Выбрать главу

– Ma sœur, dit Philomène, je vais quérir quelques œufs que j’accommoderai et que j’apporterai avec ce restant de venaison dont nous fit hier cadeau ce Révérend frère quêteur qui passa par ici…

Et sans attendre cette fois l’assentiment de sa compagne, Philomène s’éloigna rapidement. Un quart d’heure plus tard, elle revenait avec les provisions annoncées, plus un pain de froment.

– Quant au vin, dit-elle en rougissant, il faut attendre la nuit pour s’en procurer.

Les deux nonnes s’éloignèrent alors pour vaquer à la grande occupation qui leur était dévolue, c’est-à-dire pour aller espionner et surveiller les deux jeunes filles enfermées dans l’enclos. Picouic et Croasse, tout aussitôt, se mirent à table, c’est-à-dire qu’ils s’assirent à califourchon sur les deux bouts d’un vieux tronc et placèrent entre eux les provisions qu’ils devaient à la munificence de sœur Philomène.

– Qu’est-ce que je te disais! fit Croasse en dévorant avec frénésie.

– Croasse, je te proclame le plus adroit compagnon. Je n’aurais jamais cru cela de ta part…

– C’est comme cela que je suis… je suis intelligent et brave; seulement je ne le savais pas autrefois… Mais maintenant que je le sais, tu vois!…

– Si nous sommes habiles, notre fortune est faite quand nous nous en irons d’ici! fit Picouic, qui tout en dévorant réfléchissait.

– Comment cela?… Le fait est que je ne serais pas fâché de faire un peu fortune à mon tour…

– Écoute… la petite Violetta est ici, détenue prisonnière.

– Oui… bien que je l’aie délivrée une première fois.

– Toi! s’écria Picouic stupéfait.

– Sans doute! fit Croasse avec une noble simplicité; ne te l’ai-je pas raconté?… ainsi que la bataille que je dus soutenir…

– C’est vrai, c’est vrai… Donc, Violetta, bien que délivrée par toi, est ici prisonnière. Si M. le chevalier de Pardaillan et M. le duc d’Angoulême sortent de la Bastille, comme ils en sont bien capables, notre fortune est faite, car c’est nous qui leur aurons rendu la petite bohémienne…

– Oui, dit Croasse, mais sortiront-ils jamais de la Bastille?…

– En ce cas, dit Picouic, j’aviserai d’autre manière; il faut que je voie la petite Violetta et que je l’interroge… J’ai toujours pensé que cette petite était de haute famille. Qui sait si cette famille ne la cherche pas?… Je te dis que Violetta, c’est notre fortune, Croasse!… il faut ici faire un coup de génie et nous emparer de cette petite…

– Veux-tu que j’aille la chercher et que je l’amène? fit superbement Croasse…

Picouic haussa les épaules.

– Non, dit-il. Ne te mêle de rien. Laisse-moi faire. Tu m’aideras seulement quand il en sera temps… d’ici là, puisque nous sommes en pays de cocagne, contente-toi d’engraisser un peu, tu en as besoin.

– Au fait, dit Croasse, il fait bon vivre ici… et la venaison de sœur Philomène vaut bien les glands de la porte Montmartre et les cailloux de Belgodère.

VII MARIE DE MONTPENSIER

Jacques Clément, rentré à Paris, se dirigea tout droit vers son couvent situé dans le haut de la rue Saint-Jacques. L’idée ne lui fût pas venue de s’attarder hors du monastère quand rien ne l’y obligeait. Et il avait hâte d’être seul dans sa cellule pour examiner avec lui-même la situation qui lui était faite. Mais il lui fallait d’abord rendre compte au prieur Bourgoing du résultat de son voyage. Il n’avait d’ailleurs aucune appréhension de cette entrevue. Le prieur des Jacobins s’était toujours montré pour lui d’une extrême affabilité et lui avait accordé une liberté dont les autres moines étaient bien loin de jouir.

