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– Ce n’est pas par là que je m’en vais…

Et il refit le signe. L’hôtesse s’inclina, marcha devant Maurevert et parvint à cette salle qui communiquait avec le palais de Fausta… Maurevert frappa sur les clous disposés en forme de croix… La porte s’ouvrit… il passa…

Lorsqu’il fut entré, la porte se referma d’elle-même. Dans la lumière douce qui régnait toujours en cette pièce, Maurevert aperçut les deux suivantes favorites, Myrthis et Léa, jolies et gracieuses Chimères qui gardaient l’antre de cette redoutable Chimère qu’était Fausta.

– Votre maîtresse peut-elle me recevoir? demanda-t-il. Est-elle endormie?

Elles le regardèrent d’un air étonné, comme s’il eût été étrange de supposer que Fausta pût se reposer et dormir. Et en effet, à peine avait-il fini de parler, que Fausta parut et prit place dans son fauteuil. Les deux suivantes disparurent à l’instant. Comme toujours, l’entrée de Fausta avait été soudaine et silencieuse.

– Je ne m’attendais pas à voir ce soir le sire de Maurevert, dit-elle.

– En effet, madame, je devrais être à cette heure bien loin de Paris.

– Vous deviez attendre mes ordres à Orléans…

– C’est vrai, madame…

– Un cheval et une voiture vous attendaient sur les pentes de Montmartre: la voiture pour elle, le cheval pour vous.

– J’ai vu le cheval et la voiture, madame; ils étaient bien au rendez-vous que vous m’avez indiqué.

– Je vous avais fait donner une mission par M. de Guise, afin que vous soyez libre de toute entrave, et puissiez gagner huit jours.

– C’est vrai, madame. Et le duc me croit sur la route de Blois où j’ai ordre de noter l’installation du roi et les forces dont il peut disposer à l’occasion.

– Donc, tout était parfaitement combiné pour légitimer votre absence et préparer votre départ. Le duc vous confie une mission qui couvre celle que je vous ai donnée, moi. Je fais disposer pour vous vos relais pour une marche rapide. Tout est prêt. Vous n’avez qu’à partir… Et vous voici! Monsieur de Maurevert, vous jouez un jeu dangereux…

– C’est vrai, madame. La partie que je joue en ce moment est dangereuse. Ma vie n’a tenu qu’à un fil aujourd’hui, et peut-être demain serai-je mort. Mais ici, à cette heure, je suis en sûreté, madame. Car d’un mot vous allez comprendre pourquoi la petite bohémienne est encore à l’abbaye, pourquoi le cheval et la voiture ont été inutiles, et inutile la mission de Blois, et pourquoi je suis ici au lieu de courir sur la route d’Orléans: madame, sur les pentes de Montmartre au moment où je me dirigeais vers l’abbaye, je me suis heurté à un obstacle.

– Il n’y a pas d’obstacle, dit sourdement Fausta, quand j’ai donné un ordre.

– C’est encore vrai, madame. Mais cette fois, l’obstacle était de ceux qui peuvent arrêter non seulement la marche du pauvre gentilhomme qui vous est dévoué corps et âme, mais de grands desseins d’État comme celui qui devait s’accomplir à Chartres… l’obstacle, madame, s’appelle Pardaillan.

Fausta rougit légèrement, ce qui chez elle indiquait une violente émotion. Elle demeura quelques instants silencieuse, sans doute pour que sa voix ne trahit pas son trouble, et son sein se gonfla sous l’effort d’une palpitation qu’elle parvint bientôt à dominer.

– Vous avez rencontré Pardaillan? demanda-t-elle froidement.

– Oui, madame.

– Il vous a vu?

– Il m’a parlé! fit Maurevert avec un frisson. Madame, je vois dans vos yeux l’étonnement de me voir vivant, ici, le soir du jour où j’ai rencontré Pardaillan, où je l’ai vu de près, où il m’a parlé!… Je vais vous étonner davantage: Pardaillan est à nous!

