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– Un! murmura le cardinal en tourmentant le manche de sa dague.

– Deux! fit Mayenne dont les yeux s’exorbitaient.

– Trois!… quatre!… cinq!… comptait le cardinal, livide.

– Six! grommela le duc de Guise. Attention!…

Et alors une espèce de gémissement râla dans sa gorge; le cardinal baissa la tête, Mayenne grommela entre les dents un furieux juron… Et tous les trois se regardant encore, virent qu’ils avaient des visages convulsés de criminels qui ont peur!…

Le septième coup ne sonnait pas!… La grosse cloche se taisait!… Le sourd mugissement du sixième et dernier coup haletait dans l’espace en s’affaiblissant de plus en plus, et bientôt il n’y eut plus dans la plaine qu’un lourd silence d’été…

Henri III n’était pas mort!… Le moine n’avait pas frappé!…

Pendant près d’une demi-heure encore, les Guises attendirent, muets, terribles, immobiles et livides. Enfin, le cardinal éclata d’un rire étrange et dit:

– Allons-nous-en. C’est fini!…

– C’est à recommencer! gronda Mayenne.

Le duc de Guise se tourna vers la ville de Chartres et tendit son poing comme Henri III s’était tourné vers Paris, comme il avait tendu le poing à Paris!…

– À recommencer! bégaya-t-il d’une voix étranglée par la fureur. Oui! à recommencer!… Par le sang de mon père! Valois, tu nous as donné rendez-vous à Blois!… Eh bien! nous irons! Prends garde! Car cette fois, ce n’est pas à la main d’un fou, d’un lâche moine que je confierai le poignard!

Il baissa la tête, et demeura pensif quelques minutes. Puis les veines de ses tempes se dégonflèrent; ses yeux striés de fibrilles sanglantes reprirent leur éclat normal; le souffle rauque qui soulevait sa poitrine s’apaisa.

– Mes frères, dit-il alors, c’est un immense malheur qui nous frappe…

– D’autant que la situation va changer, puisque Valois promet les états généraux! dit le cardinal.

– Oui, et nous avons besoin de nous recueillir, d’examiner cette situation avec le courage et la froideur de gens dont la tête ne tient plus que par un miracle sur les épaules.

– Bah! fit Mayenne, Paris sera toujours à nous!…

– C’est vrai! Allez donc m’attendre au village de Latrape où mes gentilshommes doivent me rejoindre. Là nous saurons ce qui s’est passé, et nous pourrons alors parler de l’avenir avec plus de certitude.

Le cardinal et Mayenne firent un geste d’assentiment et, piquant leurs chevaux, s’éloignèrent sur la route de Paris.

Guise s’avança sur les ligueurs, essayant de donner à son visage l’expression d’un triomphe qui était bien loin de sa pensée.

– Mes bons amis, dit-il, nous venons de décider Sa Majesté à un acte qui est plus qu’une grande victoire pour Paris: le roi promet d’assembler les états généraux…

– Vive le grand Henri!… hurlèrent les ligueurs.

– Vive le roi! reprit le duc avec une rage concentrée. Sa Majesté témoigne une bonne volonté pour laquelle nous lui devons toute notre reconnaissance. En une semblable et si heureuse conjoncture, mes bons amis, vous n’avez plus qu’à retourner paisiblement à Paris pour y préparer vos cahiers. Vous savez que je vous aiderai de tout mon cœur, lorsqu’il s’agira de les présenter à Sa Majesté que Dieu garde!…

Et soulevant son chapeau, il cria pour la deuxième fois:

– Vive le roi!…

– Vive Lorraine! Vive le pilier de l’Église! vociférèrent avec frénésie les ligueurs.

Mais déjà le grand Henri avait mis son cheval au petit galop et disparaissait vers le nord, laissant derrière lui cette ville de Chartres où il était venu chercher une couronne.

Il était sombre. Bientôt, ce calme qu’il s’était imposé fondit comme la glace au soleil. La fureur se déchaîna en lui. Seul, pareil à un fugitif, il courait sur la route mal entretenue, espèce de large sentier où poussaient les herbes folles. Il labourait de coups d’éperon les flancs de son cheval. Et le pauvre animal, qui n’en pouvait mais, bondissait, hennissait de douleur. Au bout d’une heure de cette course folle, la bête s’abattit.

Guise, cavalier consommé, sauta, se retrouva sur ses pieds. Autour de lui, des vastes plaines montaient une paix profonde. L’infinie sérénité de la nature l’enveloppait. Et dans cette sérénité des choses, la colère de cet homme, de ce roi manqué, de cet audacieux qui n’osait pas, eût pu paraître pitoyable à quelque philosophe observateur.

Et ce qui le rongeait surtout, c’était de ne pas savoir pourquoi le moine n’avait pas frappé. La chose était si bien combinée!… Il avait fallu quelque miracle pour sauver Henri III.

– Mais qui avait fait le miracle?…

– Oh! ce moine! rugit-il. Ce moine stupide et lâche! S’il a eu peur, s’il a trahi, malheur à lui!… Et si quelqu’un l’a arrêté au dernier moment… oh! connaître ce quelqu’un pour le faire brûler à petit feu!…

Comme il parlait ainsi, une quinzaine de cavaliers apparurent à l’horizon et se rapprochèrent de lui, rapidement. Bientôt il les distingua clairement: c’était une partie de ses gentilshommes qui le rejoignaient. À leur tête couraient Bussi-Leclerc, Maineville et Maurevert. En apercevant le duc de Guise à pied, debout près de son cheval fourbu, ils s’arrêtèrent.

L’un des gentilshommes mit pied à terre et céda sa monture au duc, qui aussitôt se mit en selle. Toute la troupe repartit en silence. Chacun de ces cavaliers voyait qu’une effrayante colère se déchaînait dans l’âme du maître et tous tremblaient, et nul n’osait lui adresser la parole, de crainte de recevoir les éclaboussures de cette colère.

Une heure plus tard, on rejoignit le duc de Mayenne et le cardinal. Alors seulement le duc de Guise interrogea ses familiers.

– Vous étiez à la cathédrale; vous avez tout vu… que s’est-il passé?… Le moine…

– Le moine n’est pas venu, monseigneur, dit Bussi-Leclerc.

– Il a trahi! Je m’en doutais!… Il faut me trouver cet homme et…

– Le moine n’a pas trahi! interrompit Bussi-Leclerc. Il est simplement arrivé que quelqu’un s’est emparé de lui cette nuit…

– Et l’a détenu prisonnier! ajouta Maineville.

– Ce quelqu’un, gronda le duc d’une voix tremblante de rage, qui est-ce?… Vous ne le savez pas?… À quoi êtes-vous bons, tous les trois?

– Pardon, monseigneur, nous le savons parfaitement, puisque nous l’avons vu!

– Eh bien?…

Maurevert s’avança alors, et avec un étrange sourire qui courait sur son visage livide, comme certains éclairs courent sur une nuée d’orage:

– Eh bien, monseigneur, c’est Pardaillan!

IV PARDAILLAN ET FAUSTA.

Nous avons signalé qu’au moment où la procession royale se mit en marche vers la cathédrale, deux capucins vinrent se placer derrière Henri III. Et par les bribes d’entretiens que nous venons de rapporter, nous savons que ces frocs couvraient l’un la personne gracieuse et quand même toujours souriante de la duchesse de Montpensier, l’autre la personne majestueuse, sombre et fatale de Fausta.