Il était sept heures du soir lorsqu’il arriva devant la porte du couvent, ayant accompli dans sa journée les vingt lieues qui séparent Chartres de Paris. Son cheval – le cheval qu’il tenait de la générosité de ceux qui devaient l’occire!… – était blanc d’écume.

– Ayez donc soin de cette noble bête, dit-il au frère portier, faites-la conduire dans les écuries de notre abbé qui sera fort aise de cette acquisition: c’est un présent des Philistins!…

Le frère portier obéit sans répliquer, car Jacques Clément jouissait dans le couvent d’une considération et d’une autorité dues à la bienveillance particulière dont l’honorait le prieur. Il appela donc deux frères lais qui remplissaient l’office de valets d’écurie et leur remit le cheval emprunté au roi… Jacques Clément, s’étant assuré que sa monture était placée dans une bonne litière et qu’elle avait bonne provision d’avoine, se dirigea vers l’appartement de l’abbé – appartement fastueux, très mondain, nullement ascétique.

Le prieur Bourgoing était à table. Il lisait et relisait une lettre qui venait de lui être remise il y avait un quart d’heure à peine, et fronçait les sourcils, donnant des signes d’une vive agitation, ce qui ne l’empêchait pas de faire honneur à l’excellent repas que le frère sommelier et deux autres frères lui servaient avec un respectueux empressement.

Bourgoing n’aimait pas beaucoup qu’on le dérangeât dans une aussi importante occupation que le dîner. Mais lorsqu’il sut que le frère Clément était dans son antichambre, il replia vivement la lettre qu’il lisait, donna l’ordre d’introduire le jeune moine et, d’un signe, renvoya ses serviteurs.

– Quoi, mon frère! s’écria Bourgoing en apercevant Jacques Clément. Dans ce costume si peu conforme aux règles de notre ordre!… Que signifie?…

Jacques Clément, on s’en souvient, s’était débarrassé de son froc dans l’auberge du Chant du Coq. Mais vingt fois, déjà, le prieur l’avait vu dans ce costume de cavalier sans en témoigner ni de la surprise, ni surtout l’indignation qu’il manifestait à ce moment. Le moine demeura donc stupéfait de la question.

– Ce n’est pas tout, reprenait déjà le prieur. Voilà cinq jours que vous êtes absent du monastère et que je vous fais chercher partout dans Paris!… C’est là une étrange manière de remplir vos devoirs!… Vous n’êtes pas frère quêteur, ni prédicateur… vous n’avez reçu aucune mission qui puisse expliquer une si longue absence…

– Pardon, Reverendissime Seigneur, dit froidement Jacques Clément, ou vos esprits sont frappés d’un trouble que je ne conçois pas, ou vous devez vous souvenir…

– Je ne me souviens de rien! interrompit violemment le prieur.

– Quoi! vénérable père… vous ne m’avez pas vous-même donné votre bénédiction à mon départ!…

– Le malheureux délire! s’écria Bourgoing en levant les bras au ciel.

– Vous n’y avez pas joint votre absolution pour tout acte que je pourrais commettre en mon absence!…

– Fou!… L’infortuné est fou!… Par Notre-Dame, quel acte eussiez-vous donc pu commettre dont, par avance, je vous eusse absous?…

– Je vous l’ai confié, mon père!… Rappelez-vous ce que vous m’avez dit!… Rappelez-vous que vous m’avez cité l’exemple de Judith et de Jéhu!…

– C’est à vous, mon frère, qu’il faut recommander de rappeler vos esprits!

– Que ne suis-je devenu fou, en effet! dit amèrement Jacques Clément. Mon digne père, votre attitude à mon égard me plonge dans un abîme de stupéfaction… Quoi!… ne m’avez-vous pas encouragé vous-même, m’affirmant que l’Écriture autorise certains actes irréguliers, quand il s’agit du service du Seigneur Dieu!…