’il avait eu jadis, dans la nuit formidable, lorsque la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois avait donné le signal de la grande extermination.