Cette fois, en effet, la stupéfaction fut si réelle et si profonde chez Fausta qu’elle ne songea pas à la déguiser. Joie intense et furieuse de tenir encore l’ennemi… douleur peut-être… mais surtout stupéfaction…

Qu’un homme comme Maurevert eût pu s’emparer d’un homme comme Pardaillan, cela lui semblait contraire au sens naturel des choses. Elle jeta sur Maurevert un sombre regard de doute où, s’il y avait un espoir, il y avait aussi la colère qu’on peut éprouver contre un malfaisant pygmée qui détruirait une œuvre d’art.

Fausta, avec sa passion violente, avec son âme haussée à des conceptions surhumaines, conservait un sens d’artiste raffinée. Pardaillan pris par Maurevert!… C’est une autre fin qu’elle eût souhaitée à une telle carrière! Il lui semblait hideux que le dernier chant de ce poème vivant qu’était le chevalier fût de si piètre envergure… Et pourtant!… Pardaillan pris… repris plutôt – par Maurevert ou un autre – c’était vraiment l’obstacle enfin écarté de sa route!

– Vous l’avez blessé? fit-elle sans pouvoir dominer un sentiment que Maurevert prit pour de la joie, et où il y avait en effet de la joie.

Maurevert secoua la tête.

– Vous l’avez pris?… pris vivant?… Non?… Mais vous avez dit: Pardaillan est à nous!…

– Nous le tenons, madame, dit Maurevert chez qui éclata alors la haine enfin assouvie, nous le tenons! Demain à dix heures, nous n’avons qu’à le prendre! Il ne s’agit que de combiner une bonne embuscade, et il y viendra tête baissée…

Un rire terrible secoua Maurevert. Fausta le vit livide, une mousse au coin des lèvres, avec des yeux de folie, avec une voix rauque, semblable au grondement d’impatience des chiens à la minute de la curée. Et elle comprit Maurevert comme elle ne l’avait pas encore compris…

– Pardonnez-moi, haleta l’homme, je ne puis m’empêcher de rire!… Je ris depuis cet après-midi… je ris comme jamais je n’ai pu rire depuis seize ans!… il me serait impossible de ne pas rire… Ah! par l’enfer! par la damnation de mon âme!… comme c’est bon de rire enfin de bon cœur! Je dois vous paraître insensé!… Écoutez-moi, madame, nous n’avons qu’à préparer l’embuscade: une centaine d’hommes solides et bien armés suffiront. Car le duc ne se doute de rien. Sa confiance, voyez vous, est prodigieuse; au fond, c’est un imbécile… Il viendra, vous dis-je! Il sera seul, avec son niais d’Angoulême dont je ne ferai qu’une bouchée… Madame, je viens de tuer un homme pour être libre demain, un de mes amis, quelqu’un que j’aimais bien! Je tuerais dix, vingt de mes amis pour être libre demain!… C’est bien simple: il m’a donné rendez-vous, demain, à dix heures, à la Ville-l ’Évêque; le reste nous regarde!…

Fausta, appuyée sur le bras de son fauteuil, passive, considérait cette manifestation de haine avec une curiosité effrayante. Maurevert souffla fortement et continua un peu plus calme:

– Ils étaient tous deux sur les pentes de Montmartre… car ils n’osent rentrer dans Paris. Ils sont à la recherche de la petite bohémienne. Je marchais, je montais, j’allais à l’abbaye… et tout à coup, j’ai vu Pardaillan… Et j’ai vu que j’allais mourir, madame! j’ai vu cela dans ses yeux… Alors, la peur, la hideuse peur qui me tient depuis tant d’années, m’a mordu au cœur, et je suis tombé à genoux… et j’ai demandé grâce!… Ah! il ne manquait que cela à ma haine!… Cette chose plus affreuse que tout ce que j’avais pu supposer: il m’a fait grâce…

Fausta eut un bref tressaillement.

– Il m’a fait grâce de la vie! continua Maurevert. Et je vous le dis, madame, cela manquait à ma haine!… Voici: il m’a fait grâce pour que je puisse lui dire demain où se trouve la petite bohémienne!… À dix heures, demain, je dois me trouver au rendez-vous, à la Ville-l ’Évêque… J’y serai, madame!… Nous y serons!…